"Je suis morte à l’intérieur" : un réseau de très jeunes proxénètes jugé pour avoir prostitué des adolescentes de 13 à 15 ans

Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Illustration justice. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Illustration justice. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Sept personnes sont jugées à partir de lundi aux assises des mineurs du Val-d’Oise. Elles sont accusées d’avoir prostitué quatre jeunes filles pendant près d’un an. Des victimes toujours traumatisées aujourd’hui.

Un collégien, des lycéens… Le profil des accusés déconcerte. Une jeune femme et six hommes, mineurs ou jeunes majeurs au moment des faits, sont jugés à partir de lundi 15 septembre pour proxénétisme aggravé sur mineurs de moins de 15 ans par la cour d'assises des mineurs du Val-d'Oise, à Pontoise. Tous sont soupçonnés d'avoir participé à un réseau de prostitution qui a mis sous leur coupe quatre très jeunes adolescentes, âgées à l'époque des faits, en 2020, de 13 à 15 ans.  

Toutes les quatre ont donc été exploitées sexuellement dans des hôtels à Cergy (Val-d'Oise). Les passes avaient lieu aussi très régulièrement dans les voitures des clients. L'enquête démarre vraiment le 18 mars 2022 grâce à un renseignement anonyme.

Une traque de plusieurs mois

Les policiers sont restés dans l'ombre pendant des mois, ils ont multiplié les écoutes et les filatures. Et ils ont finalement réussi à comprendre le rôle de chacun, en particulier celui d'un homme de 19 ans retrouvé dans une chambre d'hôtel, début octobre 2021, en compagnie une adolescente de 14 ans, en fugue d'un foyer de Montmorency. Il s'agit de Warren M., un homme que les enquêteurs ont fini par qualifier de "tête de réseau", décrit par les protagonistes du dossier pour son agressivité et son impulsivité, préoccupé par une seule chose : la rentabilité. 

Une des jeunes filles, en particulier en a fait les frais. Emma* (prénom d'emprunt), âgée de 13 ans au moment des faits. Warren M. est accusé de l'avoir prostitué pendant près d'un an entre 2021 et 2022, les trois autres ont été exploitées quelques semaines ou quelques mois. Elle était forcée de réaliser des prestations sexuelles "à un rythme quotidien particulièrement élevé, matérialisant ainsi le caractère lucratif des faits", peut-on lire dans l'ordonnance de mise en accusation qui renvoie les sept personnes aux assises. Les enquêteurs ont compté : cette enfant a dû faire une quarantaine de passes en moins d'un mois.

"Ils m'ont tuée"

Toutes ces adolescentes ont un point un commun : leur vulnérabilité. Les experts psychologues qui les ont entendues relèvent pour l'une d'entre elles, Lina*, "une déshumanisation et un marchandage de son corps préexistant aux faits, dans un contexte de développement psychoaffectif et identitaire fortement perturbé depuis plusieurs années". Trois de ces quatre adolescentes étaient placées en foyer de l'Aide sociale à l'Enfance (ASE) et multipliaient les fugues. Elles étaient alors immédiatement récupérées par les proxénètes.

Cinq ans après le début de la mise en place de ce réseau, ces jeunes filles sont encore traumatisées, comme l'affirme Marion Ménage, l'une de leurs avocates. "Il y en a une qui a refusé d'aller voir le psychologue parce qu'elle refuse absolument de parler de ce qui s'est passé. Il y en a une qui est capable de dire ‘je suis morte à l'intérieur, ils m'ont tuée je suis morte à l'intérieur'. C'est glaçant", dénonce l'avocate. "On se dit, mais quel cauchemar !".

"Comment vont-elles aujourd’hui construire leur vie de femme ? Comment vont-elles réussir à avancer dans la vie alors qu’elles commencent leur vie d’adulte avec le postulat qu’elles sont mortes à l’intérieur ?"

Marion Ménage, avocate des victimes

à franceinfo

Pour le juge d'instruction en charge de l'affaire, "les quatre parties civiles sont caractérisées par une grande fragilité en raison de leur parcours de vie". Des proies faciles donc pour ces proxénètes : des lycéens, un collégien, de jeunes majeurs sans emploi. Les enquêteurs ont mis au jour une équipe très bien organisée, très hiérarchisée, avec à leur tête Warren M. "On a ceux qui sont là pour les conduire, on a ceux qui sont là pour les surveiller, ceux qui sont là pour passer les petites annonces et ces jeunes n'ont absolument aucune notion, ni aucun respect ni des jeunes filles dans leur intégrité psychique, ni des jeunes filles dans leur intégrité psychique", dénonce Caty Richard, avocate de l'une de ces adolescentes et de l'association "Innocence en Danger", partie civile dans ce dossier.

Le profil d'un "psychopathe"

Décrivant Warren M., Lina a parlé de lui comme d'un "psychopathe, comme dans les films américains". Le seul, selon les enquêteurs, à avoir profité de manière "significative" de l'argent des passes. Un homme qui une fois arrêté et incarcéré dans le cadre de cette affaire, a quand même tout fait pour garder Emma sous sa coupe, la faisant kidnapper et frapper. Des faits pour lesquels le tribunal correctionnel l'a déjà condamné à cinq ans de prison. "Ils ne ressentent aucune forme de culpabilité", affirme l'avocate Caty Richard.

De son côté, Hedi Dakhlaoui qui défend Warren M. assure que son client a mûri, qu'il reconnaît une partie des faits et assumera sa responsabilité devant la cour d'assises. "Les remords interviennent", explique l'avocat. Le procès va durer quinze jours, à huis clos car il s'agit d'une cour d'assises des mineurs.

Les sept accusés risquent entre 10 et 20 ans de réclusion criminelle pour proxénétisme aggravé. En France, selon les derniers chiffres disponibles, jusqu'à 20 000 mineurs sont concernés par la prostitution. C'est un phénomène qui explose, selon les associations qui défendent ces enfants, avec une hausse de 70% en cinq ans.

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