"Son seul enjeu, c'est de survivre" : comment François Bayrou trace sa route à Matignon, trois mois après sa nomination
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Le patron du MoDem, qui avait arraché à Emmanuel Macron le poste de Premier ministre, ne suscite pas l'enthousiasme, y compris dans son propre camp. Mais, fin politique, il échappe pour le moment à la censure de son gouvernement et apprend des erreurs de son prédécesseur, Michel Barnier.
Il est 7h15, le 13 décembre, quand un cadre du parti présidentiel reçoit un coup de téléphone d'un grand élu de sa région. Ce jour-là, l'annonce du nouveau Premier ministre est imminente. Au bout du fil, l'homme est furieux. "Il faut que tu leur dises à tous de ne pas le nommer ! Rappelle-toi comment il est : c'est un glandeur", lui intime-t-il. L'objet de son courroux s'appelle François Bayrou. Depuis plusieurs jours, des rumeurs affolent le Tout-Paris sur une possible nomination du maire de Pau à Matignon pour remplacer Michel Barnier, Premier ministre le plus éphémère de la Ve République. C'est finalement au terme d'une matinée rocambolesque au cours de laquelle le patron du MoDem, fort de ses 36 députés, menace Emmanuel Macron de ne plus le soutenir que le président de la République se résout à nommer cet allié historique, un fidèle de la première heure.
Ce poids lourd macroniste n'a donc pas été entendu mais il se souvient encore de cette conversation. L'élu connaît bien François Bayrou pour l'avoir côtoyé lors de moments de crises. "On discute de choses pointues et là Bayrou fait un rappel historique, il cite deux ou trois fois Pierre Mendès France et pif paf, on a la position du MoDem", se gausse-t-il. Le chef du gouvernement est souvent décrit comme n'aimant "pas rentrer dans le fond des dossiers". "Il aime improviser et ce n'est pas le roi de la technique", cingle un socialiste qui a négocié avec lui sur le budget. En même temps, le septuagénaire, fort de plus de quarante ans de vie politique, est aussi un fin stratège, qui a déjà échappé, trois mois après sa nomination, à six motions de censure.
"C'est tout lui, les hésitations"
Le Palais Bourbon n'a pourtant plus rien à voir avec ce que François Bayrou a connu, lui qui n'est plus député depuis 2012. Lorsqu'il remonte à la tribune de l'Assemblée le 14 janvier, pour délivrer son discours de politique générale, le triple candidat (malheureux) à la présidentielle savoure sa revanche. Alors, il prend son temps : 1h29 de discours tandis qu'Elisabeth Borne, qui lit exactement le même texte au Sénat, met vingt minutes de moins. Comme souvent, l'ancien professeur agrégé de lettres classiques digresse. Il cite longuement La Poule aux œufs d'or de La Fontaine et s'emmêle dans ses pages, sous le regard moqueur des députés. "Il m'a redonné la patate, ça donne envie", ironise un macroniste à la sortie.
Cette première entrée en matière sera suivie par d'autres prises de parole brouillonnes qui font le bonheur des réseaux sociaux. Le 26 février, François Bayrou rend compte devant les chaînes d'information en continu du comité interministériel de contrôle de l'immigration, organisé dans la foulée de l'attaque terroriste de Mulhouse (Haut-Rhin). Pendant de longues minutes, il cherche un verre d'eau, avant de s'apercevoir qu'il est posé sur son pupitre. Juste auparavant, c'est Bruno Retailleau qui lui souffle plusieurs fois le titre du pacte "asile et migration" qu'il a oublié. "C'est tout lui, les hésitations", sourit l'un de ses proches.
"Ce n'est pas grave, les réseaux sociaux qui le moquent. François Bayrou ne s'attache pas à l'écume des vagues."
Un proche du Premier ministreà franceinfo
A Matignon, trois mois après son arrivée, il n'y a toujours pas de directeur de la communication. Lionel Teixeira, conseiller com' qui officiait déjà sous Michel Barnier, est numéro deux d'un chef de pôle qui n'existe pas. "Bayrou n'a jamais voulu prendre personne à sa com'. Il laisse d'ailleurs les ministres s'exprimer et faire ce qu'ils ont envie de faire, observe un conseiller ministériel aguerri. Et sur Bétharram, il a dit : 'rien à foutre'."
L'affaire de violences sexuelles et physiques au sein de cet établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques a certes éclaboussé François Bayrou – il avait scolarisé ses enfants à Notre-Dame de Bétharram et est accusé de ne pas avoir agi – mais ne l'a pas contraint à la démission, comme le réclame une partie des oppositions. "On a regardé ça avec les lunettes d'aujourd'hui. Il a fait ce qu'il devait faire et ne veut plus en parler", livre-t-on dans son entourage.
"Il ne va pas dévier de son chemin"
Ses proches, son parti, qui l'accompagnent depuis des années, font bloc derrière leur chef. "Bayrou, c'est un sanglier, il fonce, assure un député MoDem. S'il y a une bagnole en face de lui, il ne va pas dévier de son chemin." La situation politique, éminemment compliquée, ne l'effraye pas. Au contraire. "D'un point de vue de l'urgence, on peut dire que je suis heureux. Je fais ce que je voulais faire dans un moment où il n'y a pas d'autre solution", se targue-t-il dans un portrait que lui a consacré Le Point.
Contrairement à son prédécesseur, l'ancien haut-commissaire au Plan a compris une chose : pour ne pas être à la merci du Rassemblement national, il faut fracturer le Nouveau Front populaire en détachant le PS de ses alliés. Pour cela, le Béarnais ne ménage pas sa peine et se concentre sur le Parlement et ses intrigues, plutôt que sur des déplacements en France. Il n'en fait pratiquement pas, sauf pour rejoindre son fief à Pau.
Un pari gagnant, puisque le projet de loi de finances et le budget de la Sécurité sociale seront adoptés, en recourant certes au 49.3, mais sans que le RN et surtout les socialistes ne votent les motions de censure. A l'extrême droite, on salue le coup gagnant du Premier ministre, plus tactique qu'un Michel Barnier.
"Bayrou a été beaucoup plus fourbe et malin."
Un député RNà franceinfo
Pour embarquer tout le groupe socialiste, les cadres ont trouvé la parade : déposer une motion de censure spontanée, après le vote du budget, pour sanctionner le Premier ministre d'avoir repris à l'extrême droite l'expression de "submersion" migratoire à propos de Mayotte. Sans surprise, le groupe présidé par Marine Le Pen ne la vote pas : "L'heure n'est pas venue", justifie le député Thomas Ménagé.
A la tribune du Palais Bourbon, le 19 février, François Bayrou lâche ses coups. "Voilà la motion de censure la plus cousue de fil blanc de toute l'histoire parlementaire", fustige-t-il, qualifiant également l'initiative de "motion de censure à blanc", "pour faire semblant". Les socialistes sortent furieux et quittent les bancs avant la fin du discours. L'épisode a aujourd'hui laissé des traces. "Nul et nul. Pas de fond, fatuité et orgueil", critique vertement le député socialiste Arthur Delaporte. En réalité, le centriste a été "blessé" que le PS évoque l'affaire Bétharram dans le texte de sa motion, selon l'un de ses proches.
"Il fait du rodéo, peu importe où va le cheval"
La prochaine épreuve qui l'attend est de taille : les retraites. Jusqu'au 28 mai, les partenaires sociaux s'attaquent à ce sujet hautement inflammable, que François Bayrou a accepté de rouvrir, dans le cadre des concessions faites au PS pour éviter la censure. Deux ans après l'adoption de l'impopulaire réforme d'Elisabeth Borne, le camp présidentiel cultive le secret espoir d'une entente syndicale qui obligerait les parlementaires à suivre leur éventuel accord. Sans trop se faire d'illusions non plus. "L'hypothèse la plus probable, c'est qu'il n'y ait pas d'accord et qu'il y ait un point de jonction entre la gauche et le RN. On serait donc face à un écueil entre fin mai et juin", livre un poids lourd du bloc central.
Mais, certains macronistes misent sur les talents du maire de Pau pour repousser l'échéance. "Sur les retraites, je fais confiance à la créativité de Bayrou pour créer un comité, qui remettra un rapport", s'amuse un ancien ministre macroniste. "Bayrou, ce n'est pas un réformateur. Son objectif, c'est de durer pour durer indéfiniment", poursuit-il.
"Je n'ai pas l'impression qu'il gère le pays. Le gouvernement est une sorte d'auberge espagnole où chacun refait la déco de sa chambre très librement et essaye d'empiéter sur la chambre d'à côté. Mais qui tient l'auberge ?"
Un ancien ministre macronisteà franceinfo
"Son seul enjeu, c'est de survivre, rebondit un conseiller ministériel. S'il reste plus longtemps qu'Attal, il pourra mettre ça à son crédit, on dira qu'il a stabilisé la France." Dans la France post-dissolution, la longévité d'un gouvernement est désormais gage d'une certaine réussite.
Au RN aussi, on voit François Bayrou comme "le bon homme pour gagner du temps", selon un stratège mariniste. "Il ne satisfait personne, mais ne crispe personne. On ne reçoit pas de messages pour dire : 'Il faut lui taper dessus' comme sur Macron. Et comme dit Marine Le Pen, 'il fait du rodéo et peu importe où va le cheval'." "Il est trop tôt pour voter une motion de censure, poursuit ce proche de la présidente du groupe RN, car il n'y a pas de dissolution possible et les Français ne sont pas très favorables à une nouvelle censure." Mais "à un moment, nous aussi, on dira stop". Pas de quoi faire paniquer François Bayrou. "Il sait qu'il est sur un siège éjectable mais il fait comme s'il avait le temps", glisse un de ses proches.
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