"Les impôts sont élevés parce que nous avons des dépenses publiques extrêmement importantes", explique Philippe Crevel, économiste

La pression fiscale en France est l'une des plus importantes en Europe. Entre dépenses publiques et niches fiscales, Philippe Crevel, économiste et président du Cercle de l'épargne, explique pourquoi les français payent beaucoup d'impôts.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Raymond
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Publié
Temps de lecture : 7min
Le montant total des recettes fiscales, impôts, taxes ou cotisations sociales équivaut à plus de 43 % de la richesse nationale du PIB. (KEVIN GUYOT / OUEST-FRANCE / MAXPPP)
Le montant total des recettes fiscales, impôts, taxes ou cotisations sociales équivaut à plus de 43 % de la richesse nationale du PIB. (KEVIN GUYOT / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

En France, nous avons l'habitude de dire que nous payons beaucoup d'impôts et c'est vrai, la pression fiscale est l'une des plus importantes d'Europe. Le montant total des recettes fiscales, impôts, taxes ou cotisations sociales équivaut à plus de 43% de la richesse nationale du PIB. Philippe Crevel, économiste et président du cercle de l'épargne nous livre son analyse.

Franceinfo : selon vous, l'argent public est-il bien utilisé ? 

Philippe Crevel : Je pense que beaucoup de Français pensent l'inverse. Mais, les Français demandent cependant plus de dépenses publiques, plus de dépenses sociales, avoir une meilleure prise en charge sur la retraite, sur la santé et tout ceci évidemment a un prix, il faudrait même davantage d'impôts. En France, le déficit public est malheureusement considérable, aux alentours de 5,5% du PIB. S'il fallait équilibrer nos comptes, il faudrait verser cinq points de PIB supplémentaires. Donc à la fois on exige davantage, et on veut payer moins, ce qui est assez humain. Et puis on a l'idée que s'il y avait moins de gaspillage, ça irait beaucoup mieux. Il y a du gaspillage, c'est vrai, mais ça ne suffirait pas pour équilibrer nos comptes. Les impôts sont élevés parce que nous avons des dépenses publiques extrêmement importantes, en particulier dans le domaine social.

Les services du ministère de l'Economie ont décidé de faire de la pédagogie fiscale en expliquant comment est dépensé l'argent public. Sur 1 000 euros, plus de la moitié (564 euros) va à la protection sociale, avec les dépenses de santé et de retraite notamment. Est-ce trop ?

Aujourd'hui, la pension moyenne pour une retraite, c'est 1 500 euros par Français. Évidemment qu'ils trouvent que ce montant est relativement faible. C'est vrai que la France dépense plus que ses voisins en matière de retraites : un peu plus de 13% du PIB quand nos voisins sont plutôt aux alentours de 11% du PIB. Pour l'assurance maladie et pour la santé, nous dépensons également plus que la moyenne des pays européens. Mais dans le même temps, nous avons nos fameux problèmes de pénuries de médecins, d'urgences complètement encombrées. 

"On pourrait certainement avoir une meilleure rationalisation des dépenses, mais on a des besoins sociaux importants en France."

Philippe Crevel

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Le gouvernement est à la recherche de 40 milliards d'euros d'économies l'an prochain. Les niches fiscales sont dans le viseur : il y en a plus de 400, elles coûtent 85 milliards d'euros au total. Faudrait-il en supprimer ?

Depuis 40 ans, chaque année, les gouvernements souhaitent faire la peau aux niches fiscales, et comme il est dit à chaque fois : dans chaque niche, il y a un gros chien, voire un loup, prêt à mordre. Et c'est pour cela que ces niches fiscales perdurent. Pourquoi ont-elles été instaurées ? Premièrement, c'est la volonté de l'Etat d'orienter certaines dépenses, favoriser, par exemple, tout ce qui est énergies renouvelables à travers des panneaux solaires, à travers les Prim'Rénov. C'est également le moyen d'atténuer la progressivité de l'impôt sur le revenu en France qui est très importante. 10% des Français les plus aisés acquittent trois quarts de l'impôt sur le revenu. Les niches atténuent donc cette progressivité et c'est un geste que font les pouvoirs publics vis-à-vis des contribuables les plus aisés.

Dans La Tribune, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, dit que 14% des dépenses fiscales ne sont pas chiffrées et que le nombre de bénéficiaires est inconnu pour 43% de ces dépenses fiscales. Il faut quand même faire le ménage, non ?

Il y a certainement une nécessité de les diminuer, pour la transparence mais aussi pour l'efficacité de l'impôt. Les niches fiscales ne profitent qu'à certains, qu'à ceux qui ont les moyens d'utiliser la législation fiscale à leur profit. Il faudrait avoir moins de niches fiscales et des taux d'imposition plus faibles. Il faut faire les deux en même temps. Il faut que ce soit du donnant-donnant.

Laquelle supprimeriez-vous en priorité ?

Il y a des niches fiscales qui concernent les entreprises, comme le Crédit impôt recherche (CIR), qui est souvent mis en avant parce qu'il favorise les entreprises qui auraient les moyens de faire des recherches. On peut certainement économiser de l'argent, car il coûte sept milliards d'euros par an, mais le patronat ne sera pas d'accord. Concernant les particuliers, c'est très compliqué. On pense toujours aux niches fiscales les plus faciles, sur les emplois à domicile par exemple, avec le risque, évidemment, de travail au noir. Donc, sur les emplois à domicile, il faudrait peut-être un système plus transparent, moins favorable aux contribuables aisés, mais il faut quand même favoriser ces emplois à domicile. En revanche, sur tout ce qui est habitation, on a supprimé le dispositif Pinel car c'était nécessaire. On peut peut-être aller plus loin sur un certain nombre de niches fiscales qui existent aujourd'hui dans le bâtiment.

Pour que le travail paye davantage, certains suggèrent que la protection sociale soit financée par la TVA et pas par les cotisations. Le gouvernement ne ferme pas la porte. Et vous, qu'en dites-vous ?

L'idée est de transférer les 670 milliards d'euros de cotisations salariales sur la TVA. Ça ne va pas être simple parce qu'un point de TVA, ça rapporte huit milliards d'euros, alors qu'un point de cotisations sociales, en fonction des cotisations, rapporte entre 7 et 10 milliards d'euros. Donc on ne va pas pouvoir transférer les 670 milliards d'euros d'un seul coup, sinon la TVA va monter à un niveau qui ne sera pas acceptable. Or, on a vu que les autoentrepreneurs et les microentrepreneurs ont hurlé quand le gouvernement voulait augmenter le taux de TVA.

"Un taux de TVA qui augmente, cela signifie que c'est le consommateur qui paie. La protection sociale serait donc prise en charge par les consommateurs et les retraités."

Philippe Crevel

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Les retraités ne bénéficieront pas des baisses de cotisations sociales parce qu'ils ne travaillent plus, donc ce serait un transfert essentiellement des salariés vers les retraités. Cela peut répondre à une certaine logique, mais il y a le pouvoir d'achat des retraités derrière. Et puis d'autre part, on ne pourra pas faire un transfert massif parce que nous sommes déjà à 20 % de taux de TVA. On peut aller à 22 % ou 23 %, mais au-delà, on favoriserait énormément le travail au noir, le travail illégal. Et donc ceci, évidemment, aurait des effets pervers.

Faut-il donc faire contribuer plus les riches, qui possèdent au-delà de 100 millions d'euros de patrimoine ?

Il y a une nécessité, comme ça a été mis en place avec la loi de finances 2025, de prévoir un minimum d'imposition pour tout le monde. Les fameux 20% me paraissent tout à fait justes, et même jusqu'à 25 % pour tout le monde et qu'il n'y ait pas de possibilité via les systèmes dérogatoires, via les niches, de passer en dessous d'un certain montant minimum d'imposition, surtout quand on est dans les 0,01 % les plus riches. En revanche, attention pour ceux qui se situent entre les 10% les moins aisés et les 0,01% les plus riches : eux paient déjà beaucoup d'impôts. Les trois quarts de l'impôt sur le revenu sont payés par les 10% les plus aisés et ce sont souvent des cadres supérieurs qui ont des revenus salariaux qui ne sont pas extrêmement riches.

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