Mort de Jean Pormanove : qu'est-ce que Kick, la plateforme de streaming sur laquelle les vidéos de violences en direct étaient diffusées ?

Alors que le streameur français a subi pendant des mois des violences physiques et psychologiques en direct sur internet, les regards se tournent vers cette plateforme de diffusion de vidéo en ligne.

Article rédigé par franceinfo
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Dès sa création en Australie en 2022, Kick s'est positionnée comme concurrente de la plateforme de streaming en direct Twitch, propriété d'Amazon. (JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP)
Dès sa création en Australie en 2022, Kick s'est positionnée comme concurrente de la plateforme de streaming en direct Twitch, propriété d'Amazon. (JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP)

Un homme, Raphaël Graven, plus connu sous les pseudonymes de Jean Pormanove ou JP, maltraité, humilié, insulté et frappé par deux autres influenceurs. Des scènes de violences physiques et psychologiques filmées et diffusées en direct sur internet. Voilà le sordide spectacle auquel des milliers de spectateurs ont assisté durant des mois sur la plateforme Kick. Jusqu'à la mort, en direct toujours, lundi 18 août, du créateur de contenu objet de ces mises en scène sinistres. Alors qu'une enquête a été ouverte par le parquet de Nice pour déterminer les causes du décès de l'influenceur et entendre notamment ses deux partenaires, les regards se tournent vers la plateforme Kick, sur laquelle ces contenus étaient diffusés.

La ministre chargée du numérique Clara Chappaz annoncé sur X, mardi 19 août, avoir contacté la société "pour obtenir des explications", en invoquant "la responsabilité des plateformes en ligne sur la diffusion de contenus illicites". De son côté, l'entreprise Kick s'est dite sur X "profondément attristée par la disparition de Jean Pormanove" et a adressé ses "sincères condoléances à sa famille, à ses amis et à sa communauté". "Tous les co-streamers ayant participé à cette diffusion en direct ont été bannis dans l'attente de l'enquête en cours", a ajouté la marque. Franceinfo revient sur la création et le fonctionnement de Kick, la plateforme de streaming en direct plus que jamais sous le feu des critiques.

Une concurrente du leader mondial de la diffusion en direct, Twitch

Kick est un service de streaming en direct australien, qui propose à des streameurs de diffuser du contenu en direct depuis chez eux. A l'origine, ces plateformes comme Twitch, propriété de l'entreprise Amazon, étaient conçues pour que les créateurs de contenus commentent en direct leurs parties de jeux vidéo, avant que les contenus diffusés ne se diversifient. Le contenu Just Chatting ("simple discussion"), où les streameurs parlent directement à leur communauté, est rapidement devenu la catégorie la plus visionnée sur les deux plateformes.

Le lancement de Kick est intervenu en décembre 2022, peu après la décision de Twitch d'interdire la diffusion de contenus liés aux jeux d'argent. L'objectif des deux fondateurs, Bijan Tehrani et Ed Craven, était de proposer une alternative pour les diffuseurs qui produisaient du contenu sur Stake, leur site de casino en ligne, interdit en France. Dès son lancement, Kick s'est ainsi placé en concurrence de la plateforme d'Amazon.

Twitch reste encore aujourd'hui le numéro un du secteur, avec 2 181 000 spectateurs présents en moyenne sur le mois de juillet, tandis que Kick décompte de son côté 855 000 personnes connectées, selon le site de statistiques Streamcharts. Mais les audiences de l'entreprise australienne sont en constante croissance depuis la fondation de l'entreprise.

Pour attirer des créateurs de contenus et grignoter des parts de marché à son concurrent, Kick a décidé de proposer aux diffuseurs des conditions de rémunérations plus avantageuses concernant les abonnements payants facultatifs achetés par les spectateurs. La plateforme ne prélève ainsi que 5% des sommes versées par les internautes pour s'abonner à des chaînes, là où cette ponction va de 30% à 50% sur la plateforme d'Amazon.

Un refuge pour influenceurs controversés

Pour certains créateurs de contenus, Kick possède aussi l'avantage de proposer des règles de modération plus permissives que Twitch. Le service de streaming en direct est très vite devenu le refuge de tous les influenceurs controversés, jouant d'une image sulfureuse, où presque tous les contenus sont accessibles. "C'est vraiment une échappatoire pour tous ceux qui ne voulaient pas se comporter aussi gentiment que Twitch l'exigeait", expliquait en 2024 au journal australien The Sidney Morning Herald le chercheur Mark Johnson, qui étudie l'industrie du streaming à l'université de Sidney. 

"Kick est beaucoup plus laxiste, beaucoup plus enclin à fermer les yeux."

Mark Johnson, chercheur à l'université de Sidney

à "The Sidney Morning Herald"

La personnalité la plus suivie de Kick, Adin Ross, a ainsi été exclue de la plateforme d'Amazon en 2023. Cet animateur pro-Trump s'est illustré en diffusant de la pornographie en direct ou en invitant des personnalités comme le suprémaciste blanc Nick Fuentes et l'influenceur masculiniste Andrew Tate. La streameuse star américaine Amouranth, temporairement sanctionnée sur Twitch pour des vidéos dont les diffusions avaient été jugées comme ayant un caractère trop sexuel, a, elle aussi, été invitée sur Kick en échange d'un montant non déclaré, selon le média en ligne l'ADN.

Avec de tels créateurs de contenus, Kick est régulièrement l'objet de polémiques. En septembre 2023, une travailleuse du sexe avait ainsi été filmée et retenue de force dans l'appartement du streameur américain Ice Poseidon (de son vrai nom Paul Denino), selon le New York Times. Ce n'est qu'après cette controverse que la plateforme aurait ajouté un bouton de signalement des contenus. Un an plus tard, Kick a exclu deux autres influenceurs américains, l'un pour avoir accidenté une voiture en direct et l'autre pour avoir piégé une femme sans domicile fixe. "Les gens se rendent compte que plus leur contenu est clivant, plus il est choquant, et plus il attire de spectateurs. Cela peut parfois être un mélange dangereux", a concédé dans le même article du New York Times Ed Craven, un des fondateurs du site de streaming.

En France, la plateforme compte dans ses rangs l'influenceur masculiniste Marvel Fitness, condamné en 2021 pour harcèlement moral. De leur côté, Jean Pormanove et l'équipe accusée de l'avoir violenté, étaient, eux aussi, régulièrement bannis de Twitch, ce qui les a conduits à basculer sur Kick. Malgré les signalements de violences physiques et psychologiques, la société faisait fréquemment la promotion de leurs contenus sur les réseaux sociaux par le biais de son compte français, dans des posts supprimés depuis.

Une plateforme déjà signalée au régulateur français du secteur

En février, la Ligue des droits de l'homme a saisi l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour dénoncer "la modération laxiste de Kick" face à de "véritables violences pouvant correspondre à des qualifications pénales". Cette saisine est restée "sans aucune réponse", a certifié la LDH dans un article de Mediapart.

C'est que l'Arcom a été bien en mal de contacter la plateforme, dont le siège social se situe en Australie. L'autorité avait "adressé à Kick.com une requête lui demandant de désigner un représentant légal et un point de contact pour les autorités, comme l'exige le règlement sur les services numériques", a-t-elle déclaré.

Dans un communiqué publié mercredi soir, le régulateur français déclare avoir identifié un représentant légal de Kick basé à Malte. Il annonce être entré en contact avec cette personne "afin d'obtenir des informations détaillées sur les moyens dédiés par le service à la modération francophone, ainsi que sur le cas spécifique de la chaîne 'Jeanpormanove'".

L'entreprise Kick a de son côté répondu aux critiques par le biais de son compte X français : "Tous les co-streamers ayant participé à cette diffusion en direct ont été bannis dans l'attente de l'enquête en cours. Nous nous engageons à collaborer pleinement avec les autorités dans le cadre de ce processus." 

Le député socialiste Arthur Delaporte, président de la commission parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, s'est dit sur franceinfo "sidéré" par "l'impuissance" des pouvoirs publics et judiciaires à réguler ce type de contenus en ligne. Il a notamment déploré "un flou" pour déterminer l'institution responsable des régulations en ligne, entre l'Union européenne et l'Arcom.

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