: Témoignages "Je suis rincé par le travail, le mal-logement et les inégalités" : cinq Français nous expliquent pourquoi ils vont bloquer la France le 10 septembre
Ils s'appellent Natacha, Jeff, Jacques, Robin, Lucie et ont un objectif : répondre à l'appel à la mobilisation mercredi. Franceinfo a recueilli leurs témoignages.
Combien seront-ils dans les rues, mercredi 10 septembre, pour bloquer la France ? Dans une note, début septembre, les renseignements territoriaux ont estimé à 100 000 le nombre de participants attendus pour "paralyser le pays" par diverses actions "portées notamment par la mouvance d'ultragauche". Une enquête dans les boucles Telegram et Facebook du mouvement, menée par le chercheur de la Fondation Jean-Jaurès Antoine Bristielle, décrit un mouvement fortement politisé à gauche, différent des "gilets jaunes", porté par des revendications sociales et une défiance envers le monde politique. Mais qui sont vraiment les sympathisants du mouvement "Bloquons tout le 10 septembre" ?
Franceinfo a recueilli le témoignage de cinq Français prêts à se mobiliser. Ils s'appellent Natacha*, Jeff, Jacques*, Robin*, Lucie et vivent dans différentes régions de l'Hexagone. Certains cherchent un emploi ou travaillent pour un smic, d'autres cumulent deux emplois ou vivent plus confortablement. Mais ce mercredi 10 septembre, ils seront tous habités par le même objectif : bloquer la France pour se faire entendre.
Jeff, ouvrier : "Ce 10 septembre est politique"
Cela fait quelques semaines que Jeff* s'implique dans le mouvement "Bloquons tout le 10 septembre". Actif sur les réseaux Telegram, qui ont essaimé à travers le pays, cet ouvrier métallurgiste de 42 ans a participé à plusieurs réunions à Romans-sur-Isère (Drôme). "J'y ai vu beaucoup de jeunes très investis et très politisés et j'ai été frappé par l'organisation, les débats et la manière dont on fait de la politique au sens premier du terme", dit celui qui partage des valeurs de gauche "depuis tout petit" mais n'a pas voté depuis 2002, où il avait glissé un bulletin Chirac dans l'urne pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen. "Voter, c'est inefficace, voire toxique."
"On peut être engagé politiquement et militer autrement que par le vote. Et ce 10 septembre est politique : se rassembler, débattre, c'est éminemment politique. J'ai l'impression que ce mouvement est plus construit et moins impulsif que les 'gilets jaunes', les gens s'organisent par localité, se réapproprient l'espace public", dit cet ancien sympathisant de la révolte populaire de 2018. Jeff, qui se dit "rincé par le monde du travail, le mal-logement et les inégalités grandissantes", espère que son quotidien changera si le mouvement prend, même s'il se dit "pessimiste".
"Aujourd'hui, je suis au smic et il n'est pas possible d'acheter. Je ne peux pas emmener mon gamin en vacances, je n'ai pas de loisirs et j'évite la voiture au maximum", souffle l'ouvrier, qui se méfie aussi des médias et de la manière dont ils pourraient décrédibiliser le mouvement, selon lui. "Lors des 'gilets jaunes', on nous a constamment parlé des violences, mais la violence, on lui donne le sens qu'on veut. Je trouve qu'une mère célibataire qui n'arrive pas à se loger, vit d'un temps partiel et saute des repas, c'est plus violent que des vitrines cassées au McDo."
Natacha, en recherche d'emploi : "On nous enfonce la tête et on nous demande de garder le sourire"
Natacha*, 36 ans, se définit comme "une maman solo qu'on laisse dans sa merde". Cette mère d'un bébé de 22 mois vit près de Limoges (Haute-Vienne) et enchaîne les petits boulots en intérim, les périodes de chômage et les moments où elle vit du RSA. "Je touche 600 euros par mois, et je dois payer un loyer, les charges, l'assurance et surtout la nourriture pour ma fille, qui est ma priorité", explique Natacha, obligée d'aller aux Restos du cœur deux fois par mois.
"La vie est devenue chère, et au lieu de nous aider, on nous enfonce la tête et on nous demande de garder le sourire. Mais tout est une galère : pour travailler, il me faut une voiture, mais pour en avoir une, il faut de l'argent et comme je n'en ai pas, je suis obligée de faire du stop." Natacha n'aspire qu'à une chose : trouver un emploi stable et retrouver un peu de sérénité, de confort et d'espoir. Ce 10 septembre, elle bloquera donc la mairie de son petit village, avant pourquoi pas de "bloquer la préfecture de Limoges".
"Si le peuple se bouge, cela changera. Et le seul moyen que cela change, c'est de bloquer", espère Natacha, qui voit dans ce mouvement un réveil citoyen face à un système politique qu'elle juge défaillant. "Les politiques ne pensent qu'à leur nombril", dit celle qui vote blanc à chaque élection et souscrit notamment à l'idée, répandue au sein du mouvement "Bloquons tout", de ne pas utiliser sa carte bancaire mercredi et de retirer ses économies des banques.
Robin, chef de projet : "J'espère qu'on arrivera à ébranler ce système"
Plus que François Bayrou et Emmanuel Macron, c'est le système capitaliste qui met Robin* en colère. Et qui le poussera à bloquer le plus gros axe routier de Vannes (Morbihan) ce 10 septembre. Ce chef de projet au niveau de vie confortable – il gagne 3 000 euros net par mois – milite depuis plusieurs années dans des associations écologistes, et plus récemment dans le social. Il participe aussi à des actions de désobéissance civile car "on vit dans une société de plus en plus inégalitaire envers l'être humain et la nature et il faut y faire quelque chose".
"J'espère qu'on arrivera à ébranler ce système avec ce mouvement. Et qu'on se rendra compte [collectivement] que tous les aspects négatifs de nos vies, quelles que soient notre orientation, notre origine ou notre classe sociale, viennent de ce système trop capitaliste et patriarcal qui nous écrase, nous domine", développe le Breton, qui a voté Jean-Luc Mélenchon à la dernière présidentielle. Il se dit en colère, inquiet. "J'ai aussi peur que rien ne bouge une fois de plus." Et d'ajouter : "Je n'ai pas d'enfant et je ne compte pas en avoir, mais j'ai des nièces et je veux pouvoir supporter leur regard dans vingt ans et leur dire que je ne suis pas resté spectateur face à la machine qui s'emballe."
Lucie, cheffe d'entreprise : "Qu'on arrête de taper sur ceux qui travaillent"
"Quand j'ai entendu parler du projet de suppression de deux jours fériés, j'ai craqué." Lucie dirige une petite entreprise de menuiserie-ébénisterie près de Bordeaux (Gironde). Elle estime que l'Etat demande toujours et uniquement des efforts à ceux qui travaillent. "Il faut qu'on arrête de nous taper dessus. C'est à ceux qui ne travaillent pas d'en faire, nous on est toujours punis."
Cette femme de 41 ans emploie quatre personnes, mais la reprise post-Covid a été semée d'embûches et elle a dû faire un choix : supprimer un poste ou travailler ailleurs. Alors, depuis mars, elle cumule son activité dans l'entreprise avec un emploi dans un cabinet d'architecture. "Pour l'instant, je ne peux pas faire autrement. Les taxes, les impôts et les charges s'accumulent, on est saignés", estime cette mère d'un enfant, qui a l'impression de "vivre moins bien qu'avant".
Mercredi, Lucie ira travailler dans le cabinet d'architecture qui l'emploie mais fermera sa boîte en signe de protestation. Elle qui a toujours voté à droite et votera "pour le Rassemblement national en 2027" est "gênée" par le soutien de la gauche au mouvement, "surtout LFI". "Je n'aime pas leur bordel, leur programme et leur façon de faire."
Jacques, agriculteur : "A gauche comme au RN, on se rejoint sur une chose, on ne veut plus de Macron"
Jacques* se voit comme "un militant révolutionnaire, un sans-culotte". Il en veut à beaucoup de monde, et surtout au président de la République. "Si on en est là, c'est à cause de lui. Emmanuel Macron décide de tout et il doit partir parce qu'il est responsable de tout ça." Cet agriculteur de 52 ans dans la Marne est de gauche, ne se reconnaît pas vraiment dans les partis actuels, mais estime que ce mouvement du 10 septembre doit rassembler au-delà. "A gauche comme chez les pro-Rassemblement national, on se rejoint sur une chose : on ne veut plus de Macron."
Le climat, le pouvoir d'achat ou la santé figurent parmi ses griefs. Des problématiques qu'ils estiment "sacrifiées au profit d'une poignée de personnes qui vont bien". "Il y a 80% de pauvres et 20% de riches déconnectés : les enfants qui dorment dans la rue, les cinq euros d'APL en moins, les 15% qui vivent sous le seuil de pauvreté, c'est eux", juge le militant, habité d'une forte défiance envers les élites et les médias. "Personnellement, je ne me sens pas représenté par les médias, qui désinforment, et où je ne trouve jamais de discours alternatif. Je ressens aussi un décalage avec les politiciens, les Balkany, les Cahuzac qui piquent dans les caisses. Et après on nous dit qu'on est responsables, que c'est la faute des pauvres, des Arabes, des chômeurs."
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.
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