"Il a 2027 en ligne de mire" : pourquoi Bruno Retailleau a décidé de se lancer dans la bataille pour la présidence des Républicains

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, le 6 février 2025, lors de la présentation d'une campagne de communication gouvernementale contre la drogue. (THOMAS SAMSON / AFP)
Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, le 6 février 2025, lors de la présentation d'une campagne de communication gouvernementale contre la drogue. (THOMAS SAMSON / AFP)

Depuis qu'il a été nommé ministre de l'Intérieur, l'ancien patron des sénateurs LR est passé de l'ombre à la lumière, au point d'avoir désormais des vues sur la prochaine élection présidentielle.

Certaines ambitions présidentielles mettent du temps à se déclarer. "Ce n'était pas du tout dans son plan quand il est arrivé à Beauvau", en septembre, assure l'entourage de Bruno Retailleau. Entré au gouvernement de Michel Barnier peu avant de fêter ses 64 ans, le ministre de l'Intérieur voit sa popularité gonfler depuis, à la faveur de son hyperactivité médiatique et de ses prises de position très droitières. Pressé en coulisses par des ténors de son camp, l'ancien sénateur croit désormais en ses chances de prendre la tête des Républicains, et rêve même de l'Elysée.

Après avoir pris de court Laurent Wauquiez, celui qui ne voulait pas être candidat, du moins jusqu'en janvier, a vite déroulé un plan calibré : lettre aux militants, site de campagne et soirée festive dans un bar de Paris, où des "Bruno président !" ont accueilli son entrée. Depuis, il est en campagne : après les Yvelines, l'Isère et la Drôme, il sera jeudi 27 février au soir en meeting à Lille. 

Dans les travées de l'Assemblée, les députés LR se renfrognent en entendant le nom du premier flic de France. "C'est du gâchis", soupire Fabien Di Filippo, élu de Moselle. Jusqu'à la dernière minute, les soutiens de Laurent Wauquiez espéraient que chacun reste dans son couloir pour éviter "une guerre des chefs". La direction du parti et la présidence du groupe à l'Assemblée pour l'ex-patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes ; l'incarnation de la droite gouvernementale pour le Vendéen. "Pour nous, les choses étaient claires, il fallait que l'un des deux joue un rôle fort dans le gouvernement et que l'autre garde sa liberté", regrette Jean-Pierre Taite, député de la Loire.

"Il a corrigé son image en entrant au gouvernement"

Le scénario était bien ficelé, le tandem s'affichant uni après les législatives pour présenter un "pacte législatif" ou gravir le mont Mézenc. L'entente a duré même après l'entrée au gouvernement de Bruno Retailleau, fin septembre. "En novembre, ils se sont vus en privé et Bruno Retailleau lui a dit qu'il le soutiendrait pour la présidence de LR", assure l'entourage de Laurent Wauquiez. "Il n'y a pas eu de pacte", tempère l'équipe de Bruno Retailleau. Et pendant ce temps, le ministre de l'Intérieur a peu à peu changé d'avis et mûri sa décision de se lancer dans la course pour la présidence du parti. 

Après sa nomination au gouvernement, l'ancien patron des sénateurs LR a multiplié les déplacements et les interventions dans les médias, et martelé ses discours de fermeté, quitte à agacer ses collègues ministres du bloc central. Une stratégie payante dans l'opinion : le conservateur a fait une percée dans les sondages et s'est hissé en trois mois de la 27e à la 5e place dans le baromètre Ifop (PDF) des personnalités politiques les plus appréciées. "Il se dit que c'est son moment car il a plus de poids politique qu'il n'en a jamais eu et qu'il ne le retrouvera jamais", raille le camp Wauquiez. Sorti des couloirs feutrés du Sénat, où il a présidé le groupe de droite durant dix ans, voici que l'ancien metteur en scène des spectacles du Puy du Fou s'impose comme tête d'affiche. "Il se passe quelque chose entre le peuple de droite et Bruno Retailleau, estime le sénateur Max Brisson. Lui-même se demande comment expliquer cette rencontre." 

"Il a sensiblement corrigé son image en entrant au gouvernement", observe un autre sénateur de droite. Bruno Retailleau tient pourtant les mêmes discours depuis plusieurs années, en particulier sur l'immigration, face à laquelle il défend une ligne dure qui trouve aujourd'hui un écho dans une partie de l'opinion, observe Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof. "Ce sont des préoccupations importantes pour l'électorat, plutôt en hausse, même si la tendance n'est pas toujours linéaire", explique le politologue. "Ainsi, 49% de sondés jugeaient qu'il y a trop d'immigrés en France en 2009, puis 69% en 2015 et 63% dans notre enquête de février". 

"Un concurrent sur les platebandes du RN"

Le ministre se targue aussi de vouloir "faire la guerre aux narcotrafiquants", autre sujet d'inquiétude, selon plusieurs sondages. "Sur cette question, l'opinion est en demande d'action sécuritaire, ce qui va clairement dans le sens de Bruno Retailleau", analyse Bruno Cautrès, alors qu'une majorité de Français se prononce pour la suppression de l'excuse de minorité ou le recours à l'armée pour lutter contre le trafic de drogue, toujours d'après l'enquête du Cevipof.

"Bruno Retailleau a le sentiment qu'il dit les mêmes choses depuis longtemps, et que ça ne passait pas la rampe. Et là, d'un seul coup, ça passe la rampe."

Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques

à franceinfo

"Il y a eu un effet Barnier dans l'électorat de droite, Bruno Retailleau y est associé, c'est un côté un peu old school qui est dans l'air du temps", poursuit le porte-parole du groupe LR au Sénat. "Il ne pensait pas une seconde que ça prendrait ces proportions-là", fait-on mine de s'étonner dans l'équipe du ministre de l'Intérieur.

Ce portefeuille a pourtant été un tremplin médiatique pour les personnalités de droite comme de gauche, de Nicolas Sarkozy à Gérald Darmanin, en passant par Manuel Valls, comme ses adversaires ne se privent pas de le rappeler. "Il y a quelques mois, c'était un grand inconnu, tacle le député socialiste Arthur Delaporte. Beauvau, c'est un ministère qui permet de jouer à la gonflette et de donner l'impression de répondre à une demande d'ordre, même si ça n'a pas d'effet concret."

Ses opposants l'attendent donc sur son bilan à l'Intérieur. Faute de majorité à l'Assemblée, le nouveau projet de loi immigration que Bruno Retailleau appelle de ses vœux est très mal engagé. Il lui reste la possibilité de passer par des circulaires, mais c'est surtout sur les discours que mise le Vendéen. "Il nous contredit rarement sur l'immigration. Mais qu'a-t-il obtenu de concret ? Retailleau, c'est beaucoup de paroles, et pas d'actes", balaie le député du Rassemblement national Alexandre Sabatou.

Après l'attaque au couteau qui a fait un mort à Mulhouse, Jordan Bardella a estimé que le ministre devait "agir ou partir". Un ton menaçant qui s'explique par une forme de concurrence entre Bruno Retailleau et le RN, avance Bruno Cautrès. "Sur le contrôle des frontières ou l'application des OQTF [obligations de quitter le territoire français], ils ont des positions plutôt proches", note le politologue. "Or, le fait d'être identifié dans l'opinion comme le spécialiste de ce sujet représente un capital politique précieux. Bruno Retailleau apparaît comme un concurrent qui vient sur les platebandes du RN, d'où la stratégie consistant à le taxer d'inefficacité."

Poussé par des ténors de la droite

Les ambitions de Bruno Retailleau ne reposent pourtant pas uniquement sur sa nouvelle popularité. L'essentiel s'est joué en coulisses, avec la mise en place d'un front anti-Wauquiez qui s'est chargé de convaincre Bruno Retailleau de se jeter dans la bataille. "Pécresse, Larcher, Copé, Bertrand, lui ont dit : 'Tu ne peux pas laisser Wauquiez y aller seul'", relate l'entourage du ministre, décrivant "une poussée des chapeaux à plumes". 

Jean-François Copé confirme avoir encouragé le ministre de l'Intérieur. "Je ne suis pas faiseur de rois, et je ne suis pas le seul à être intervenu, mais je crois que notre conversation a été déterminante", poursuit le maire de Meaux, qui avait lui-même pris la tête du parti lors d'un scrutin interne sanglant face à François Fillon en 2012. "Wauquiez, c'est la déception, et une approche managériale très agressive", enfonce-t-il, avant d'ajouter : "Bruno Retailleau est le seul aujourd'hui à challenger les leaders de l'extrême droite." 

"On ne peut avoir qu’un seul candidat en 2027, donc il faut des gens responsables, capables de se parler. C'est le cas de Darmanin, Retailleau, Philippe, mais pas de Wauquiez."

Jean-François Copé, maire LR de Meaux

à franceinfo

Ces arguments, ainsi que deux récentes victoires électorales pour LR, dans les Hauts-de-Seine et en Seine-et-Marne, ont convaincu Bruno Retailleau. Deux ans après avoir été battu par Eric Ciotti, il prend le risque de déclencher une nouvelle "guerre des chefs" à droite. "Il n'y a pas de temps libre pour un ministre de l'Intérieur" pour faire campagne, car "la délinquance ne s'arrête pas à 18 heures" ni "le week-end", a taclé Laurent Wauquiez sur BFMTV. "Bruno Retailleau ne peut pas s'exprimer librement sur Richard Ferrand, par solidarité gouvernementale, pointe également le député Jean-Pierre Taite. C'est toute la limite de l'exercice entre un président de formation politique et un ministre d'un gouvernement qui n'est pas le nôtre." Pour dramatiser le match, Laurent Wauquiez s'est ainsi fermement opposé à la nomination de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel, quand Bruno Retailleau restait silencieux. 

Mettre LR en haut de l'affiche pour 2027

Si la campagne se tend, c'est que les enjeux dépassent l'avenir du parti, deux ans avant l'élection présidentielle. "A travers ce scrutin interne, c'est le mode de désignation du candidat de la droite pour 2027 qui se joue, ainsi que le centre de gravité du programme", analyse le politologue Bruno Cautrès. "Plus le candidat LR va incarner la droite, plus ça libèrera de l'espace pour un candidat macroniste".

Bruno Retailleau ne cache en tout cas plus ses vues sur le scrutin présidentiel. "Il a 2027 en ligne de mire, il considère qu'il peut rassembler et élargir le parti pour mettre LR en position de force", assure son équipe de campagne. "Ce que Bruno Retailleau peut ramener, c'est Sens commun [mouvement conservateur né de la mobilisation contre le mariage pour tous], mais c'est une droite trop restrictive. On connaît le plafond, c'est le score de Bellamy aux européennes, à peine 8%", réplique l'entourage de Laurent Wauquiez.

Le Vendéen aura nettement moins de temps libre que son rival pour faire campagne. Il poussait pour une élection dès le mois d'avril, pour profiter de sa bonne dynamique dans les sondages, mais le scrutin aura finalement lieu le 17 mai. D'ici là, il lui faudra tenir la distance et tenter d'obtenir des résultats. "Deux mois et demi, c'est très long, surtout quand on est aussi exposé", sourit-on dans l'équipe de Laurent Wauquiez.

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