"Ce 14 octobre 2022, Dahbia décide seule de ce qu’il advient de Lola" : la "toute-puissance" de l'accusée au cœur des plaidoiries des parties civiles
Dans une salle d'audience chargée d’émotion, les avocats de la famille de la collégienne ont retracé jeudi son calvaire et souligné la résilience de ses proches, trois ans après le crime.
"On en a partagé, des nausées, à cette audience..." Au cinquième jour du procès de Dahbia Benkired, jeudi 23 octobre, l'atmosphère est lourde dans la salle Victor-Hugo du palais de justice de Paris, l'une des plus exiguës du bâtiment. On y étouffe de chaleur, de tension, d'émotion, en écoutant les plaidoiries des avocats des parties civiles. Ils n'ont à démontrer ni l'atrocité du crime – le viol, la torture et le meurtre de Lola – ni la culpabilité de l'accusée, qui reconnaît presque tout, sauf les pénétrations, qu'elle persiste à nier malgré les expertises.
En revanche, ils tiennent à rendre compte de la "résilience" d'une famille qui, depuis trois ans, tente de respirer à travers le souvenir de la jeune fille. Karine Bourdié, qui représente la famille de Lola aux côté de Clotilde Lepetit, est la première à prendre la parole. Sa voix ne vacille pas. "Il est des audiences qui, plus que d'autres, commandent à se réchauffer d'un peu d'humanité", commence-t-elle.
"Dès le premier instant, le piège s'est refermé"
Elle tient à saluer ceux qui, chaque jour, côtoient l'abîme : "Les enquêteurs, les juges d'instruction, les psychologues, les avocats, évidemment". Et puis, elle se tourne vers ceux qui sont confrontés à des "faits insoutenables" depuis près d'une semaine, sans la moindre formation qui les y prépare : les jurés. "En rentrant chez moi, hier, en voyant des gens qui riaient et qui allaient boire des verres, je me suis demandée quand est-ce que vous, vous alliez pouvoir rentrer chez vous". Elle les remercie d'avoir tenu bon, malgré la violence du dossier, malgré la nécessité de désigner quatre jurés supplémentaires tant la charge est lourde.
"A l’issue des débats, plus personne n’ignore rien des sévices, des viols, de la terreur."
Karine Bourdié, avocate de la famille de Lolapendant sa plaidoirie
Mais demeure une question, celle qui "renferme tout l'insoutenable" : pourquoi Dahbia Benkired a-t-elle commis ces faits ? "Nous ne saurons jamais", admet l'avocate. Sur le banc des parties civiles, les yeux s'embuent. Elle poursuit : comment Lola a-t-elle pu suivre son bourreau ? Cette fois, tranche-t-elle, il n'y a pas de mystère. "Dahbia a réussi parce qu'elle l'a forcée, dès le premier instant. Dès le premier instant, le piège s'est refermé."
Pour autant, l'avocate se refuse au manichéisme, affirmant ne pas douter "un instant qu'il a fallu être sacrément carencée pour commettre les faits reprochés", en référence au parcours chaotique de l'accusée. Elle lui oppose toutefois, d'emblée, le principe de responsabilité, se disant "affligée de voir que dans le box des accusés, rien n'a avancé depuis le jour 1." Avant de se rasseoir, les mains un peu tremblantes, elle adresse une promesse à ses clients : celle de ne plus jamais "gâcher une miette du bonheur de caresser la joue de (ses) enfants", et de "cesser de râler quand il s'agit de ramasser les chaussettes qui traînent".
Une accusée "qui a besoin de l'autre pour instaurer un rapport de domination"
Clotilde Lepetit, sa consœur, a la voix étouffée de sanglots lorsqu'elle lui succède. "Comment apprivoiser l'inconcevable ? Depuis ce jour-là, plus rien ne colle avec l'horreur", dit-elle, la gorge serrée. Cette "professionnelle de la douleur" ne sait plus comment "dire la douleur", arguant toucher à "l'impasse de son métier" lorsqu'il faut évoquer Lola et "ses photos de corps meurtri à jamais figé dans la scène de crime".
Elle parle de Delphine Daviet-Ropital, la mère de la victime, qui parfois lui écrit pour dire qu'elle ne ressent plus rien. "Quand on lui dit 'à tout à l'heure', Delphine sait que rien ne dit de l'heure qui va suivre." Elle évoque aussi le père de la victime, mort depuis les faits, qui "n'a plus tenu debout". Et puis, cette culpabilité qui ronge ceux qui restent : la mère qui ne supporte plus la sieste qu'elle a faite le jour des faits, le frère qui regrette d'être allé chez le coiffeur et d'avoir emprunté le mauvais chemin, celui qui ne lui a pas permis de croiser – et sauver – sa sœur. "A l'enterrement de son père, il lui a dit : 'Dis à ma sœur de m'envoyer un signe, dis-lui de me pardonner'", confie l'avocate.
"Ce que la vie est précieuse d’être juste normale... Ils le savent, eux."
Clotilde Lepetit, avocate de la famille de Lolapendant sa plaidoirie
La Fondation pour l'enfance et Innocence en danger, toutes deux parties civiles, prennent à leur tour la parole. L'avocate de la première association rappelle combien le meurtre de Lola, "un meurtre sexuel sur une enfant de 12 ans", incarne cette escalade brutale où la violence conduit au meurtre. Le matin même, les psychiatres ont décrit Dahbia Benkired comme une femme "qui a besoin de l'autre pour exister, pour instaurer un rapport de domination (...) qui investit l'autre comme un objet qu'on prend, qu'on casse, qu'on jette". "Ce 14 octobre 2022, Dahbia décide seule de ce qu’il advient de Lola. C’est l’apogée de sa toute-puissance", lance Salomé Busson-Prin.
"On n'a pas assez dit que madame Benkired est lâche"
L'avocate parle doucement, d'une voix grave : "Elle traite Lola comme un objet. Quand elle a fini, elle la met dans une malle, à la place des jouets et des livres qui y étaient rangés." Pour Mathias Darmon, qui représente Innocence en danger, cette malle représente "l'incarnation de la cruauté, de la lâcheté". "On n'a pas assez dit que madame Benkired est lâche. Lâche parce qu'elle s'en prend à une enfant de 12 ans, parce qu'elle n'assume rien, parce que c'est toujours la faute des autres", martèle-t-il. L'avocat rappelle les mots utilisés la veille à la barre par les proches de la victime : "Cette chose, ce monstre, ce diable". Sa voix monte, il la fixe. Elle, vêtue d'un haut blanc et d'un gilet noir, reste absente, le regard vide. "Ce que vous êtes, madame Benkired, c'est une criminelle. Personne n'a peur de vous."
"Lola est là, elle est partout", poursuit l'avocat en désignant la salle, les proches, les visages baignés de larmes. "Elle qui représentait l'innocence, la grâce – championne de gymnastique quand même. Elle était trop forte, Lola, trop forte. Beaucoup plus que vous, madame Benkired. Et tellement courageuse." L'accusée ne cille pas. "Ce procès, c'est un océan de tristesse", souffle Mathias Darmon. Le verdict est attendu vendredi soir. Dahbia Benkired encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
À regarder
-
Vagues, rafales : la tempête Benjamin a battu des records
-
Tempête Benjamin : sauvetage en pleine mer
-
Nouvelle-Calédonie : 50 détenus attaquent l'État en justice
-
Cancer : grains de beauté sous surveillance grâce à l'IA
-
La langue des signes est-elle en train de mourir ?
-
Un malade de Parkinson retrouve l'usage de ses jambes
-
Ils crient tous ensemble (et c'est ok)
-
Obligée de payer une pension à sa mère maltraitante
-
Maison Blanche : Donald Trump s'offre une salle de bal
-
Musée du Louvre : de nouvelles images du cambriolage
-
Traverser ou scroller, il faut choisir
-
Manuel Valls ne veut pas vivre avec des regrets
-
Nicolas Sarkozy : protégé par des policiers en prison
-
Piétons zombies : les dangers du téléphone
-
Tempête "Benjamin" : des annulations de trains en cascade
-
Femme séquestrée : enfermée 5 ans dans un garage
-
Vaccin anti-Covid et cancer, le retour des antivax
-
A 14 ans, il a créé son propre pays
-
Ils piratent Pronote et finissent en prison
-
Aéroports régionaux : argent public pour jets privés
-
Bali : des inondations liées au surtourisme
-
Cambriolage au Louvre : une nacelle au cœur de l'enquête
-
Alpinisme : exploit français dans l'Himalaya
-
Un objet percute un Boeing 737 et blesse un pilote
-
Cambriolage au Louvre : où en est l'enquête ?
-
Jean-Yves Le Drian défend l'image de la France
-
Chine : 16 000 drones dans le ciel, un nouveau record du monde
-
Donald Trump lance de (très) grands travaux à la Maison Blanche
-
Glissement de terrain : des appartements envahis par la boue
-
Emmanuel Macron sème la confusion sur la réforme des retraites
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter