Prostitution des mineurs : des victimes de plus en plus jeunes et des affaires multipliées par dix... Ce que révèle une note interne de la police

Article rédigé par Juliette Campion, Eric Pelletier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des éducatrices de l'association L'Amicale du nid essayent d'entrer en contact avec des mineurs sur des plateformes pour les sortir de la prostitution, à Montpellier (Hérault), le 20 mars 2024. (GUILLAUME BONNEFONT / MAXPPP)
Des éducatrices de l'association L'Amicale du nid essayent d'entrer en contact avec des mineurs sur des plateformes pour les sortir de la prostitution, à Montpellier (Hérault), le 20 mars 2024. (GUILLAUME BONNEFONT / MAXPPP)

France Télévisions a eu accès à un document de trois pages du Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) et de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). On vous résume le contenu de cette note.

"Il faut s'attaquer au grand banditisme sur le proxénétisme, c'est un problème national", lançait Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire et ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, il y a quelques semaines sur franceinfo. Une note interne de la police datée du 22 mai, révélée par Le Parisien et à laquelle France Télévisions a eu accès, montre l'ampleur du phénomène de la prostitution de mineurs sur le territoire français.

Rédigée par le Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) et l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), qui a pour mission de démanteler les réseaux de proxénétisme sur tout le territoire français, cette note de trois pages montre une multiplication par dix des affaires entre 2015, où 21 cas de prostitution de mineurs ont été traités par les policiers et gendarmes en France, et 2024, où ils ont eu à gérer 226 affaires de ce type.

Parmi les victimes de prostitution recensées en 2024, 272 étaient mineures et 189 majeures. Les données issues de cette enquête permettent de faire le point sur le profil des proxénètes et de leurs victimes, tout en expliquant les difficultés à sortir celles-ci des réseaux. Voici les principales informations que l'on peut retenir de cette note.

De petits réseaux implantés partout

"Si l'exploitation sexuelle des mineurs par des réseaux internationaux demeure une réalité, elle est largement supplantée par le phénomène dit de 'proxénétisme de proximité' auparavant qualifié de 'proxénétisme de cité' et dont les victimes et auteurs sont quasi exclusivement français", soulignent les policiers dans cette note.

En effet, les victimes mineures sont à 87% de nationalité française, "souvent victimes de violences dans l'enfance non judiciarisées, en rupture familiale, déscolarisées, en fugue ou placées en foyer". Les foyers de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) sont particulièrement pris pour cibles par les proxénètes. La note alerte sur l'âge des victimes, "de plus en plus jeunes, certaines étant âgées de 12 ans, même si la majorité ont plus de quinze ans".

Ceux qui les exploitent sont principalement des hommes, même si on observe une "féminisation" des profils, avec "d'anciennes victimes devenant proxénètes ou recruteuses, souvent en vue de sortir de l'exploitation". Les proxénètes sont souvent "déjà connus des services de police, notamment pour des faits de trafic de stupéfiants", et "perçoivent le proxénétisme comme un moyen de diversifier leur activité criminelle" notamment, précise la police, parce que la sanction pénale leur semble "moins dissuasive".

"Ces réseaux criminels sont organisés en petites structures", c'est-à-dire avec moins de cinq personnes (victimes et proxénètes confondus) qui agissent dans "les centres urbains", ainsi qu'en "périphérie des villes voire dans les zones rurales". Pour éviter de se faire prendre, les proxénètes déplacent "très régulièrement les victimes de ville en ville" et les victimes changent elles-mêmes "régulièrement de proxénètes".

Des victimes recrutées en ligne

La prise de contact entre les victimes et les proxénètes a lieu "de plus en plus souvent" en ligne, même si "une grande partie des recrutements se fait par le biais de proches, de groupes d'amis, dans des foyers ou au sein des quartiers". Les proxénètes publient des offres sur les réseaux sociaux sous des mentions comme "plans sous" dans lesquels ils proposent des "packs" contenant notamment un hébergement et une garantie de sécurité, en échange d'une partie de la rémunération.

Les recrutements se font également sur des applications de rencontre, mais aussi directement sur les réseaux sociaux, pointent les policiers. La note donne les noms de plusieurs plateformes.

"La liste des applications utilisées pour le recrutement comme pour la recherche de clients ne cesse de se renouveler", remarque la police, citant des applications de rencontre. "Les proxénètes gèrent les annonces et peuvent ainsi maîtriser les tarifs et l'emploi du temps des victimes", précise la note.

"La recherche de clients est principalement organisée par des annonces diffusées sur des sites qui, sous couvert d’escorting, proposent en réalité des prestations prostitutionnelles."

Extrait d'une note interne de la police

consultée par France Télévisions

En plus des relations sexuelles physiques, des actes sexuels virtuels impliquant des mineurs se développent également. Il s'agit d'une "tendance émergente" appelée "caming" : soit des vidéos pornographiques live ou enregistrées proposées via des plateformes de contenus payants. "Le 'caming' n'est pas considéré juridiquement comme de la prostitution, mais les liens avec la prostitution physique sont avérés", mentionne la note.

Des proxénètes capables d'emprise 

Les policiers font part de réelles difficultés pour "établir le contact avec les victimes" car "celles-ci ne se considèrent généralement pas comme telles et mettent en avant leur libre arbitre et leur consentement à l'exploitation prostitutionnelle", reprenant à leur compte "le discours des proxénètes, qui valorise l'émancipation par l'argent, perçu comme le seul moyen d'élévation sociale".

Pour mettre à distance l'aspect stigmatisant de la prostitution, les victimes rencontrées par les enquêteurs préfèrent se qualifier d'"escort", de "michetonneuses" ou encore de "sugar baby" plutôt que de "prostituées"

"Il n'existe pas un schéma prostitutionnel mais une pluralité de situations, rendant certaines particulièrement difficiles à détecter pour les services de police et de gendarmerie."

Extrait d'une note interne de la police

consultée par France Télévisions

Les policiers relèvent une forme "d'emprise" des proxénètes "d'autant plus forte que ces victimes, particulièrement vulnérables, sont en recherche de lien affectif". et qu'elles font face à "des comportements fluctuants, allant des marques d'affection à la violence extrême".

Les victimes mineures rapportent "quasi systématiquement" des actes de violence à leur encontre par les proxénètes. Cela va de la séquestration à des viols, parfois collectifs, qualifiés de "tests sexuels" par les auteurs. Ces derniers "maintiennent la victime dans le besoin financier" en leur imposant également des drogues pour "supporter les rapports sexuels répétés", entraînant des situations d'addiction. 

Des clients peu inquiétés

Cette situation d'emprise rend la sortie de l'exploitation sexuelle des victimes mineures "extrêmement difficile" alors que "les traumatismes physiques et psychologiques (dissociation) sont particulièrement marqués chez des jeunes encore en construction", pointe la note de la police, qui regrette "une application timide" de la pénalisation des clients, mise en place depuis 2016 dans le Code pénal.

"Un changement d'approche procédurale s'est toutefois amorcé", se félicite la police, relevant que "les clients identifiés dans les procédures de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle et proxénétisme sont désormais moins auditionnés comme simple témoins, et plus régulièrement en qualité de mis en cause".

La police précise avoir lancé en juin 2024 le premier plan de répression contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle et contre le proxénétisme, qui prévoit notamment un renforcement des moyens humains et une meilleure prise en charge des victimes, via des partenariats renforcés avec les associations compétentes.

Edit : Une première version de cet article faisait apparaitre le nom de plusieurs plateformes et applications, citées dans la note de police. Ils ont été retirés après publication. 

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