Proposition de loi Duplomb : l'étonnante stratégie des partisans du texte qui vont déposer une motion de rejet… pour avoir plus de chances de le faire adopter

La loi agricole, qui divise l'Assemblée sur la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes, arrive lundi dans l'hémicycle pour une première séance... qui pourrait être la dernière. Explications.

Article rédigé par franceinfo
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Des agriculteurs devant l'Assemblée nationale à Paris, le 26 mai 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS / AFP)
Des agriculteurs devant l'Assemblée nationale à Paris, le 26 mai 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS / AFP)

Étonnante stratégie politique. La loi agricole dite Duplomb, qui divise l'Assemblée sur la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes, arrive lundi 26 mai dans l'hémicycle pour une première séance qui pourrait être la dernière : le bloc central espère contourner la multitude d'amendements déposés par les écologistes et insoumis par une motion de rejet tactique.

C'est le scénario singulier que pourrait écrire en fin d'après-midi l'Assemblée nationale, scrutée par des agriculteurs, dont les premiers tracteurs étaient en place pour une manifestation aux abords du palais Bourbon à l'appel des Jeunes agriculteurs et de la FNSEA.

Une "motion de rejet préalable"

Cela peut donc paraître contre-intuitif, mais la droite et le centre, qui soutiennent cette loi, vont bien utiliser un stratagème parlementaire pour faire échouer le texte d'entrée de jeu. Un cadre de la coalition gouvernementale fait les comptes : avec 3500 amendements (certains seront irrecevables ou retirés), dont 1500 écologistes et 800 insoumis, tous hostiles au texte, "il faudrait 100 à 150 heures de débat".

Impossible, donc, matériellement d'aller au bout de l'examen d'ici la fin de semaine. De fait, la droite et le centre dénoncent "l'obstruction" de la gauche. Aussi, pour éviter de finir avec un texte non voté, ses partisans dégainent une "motion de rejet préalable". Les Républicains, Renaissance et le Modem sont d'accord pour la voter et ainsi retoquer le texte. Ils comptent également sur les voix du RN pour mener à bien l'opération. Pour la gauche, cela risque donc de tourner au "tel est pris qui croyait prendre".

Ajoutant au baroque, c'est le député-rapporteur de ce texte, le LR Julien Dive, visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur" qui a lui-même déposé une motion de rejet, qu'il pourrait défendre à la tribune pour contourner le "mur d'amendements". Les députés favorables à l'essentiel de cette loi, soutenue par la ministre de l'Agriculture Annie Genevard (LR), se mobiliseront donc pour la rejeter.

Vers un retour dans l'Assemblée... sans débat

Reste donc la question clé : quel est l'intérêt d'une telle manœuvre ? Si la loi Duplomb est rejetée, elle ira directement en commission mixte paritaire. Cette réunion de sept députés et sept sénateurs - où la droite et le centre sont majoritaires - est chargée de finaliser la copie... qui reviendra ensuite à l'Assemblée nationale, mais uniquement pour un vote sans débat.

La version du texte adoptée au Sénat à l'initiative du sénateur LR Laurent Duplomb ne manque en effet pas de diviser les députés : à commencer par la réintroduction, à titre dérogatoire, de l'acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018. Ses effets chez l'humain font l'objet d'inquiétudes, même si ces risques restent incertains, par manque d'études d'ampleur. Autorisé ailleurs en Europe, il est notamment réclamé par les filières de betterave ou de noisette, qui estiment n'avoir aucune autre solution contre les ravageurs. A contrario, les apiculteurs mettent en garde contre "un tueur d'abeilles".

Ce "tour de passe-passe passe", comme l'assurent déjà certains députés, est d'ailleurs plutôt bien vu par les agriculteurs. Le président de la FNSEA Arnaud Rousseau a ainsi appelé "les parlementaires qui [les] soutiennent à voter cette motion de rejet" au micro de franceinfo. "Ce qui intéresse les agriculteurs que je représente, c'est qu'au terme de ce débat, on puisse avoir un texte qui soit rapidement efficace", a-t-il rappelé, tout en regrettant "qu'il n'y ait pas de débat". Enfin, le gouvernement lui-même aussi voit cette tactique d'un bon œil : il ne veut surtout pas raviver la colère agriculteurs, qui ont déjà ressorti les tracteurs.

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