Vrai ou faux Des erreurs de calcul de la taxe foncière concernent-elles de nombreux particuliers ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
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Temps de lecture : 10min
Un avis de taxe foncière pour 2024 adressé à un ménage résidant à Auterive (Haute-Garonne), le 7 octobre 2024. (SEBASTIEN LAPEYRERE / HANS LUCAS / AFP)
Un avis de taxe foncière pour 2024 adressé à un ménage résidant à Auterive (Haute-Garonne), le 7 octobre 2024. (SEBASTIEN LAPEYRERE / HANS LUCAS / AFP)

Des erreurs d'évaluation du montant de cet impôt local sont jugées fréquentes par les experts fiscalistes, notamment en raison de bases de calcul anciennes. La Direction générale des finances publiques juge toutefois les ordres de grandeurs évoqués "exagérés". Des réclamations sont possibles et sont d'ailleurs en hausse.

Déclarer la suppression d'une pièce ou d'une baignoire, consulter la fiche d'évaluation de son bien sur le site des impôts… Depuis l'arrivée des premiers avis de taxe foncière, fin août, de nombreux experts en droit fiscal dispensent dans la presse leurs conseils pour réduire le montant de cet impôt auxquels sont soumis les propriétaires de biens immobiliers. Il s'élevait en moyenne à 1 082 euros pour les particuliers en 2024, selon une note de la direction générale des Finances publiques (DGFIP). Un chiffre en hausse de 5,7% par rapport à 2023, notamment sous l'effet de l'inflation.

Pour appeler les contribuables à la vigilance, certains professionnels mettent en avant un argument massue : beaucoup de ces avis seraient erronés. "Plus de la moitié des taxes foncières sont surimposées", assurait Gwenn Quéro, ancien inspecteur des finances et juriste chez Néora Avocats, fin août au Figaro. "Près de quatre logements sur 10 seraient concernés par une erreur de calcul", avance de son côté le service de gestion locative BailFacile. Ces ordres de grandeur sont-ils corrects ? Faut-il passer au crible son avis de taxe foncière dans l'espoir de la payer moins cher ? Alors qu'approche la date limite de paiement, fixée au 20 octobre minuit, si vous payez en ligne, franceinfo démêle le vrai du faux.

Des avis "surévalués", mais d'autres "sous-évalués"

Prélevée chaque année par les collectivités locales, la taxe foncière permet de financer les services publics des communes (écoles, voiries, parcs…). Elle se divise en deux catégories : la taxe foncière sur les propriétés bâties, habitations, locaux professionnels ou industriels d'une part, et celle sur les propriétés non bâties d'autre part. En 2024, un peu plus de 33 millions de propriétaires, dont la quasi-totalité de particuliers (94,7%), se sont acquittés de 53,6 milliards d'euros sur leurs propriétés bâties, selon la DGFIP. Et 17 millions de propriétaires ont payé un total de 1,7 milliard d'euros sur leurs propriétés non bâties (comme les terrains à bâtir, les étangs, les bois ou les pâtures…).

Ces propriétaires sont-ils en majorité "surimposés" ? "Oui", assure Manon Bellin, directrice du cabinet Néora Avocats, qui accompagne les contribuables dans leurs réclamations sur les impôts locaux et propose notamment un simulateur en ligne gratuit permettant d'estimer le montant de sa taxe foncière. "Ce constat provient de notre propre expérience", précise-t-elle. De façon plus globale, "presque 100% des avis [de taxe foncière] sont faux, parce qu'ils sont surévalués ou sous-évalués", estime l'avocate fiscaliste, s'appuyant sur une centaine de dossiers traités en quatre ans.

David Dricourt, fondateur du cabinet Fiscallia, établit un constat plus nuancé. Sur près de 5 000 audits réalisés par son équipe sur des biens immobiliers, "l'imposition est correcte pour 40%", estime auprès de franceinfo l'expert en fiscalité locale. "Pour les 60% restants, il y a un défaut, dont la moitié est issue d'une surimposition, l'autre d'une sous-imposition", précise-t-il. Autrement dit, la surimposition ne touche que 30% des cas étudiés. L'avocat dénombre toutefois "moins d'erreurs sur les habitations que sur les locaux commerciaux".

Karine Ambroise, fondatrice du cabinet Ambroise Avocats, juge pour sa part que la taxe foncière sur les habitations est en général "sous-évaluée", aussi bien à cause d'erreurs de calcul de l'administration que de déclarations erronées par le contribuable. Interrogée par franceinfo sur ces éventuelles erreurs de calcul, la DGFIP soutient que ces chiffres sont "clairement exagérés". "Annoncer un chiffre de 100% et même de 50% d'avis erronés n'a aucun sens", rétorque l'administration fiscale, rappelant qu'il est "tout à fait possible pour les propriétaires d'accéder aux éléments d'évaluation de leurs biens, et le cas échéant d'actualiser ces éléments s'ils ont un doute".

Une base de calcul datant de 1970

L'ensemble des experts interrogés par franceinfo s'accordent sur la complexité du calcul de la taxe foncière – en particulier en ce qui concerne les habitations. "C'est une équation à quinze termes", résume l'avocate Karine Ambroise. "Il y a une opacité sur un certain nombre de critères, et le contribuable peut s'y perdre", relève également Sylvain Grataloup, président de l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI).

Comment est évalué cet impôt ? Son calcul repose sur deux critères principaux : la valeur locative cadastrale (VLC), fixée par Bercy, et le taux d'imposition, voté par chaque collectivité territoriale. La VLC correspond "au loyer annuel théorique que pourrait produire un immeuble bâti ou non bâti, s'il était loué dans des conditions normales", précise l'administration dans une brochure sur les impôts locaux (PDF). Mais cette valeur de référence est adossée aux critères du marché locatif de 1970 pour les propriétés bâties. Des "paramètres datés", selon un rapport de la Cour des comptes, ayant généré "d'importantes incohérences entre ces bases anciennes et leur valeur locative actuelle sur le marché, créant des inégalités d'imposition". "Ces règles tiennent compte des standards de confort de l'époque, ce qui peut rendre leur application moins adaptée aux réalités actuelles du marché", admet de son côté Bercy.

La loi de finances 2020 proposait une révision des modalités de calcul de la valeur locative cadastrale pour les logements à partir de 2026, mais sa mise en œuvre a été repoussée à 2028. En attendant, l'administration compense l'écart avec le marché réel en appliquant une série de coefficients correctifs sur la valeur locative. Parmi ceux-ci, le coefficient "correctif d'ensemble", qui intègre l'état d'entretien du bien, sa situation géographique ou la présence d'un ascenseur dans un immeuble, est particulièrement scruté par les professionnels. "Ce correctif-là repose sur des données très subjectives. Il pèse à hauteur de 30 à 40% dans le montant de l'impôt, et a tendance à augmenter", juge David Dricourt. Or "ces hausses sont contestables", estime l'expert. "Il y a des clients qui ont des logements très récents avec des malfaçons sur le gros œuvre, comme une terrasse inondable. Cela peut faire baisser le coefficient d'entretien", un critère mesurant l'état d'entretien d'un bien, pris en compte dans le correctif d'ensemble, souligne de son côté Manon Bellin.

Des réclamations en forte hausse

Les propriétaires sont-ils nombreux à contester leur avis d'imposition ? "Le redevable a peur de l'administration fiscale. Il redoute de voir son impôt augmenter en communiquant de nouvelles informations. Il ne le fait donc pas", explique David Dricourt. En 2023, toutefois, 636 279 demandes d'information et de réclamations au sujet de la taxe foncière ont été adressées en ligne à l'administration fiscale, un nombre qui a presque doublé (+88%) depuis 2021, selon un rapport parlementaire sur les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux. Une part qui reste relativement faible, rapportée aux dizaines de millions de propriétaires qui s'acquittaient de cette taxe en 2023.

Chaque année, Bercy accorde des dégrèvements sur la taxe foncière, à savoir une réduction ou une annulation du montant dû par le contribuable. Selon un rapport parlementaire de 2024 sur les restitutions d'impôts, l'Etat a dégrevé 2,069 milliards d'euros en 2023, dont une grande majorité (1,509 milliard d'euros, soit près de 73%) à la suite de réclamations contentieuses ou gracieuses. Ces contentieux peuvent "relever des sujets d'évaluation ou des sujets d'attribution", précise la DGFIP à franceinfo. Un peu plus d'un quart de ces recours (représentant environ 400 millions d'euros) ont pour origine des erreurs d'attribution – lorsque l'avis d'imposition est envoyé à l'ancien propriétaire, ou qu'il n'est pas envoyé du tout.

"Cela vaut le coup de vérifier"

Fustigeant les promesses faites par la concurrence, Karine Ambroise préfère dissuader les particuliers de contester leur avis d'imposition. "Cette année, c'est la grande mode des coefficients d'entretien. A faire des généralités et de la communication de masse sur la taxe foncière, on risque d'envoyer les contribuables au casse-pipe, et de les exposer à des redressements fiscaux", met-elle en garde.

"Si la base de calcul se fait sur une grange d'il y a trente ans, alors qu'elle s'est transformée en une maison avec des combles aménagés, alors la taxe foncière ne sera pas au bon niveau."

Karine Ambroise, fondatrice de Ambroise Avocats

à franceinfo

"Nous encourageons nos propriétaires à contrôler leur avis. Cela vaut le coup de vérifier", rétorque pour sa part Sylvain Grataloup, président de l'UNPI. L'avocat invite, par exemple, à "vérifier la liste des éléments de confort [eau courante, gaz, baignoire, WC...] supprimés après des travaux", ou encore de chercher sur le site des impôts la classification attribuée à son immeuble. "Il faut que le redevable fasse la reconstruction de valeur locative de son bien au moins une fois dans sa vie, pour savoir si cette valeur est correcte ou non, abonde David Dricourt. Une fois que c'est fait, ils pourront être tranquilles."

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