Attaque au couteau à Nantes : pourquoi ce drame remet en lumière la question de la santé mentale des jeunes

Article rédigé par franceinfo
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Deux jeunes femmes s'étreignent à l'occasion d'un hommage organisé à Nantes (Loire-Atlantique), le 25 avril 2025, au lendemain de l'attaque au couteau qui a tué une lycéenne de 15 ans et fait trois blessés. (LOIC VENANCE / AFP)
Deux jeunes femmes s'étreignent à l'occasion d'un hommage organisé à Nantes (Loire-Atlantique), le 25 avril 2025, au lendemain de l'attaque au couteau qui a tué une lycéenne de 15 ans et fait trois blessés. (LOIC VENANCE / AFP)

L'attaque au couteau survenue jeudi à Nantes, au cours de laquelle un adolescent a tué une autre lycéenne avant d'être hospitalisé en psychiatrie, fait ressurgir des inquiétudes de longue date sur la santé mentale des jeunes et l'insuffisance des moyens pour y répondre.

"Ce drame met en lumière les enjeux de santé mentale." En marge d'un déplacement à Gif-sur-Yvette (Essonne), vendredi 25 avril, la ministre de l'Education nationale, Elisabeth Borne, s'est exprimée sur le drame survenu la veille au sein du groupe scolaire Notre-Dame-de-Toutes-Aides, à Nantes (Loire-Atlantique). En milieu de journée jeudi, un élève de seconde s'est attaqué à des camarades, tuant une adolescente de 15 ans de 57 coups de couteau et en blessant trois autres, dont un grièvement, avant d'être maîtrisé par le corps enseignant et interpellé.

L'enquête est en cours pour tenter de déterminer les raisons du passage à l'acte du suspect, mais le drame met en lumière l'impuissance du monde scolaire, mais aussi de la société tout entière, face à un tel acte de violence. Les premiers éléments révélés par le procureur de la République de Nantes, Antoine Leroy, font état d'un profil "suicidaire". En raison de son état constaté par un psychiatre, il a été interné dans un centre de soins. Depuis jeudi, politiques, enseignants et parents d'élèves pointent dans ce contexte des lacunes dans la prise en charge des enfants et des adolescents, de plus en plus nombreux à exprimer un mal-être dangereux tant pour eux-mêmes que pour les autres. 

Le suspect était suivi et présente un profil "suicidaire" 

Dès jeudi soir, la garde à vue du lycéen suspecté a été levée pour permettre son internement. "Le psychiatre ayant procédé à l'examen du mis en cause a conclu à l'incompatibilité de son état de santé avec la mesure de garde à vue en cours", a précisé le procureur de Nantes. Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) a jugé samedi sur franceinfo l'état psychiatrique de l'auteur de l'attaque au couteau "hors norme en termes de pathologie" . Selon lui, "une telle violence" de la part d'un adolescent de 16 ans "est exceptionnelle à tout âge, mais encore plus à cet âge-là".

Les témoignages recueillis par France 2 font part de propos inquiétants tenus par l'adolescent les jours qui ont précédé l'attaque, ou d'attitudes étranges. "Réservé", "sombre", il avait été convoqué par le directeur adjoint de l'établissement avant les vacances scolaires pour des dessins à la gloire du Troisième Reich et d'Adolf Hitler. Il avait, selon un lycéen, couper les cheveux d'un élève qui dormait "sans aucune raison" pendant un voyage scolaire. Le procureur de la République a évoqué un garçon "extrêmement solitaire", qui avait "peu d'amis". Il a aussi décrit le profil "suicidaire" de l'adolescent, qui a écrit plusieurs phrases au feutre sur les murs des toilettes de son collège. Dans l'une d'elles, il fait part de son souhait qu'on "lui tranche la gorge".

Avant son passage à l'acte, l'adolescent a envoyé par e-mail à tous les élèves un texte titré "L'action immunitaire", où il dénonce notamment un "écocide globalisé" et un "conditionnement social totalitaire". Dans les toilettes, il s'est également scarifié "sur le front" avec son couteau, a précisé le procureur Antoine Leroy vendredi soir. Le psychiatre Antoine Pelissolo rappelle que les "automutilations, les scarifications" sont "l'un des signes de souffrance de l'adolescence et que l'on voit de plus en plus ces dernières années". Pour lui, il s'agit là "d'une histoire de trouble mental grave (...), il y a une rupture de tout contact avec la réalité".

"On peut penser qu'il y a un cran qui a été passé brutalement et non repéré."

Antoine Pelissolo, psychiatre

sur franceinfo

"Ses difficultés ont été repérées" et le lycéen avait commencé à être "pris en charge", a pourtant assuré le procureur lors de sa conférence de presse. A la demande de sa mère, l'adolescent avait consulté des professionnels à six reprises en quatre mois à la Maison des adolescents de Nantes. "Ce n'est pas énorme, six rendez-vous, relativise le psychiatre Antoine Pelissolo. Ça veut dire qu'à chaque fois, il faut prendre le temps, analyser les choses. Là, je pense que c'était impossible d'anticiper les choses, car souvent, c'est d'une heure à l'autre, le déclenchement de ces crises."

L'attaque s'inscrit dans un contexte de hausse des souffrances psychiques chez les adolescents

Le drame survenu au lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides s'inscrit dans un contexte d'alertes répétées sur la santé mentale des adolescents, notamment depuis la crise du Covid-19. "Les enfants en France vont très mal", a insisté vendredi matin au micro de Sud Radio la députée écologiste Sandrine Rousseau. "Le taux de suicide ou de tentatives de suicides chez les jeunes femmes [de 10 à 19 ans] a augmenté de 570% [entre 2007 et 2024], a-t-elle alerté, citant un rapport d'information parlementaire déposé en décembre.

Ronan Dantec, sénateur écologiste de Loire-Atlantique, a appelé vendredi sur franceinfo à faire de la santé mentale des jeunes "une grande cause nationale" : "Il faut mettre énormément de moyens sur la santé mentale, notamment la santé mentale des adolescents."

"Il y a des demandes de tous les côtés, il y a des enfants qui vont mal et qui font des tentatives de suicide, qui développent des phobies scolaires, qui s'automutilent et on n'a absolument pas les moyens de répondre à cette détresse", alertait déjà le 25 mars sur franceinfo le psychiatre Serge Hefez, coprésident de la commission parentalité mise en place par Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles. Citant la pandémie comme un "élément déclencheur", il dénonçait "une augmentation considérable des demandes à moyens constants, voire à moyens inférieurs" pour prendre en charge cette population. 

Alors que le nombre d'adolescents et de jeunes adultes qui ont consulté en service de psychiatrie a augmenté de 32% en 2024 dans les hôpitaux publics par rapport aux prévisions de la Fédération hospitalière de France, la psychiatre Marie Rose Moro, spécialiste de l'enfant et de l'adolescent, alertait elle aussi sur le "besoin" de professionnels formés pour venir en aide à ces populations : "Tous les rapports depuis dix ans disent qu'il n'y a pas assez de psychiatres, de pédopsychiatres, qu'il n'y a pas assez de personnes qui travaillent dans les équipes : infirmières, psychologues, psychomotriciens", déclarait-elle au micro de franceinfo.

Les milieux éducatifs appellent à l'aide pour mieux identifier les élèves en souffrance  

Pour le porte-parole de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep), Laurent Zameczkowski, ce manque de moyens face au défi de la santé psychique des adolescents s'observe aussi en milieu scolaire. "Il peut y avoir un établissement avec 2 000 élèves sans personne à aller voir quand vous avez un problème", a-t-il dénoncé vendredi matin sur franceinfo. Dans un communiqué intitulé "Comment prévenir les drames, quand nous sommes seules, débordées, empêchées ?", le Syndicat national des Infirmièr(e)s Conseillèr(e)s de Santé (SNICS-FSU), a déclaré qu'on trouvait à ce jour "une infirmière pour plus de 1 800 élèves et étudiants". 

Le Premier ministre, François Bayrou, a demandé à la ministre de l'Education nationale et au ministre de l'Intérieur de permettre "une intensification des contrôles (...) aux abords et au sein des établissements scolaires" et de faire des propositions pour endiguer les violences à l'arme blanche à l'école. "Ceux qui agitent la question des portiques ou des fouilles systématiques se trompent, a réagi vendredi matin sur France Inter le secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN), Bruno Bobkiewicz. Il s'agit à mon sens d'une question de santé mentale. Il faudrait travailler davantage cette question, renforcer les pôles médico-sociaux et évidemment faire en sorte que déjà, a minima, les postes de psychologues soient pourvus, ce qui n'est pas le cas."

"On constate, depuis le Covid, une augmentation importante du nombre de jeunes qui vont mal."

Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN

sur France Inter

"Il faut briser les murs entre l'école et l'extérieur, entre les structures de prise en charge de santé mentale dans le pays", préconise sur franceinfo Robin Reda, ancien député à l'origine en 2023 d'un rapport parlementaire sur la médecine scolaire et la santé à l'école. Il évoque notamment la difficulté d'aller voir un psy, avec des parents parfois "réticents" ou l'enfant lui-même, car c'est "mal vu".

Les syndicats ont largement pointé de leur côté une situation de "misère en termes de politique de santé" dans les établissements scolaires, comme Philippe Legrand, ancien enseignant au collège Notre-Dame-de-Toutes-Aides et membre du bureau régional de la CGT. "On manque de professionnels de santé, on manque d'infirmières scolaires, on manque de médecins scolaires, on manque de psychiatres, on manque de psychologues", a-t-il détaillé sur franceinfo, appelant le gouvernement à "se [pencher] sur cette question de la santé des enfants et sur la question des moyens".


Si vous avez des pensées suicidaires, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne en souffrance, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro national 31 14 est joignable 24h/24 et 7j/7 et met à disposition des ressources sur son site . L'association Suicide écoute propose un service similaire au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont disponibles sur le site du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités .

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