Mort du streameur Jean Pormanove : face aux contenus violents en ligne, "l'applicabilité du droit est compliquée sur internet", regrette un avocat
Le streameur français de 46 ans, mort lundi lors d'une diffusion en direct sur la plateforme Kick, avait pour habitude de se mettre en scène en train d'être maltraité par deux autres vidéastes. La Ligue des droits de l'Homme avait saisi l'Arcom sur ces pratiques.
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Un homme victime de brimades, d'humiliations, de coups, donné en spectacle à des internautes des heures durant… Comment de telles scènes de violences et d'humiliations en tous genres ont-elles pu être diffusées sur internet aussi longtemps ? Depuis la mort du streameur français de 46 ans Jean Pormanove, lundi 18 août, la responsabilité de la plateforme australienne de live streaming Kick, mais aussi des autorités françaises, est soulevée par de nombreux internautes et responsables politiques. Après une première alerte sur la violence des images diffusées en ligne, fin 2024, la Ligue des droits de l'homme avait saisi l'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel et du numérique. Mais l'organisme de régulation n'avait pas réussi à l'époque à obliger l'entreprise à modérer ses contenus. Il avait expliqué s'être heurté à l'absence d'informations sur l'éventuel représentant légal de Kick dans l'Union européenne.
Mercredi, deux jours après la mort du streameur, l'Arcom a été informée par la Commission européenne de la désignation d'un représentant légal de la plateforme australienne à Malte. Elle s'est empressée de le contacter, ainsi que le régulateur maltais "chargé de fait de la supervision des obligations de la plateforme". Elle a aussi eu jeudi un échange avec les dirigeants australiens de la plateforme. Kick s'est engagée à revoir l'ensemble des règles de modération et de supervision de ses contenus et à coopérer pleinement avec les régulateurs européens afin de se conformer à la directive européenne sur les services numériques (DSA), a annoncé le gendarme français du numérique.
Pourquoi la régulation des images mises en ligne par les plateformes reste-t-elle compliquée ? Franceinfo s'est entretenu avec Yann-Maël Larher, avocat spécialiste du droit du numérique.
Franceinfo : Est-ce qu'un hébergeur de contenus comme Kick a le droit de diffuser, en France, des vidéos montrant des pratiques violentes ?
Yann-Maël Larher : Dans l'absolu, ça n'est pas autorisé. A partir du moment où les contenus sont accessibles en France, la loi française s'applique. L'article 16 du Code civil, notamment, prévoit le droit à la dignité des personnes, et quand on regarde le contenu des vidéos [mettant en scène Jean Pormanove], on voit qu'elles sont en totale contradiction avec ce droit. On a aussi des textes spéciaux sur le numérique, français et au niveau européen. Le Digital Service Act (DSA) pose par exemple un cadre européen de modération pour les plateformes numériques, en les obligeant à répondre quand des atteintes à la dignité humaine ont lieu sur leurs plateformes.
On a déjà tout ce qu'il faut pour interdire ce type de contenus. Ce qui est compliqué, c'est l'applicabilité du droit, surtout sur internet. Le droit est pensé territorialement, alors qu'internet est un espace sans frontières où l'information circule très vite. C'est une problématique qu'on retrouve avec d'autres plateformes numériques, même si les plus gros sites sont mieux régulés, car ils ont des intérêts économiques en Europe et qu'on a des moyens de pression contre eux. Pour l'instant, Kick reste un site assez confidentiel à l'échelle européenne, et ce territoire ne concentre pas le cœur de leurs activités.
Que peut faire la France pour forcer les plateformes à se conformer à leurs obligations ?
L'autorité pour tout ce qui est communication internet et audiovisuelle, c'est l'Arcom. Elle peut être saisie par n'importe quel citoyen, mais elle peut aussi s'autosaisir. En cas de non-conformité aux textes français et européens, l'Arcom peut notamment ordonner des sanctions financières. Elle peut aussi demander à la justice le déréférencement d'une URL [l'adresse d'un site internet], ce qui rend le site en question moins visible, car il faut connaître son adresse exacte pour s'y rendre. Enfin, elle peut demander aux juges de bloquer une URL – même si en tant que démocratie, on le fait avec beaucoup plus de modération que d'autres pays. Un tel blocage n'est par ailleurs pas efficace à 100% puisqu'avec un VPN, on peut le contourner, mais pour 99% des gens, les contenus ne sont de fait plus accessibles.
Aujourd'hui, on fait de plus en plus porter la responsabilité sur les plateformes, à qui on demande de supprimer les contenus qui leur sont signalés, mais on peut aussi interroger la responsabilité des individus qui postent ces vidéos, en particulier devant la justice. [Une enquête avait été lancée par le parquet de Nice dès décembre 2024, notamment pour "violences volontaires", à l'encontre des streameurs qui se filmaient avec Jean Pormanove. Mais "les personnes susceptibles d'être mises en cause", tout comme celles supposées "victimes contestaient la commission d'infractions", avait expliqué le parquet à l'époque.]
Si le droit prévoit déjà des outils, comment expliquer que les contenus en ligne mettant en scène Jean Pormanove aient persisté, alors que l'Arcom était saisie depuis février ?
La difficulté avec Kick, c'est que jusqu'à présent, l'entreprise n'avait pas de représentation sur le sol européen – bien que ça soit une obligation – ce qui empêchait l'Arcom de lui infliger une sanction financière. L'entreprise a désormais nommé quelqu'un à ce poste, et ça sera donc plus facile à l'avenir pour les autorités européennes de discuter avec cette plateforme. Même si la notion d'encadrement est à l'opposé de la promesse de Kick, qui vante la liberté totale et l'absence de modération de son contenu.
Ceci dit, il n'y avait pas besoin que Kick désigne un interlocuteur pour demander le blocage de la plateforme.
"La difficulté, c'est donc d'abord celle des moyens et de la priorité qu'on accorde à certains sujets par rapport à d'autres."
Yann-Maël Larher, avocat spécialiste du droit du numériqueà franceinfo
Ni l'Arcom ni la justice n'ont les moyens de tout contrôler. Elles reçoivent beaucoup de signalements, et elles sont très encombrées. Donc, il faut prioriser. Si cette plateforme avait diffusé des contenus terroristes, on imagine bien qu'ils auraient été bloqués depuis longtemps. Ce qui prime, ce n'est d'ailleurs pas toujours la gravité des faits, mais aussi la médiatisation qui en est faite, car des contenus graves qui circulent sur internet, il y en a des centaines de milliers.
Est-ce qu'il existe d'autres obstacles auxquels se heurtent les différentes autorités françaises pour réguler les contenus des plateformes sur internet ?
On peut aussi mentionner la coordination au niveau européen, qui n'est pas toujours ce qui fonctionne le mieux. Les autorités nationales, comme l'Arcom en France, communiquent entre elles, mais ce n'est pas toujours très efficace et elles n'ont pas toujours toutes la même sensibilité, selon les sujets. La question de la drogue aux Pays-Bas, par exemple, n'est pas taboue comme en France ou en Italie. Donc, on ne va pas avoir des décisions identiques au niveau de chaque autorité nationale, ce qui est d'ailleurs un des arguments de ces sites pour dire qu'ils n'arrivent pas à modérer les contenus en Europe.
Au final, la meilleure façon d'agir pour lutter contre des contenus illicites est parfois de passer par les médias, en comptant sur la peur du scandale des plateformes. Elle est parfois plus efficace pour arrêter une atteinte que le droit lui-même, qui est souvent trop long.
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