"Bloquons tout le 10 septembre" : les "gilets jaunes" réactivent leurs communautés avant la journée de mobilisation
L'appel à bloquer le pays, né sur les réseaux sociaux, trouve un fort écho dans des réseaux issus des "gilets jaunes". Mais l'irruption de partis politiques et d'organisations syndicales brouille le jeu.
Vers une saison 2 des "gilets jaunes" ? Cela fait déjà plusieurs semaines que des appels aux blocages et aux manifestations sont exprimés sur les réseaux sociaux, avec en ligne de mire le 10 septembre. Difficile de ne pas faire le parallèle avec le mouvement lancé le 17 novembre 2018, à l'origine pour dénoncer une écotaxe sur les carburants. Sept ans plus tard, d'ailleurs, plusieurs figures connues de l'époque sont déjà sur les rangs pour relancer la contestation, notamment sur les réseaux sociaux. "Il y a des réunions qui se font, un peu à droite, à gauche, a encouragé dans une vidéo Maxime Nicolle, figure des "gilets jaunes" aux 158 000 abonnés sur Facebook. A partir du 10 septembre, personne ne sait ce qui va se passer."
Les "gilets jaunes" seraient donc de retour. "Les médias mainstream ont causé énormément de dégâts sur les citoyens français en les discréditant, en les faisant passer pour antisémites, fachos…, réagit auprès de franceinfo le militant, également connu sous le pseudonyme "Fly Rider". C'est pour cette raison que je ne veux pas vous répondre." Cet appel, finit-il par lâcher, s'inscrit dans le prolongement des colères passées. "Le constat est le même. Mais les choses qui sont peut-être les plus importantes, ce sont le référendum d'initiative citoyenne (RIC) et la remise en cause de notre Constitution actuelle. Parce qu'avant les 'gilets jaunes', personne n'en parlait."
"Vous, les médias mainstream, ne comprendrez sûrement pas ce qui va se passer. Mais j'espère qu'il va se passer quelque chose".
Maxime Nicolle, figure historique des "gilets jaunes"à franceinfo
Maxime Nicolle prend soin de préciser qu'il n'est "ni l'initiateur, ni l'organisateur du mouvement". Dans les faits, la plupart des influenceurs "gilets jaunes" ont relayé cet appel.
"Beaucoup de personnes sont en train de critiquer cette date", s'agace dans une vidéo le dénommé Mike Rambo, militant à la tête de la page "Le média de Mike". "Ils essaient de foutre la merde en divisant le peuple, en disant qu'il y a des gens de gauche, des gens de droite, des partis politiques… On leur pisse à la gueule. On n'en veut pas, de ces partis politiques (...). Les syndicalistes également, on n'en veut pas…" John Barlou, autre visage historique, appelle, également dans un message vidéo, à ne plus utiliser "sa putain de carte bleue" et à privilégier les paiements en espèces dès le 10 septembre, pour perturber le système financier et bloquer le pays.
Les communautés se réactivent sur les réseaux sociaux
Il reste difficile d'établir avec certitude la paternité de l'appel. Toujours est-il que la mobilisation a réellement décollé après la publication d'un "document bleu" sur la plateforme X, avec mention de la date du 10 septembre. Le message est publié dans la soirée du 18 juillet, trois jours après le discours sur l'austérité de François Bayrou, et il sera partagé 1,5 million de fois, sans compter les innombrables emprunts. Un blog "mobilisation 10 septembre" est mis en ligne le lendemain, avant d'être supprimé huit jours plus tard. Le site indignonsnous.fr structure désormais en partie le mouvement, tout comme les chaînes Telegram associées. Sans référence directe aux "gilets jaunes".
Quel crédit accorder à tous les messages postés sur les réseaux sociaux ? Selon les informations de franceinfo, de premières constatations vont plutôt dans le sens d'un mouvement d'origine domestique et non d'une manœuvre étrangère coordonnée. Mais des reprises opportunistes par certains acteurs étrangers, prorusses et autres, ont également été observées. Le projet FOX, un groupe qui exploite les sources ouvertes, a identifié sur la plateforme X plusieurs comptes suspects ayant pour but d'amplifier la colère. Ces bots relaient, si besoin, des montages générés par l'intelligence artificielle et de fausses informations.
Les différentes composantes des "gilets jaunes", toujours actives sur Facebook, rebondissent sur cet appel au blocage. De petites assemblées générales ont déjà été organisées dans une vingtaine de villes situées dans toute la France, avec des comptes rendus qui sont ensuite publiés sur une chaîne dédiée du mouvement "Indignons-nous !" – le plus structuré sur le réseau Telegram, à ce stade. Ces réunions physiques ont connu des fortunes variées. Elles ont rassemblé jusqu'à 180 personnes à Grenoble (Isère), une centaine à Toulouse (Haute-Garonne), une soixantaine à Lorient (Morbihan) ou encore une trentaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Certains participants sont novices, mais les discussions restent marquées par l'héritage du mouvement de 2018. "Il s'agissait bien d'une rencontre de 'gilets jaunes', consigne le compte rendu de l'AG de Pont-l'Abbé (Finistère). Presque tous les mobilisés se revendiquaient comme tels, et les discussions ont beaucoup tourné autour de cette question." A Montpellier (Hérault), les participants ont même évoqué l'intérêt ou non de se vêtir à nouveau de la fameuse chasuble fluo, comme signe de ralliement : "Important pour certain.e.s, pas essentiel pour d'autres. Importance de l'apport du mouvement des GJ à la lutte pour l'ensemble des participant.e.s."
"C'est pas une naissance, c'est une résurgence de cette colère", assure Jérôme Rodrigues, qui avait perdu un œil dans l'explosion d'une grenade de désencerclement tirée par la police, en janvier 2019. "Un ami vient de décéder et sa femme m'a envoyé son gilet jaune. Dessus, il était déjà marqué : 10 septembre", raconte-t-il. Les premières actions, ici et là, semblent s'inscrire dans la ligne directe du mouvement de 2018. En témoigne l'ouverture du péage de Valence-Sud (Drôme), dimanche 24 août. Comme à l'époque, des appels circulent pour reprendre les ronds-points, ces petites Bastille en puissance des périphéries. Le militant assure que "l'énorme base [des participants déclarés] reste 'gilet jaune', même si elle n'en porte plus le nom. Comme on dit chez les 'gilets jaunes' : 'gilet jaune' un jour, 'gilet jaune' toujours."
Syndicats et partis modifient la donne
"Cette mobilisation est née comme la révolte des 'gilets jaunes', avec des débats en ligne pendant plusieurs semaines", souligne le chercheur Sylvain Bordiec, coauteur d'une Sociologie des gilets jaunes. "Et là encore, des réunions publiques se tiennent dans des petites villes, où les services publics ferment et où la voiture est indispensable pour se déplacer." Car les "gilets jaunes", ajoute le sociologue, existent toujours "dans l'esprit des gens" et sont devenus "incontournables" en appelant à "s'informer autrement, avec un esprit critique". Les "gilets jaunes" se battaient contre la vie chère et le budget annoncé a été l'élément déclencheur, poursuit-il, "car il a été vécu comme une provocation".
Le mouvement du 10 septembre est toutefois singulier, avec une couleur plus institutionnelle qu'il y a sept ans. Plusieurs partis et syndicats ont déjà annoncé leur intention de rejoindre ce mouvement né sur les réseaux sociaux, sur lequel ils ont peu de prise. Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a réclamé le maintien du mouvement "Bloquons tout" et ce même si le gouvernement de François Bayrou tombait lors du vote de confiance du 8 septembre, donc deux jours avant. L'irruption de ces acteurs est accueillie avec méfiance – voire animosité – dans des réseaux qui rejettent, par définition, les corps intermédiaires classiques. Jérôme Rodrigues rappelle la "réticence" initiale, en 2018, des syndicats et des groupes politiques vis-à-vis des "gilets jaunes". Et tient plus que tout au caractère transpartisan du mouvement.
"Les 'gilets jaunes' ne sont pas près d'être récupérés, hein. Je vous le dis parce qu'on est ultra-méchants par rapport à ça."
Jérôme Rodrigues, figure des "gilets jaunes"à franceinfo
Le soutien – prudent – syndical et politique relance les débats sur les modes d'action, alors que la plupart des appels invitent par exemple à boycotter la carte bancaire à partir du 10 septembre. "Beaucoup de 'gilets jaunes' ont cette frustration de ne pas avoir été au bout. Parce que si on tire un bilan concret du mouvement de 2018 et 2019, ça reste un échec, quelques batailles de gagnées", constate Jérôme Rodrigues, qui évoque déjà de futurs blocages et des occupations de ronds-points, mais pas vraiment de manifestations. Il souligne, sur ce point, un désaccord avec les syndicats et les partis : "Pendant la réforme des retraites, marcher derrière des ballons avec des merguez et des mojitos, ça n'a pas fait gagner la guerre."
Des soupçons de récupération politique
L'engagement des "forces politiques de gauche" représente une "différence fondamentale" avec l'approche initiale des 'gilets jaunes', relève pour sa part Jean-François Barnaba, l'un des huit éphémères coordinateurs du mouvement en 2018. Rien ne garantit, selon lui, le succès de cette convergence inédite entre deux positions. "Je crains même que cela puisse dissuader certains de s'engager dans l'action et que ça soit davantage un frein qu'autre chose, ajoute cet habitant du Blanc (Indre), candidat déclaré aux prochaines municipales. Dans ma commune, j'entends effectivement des réticences exprimées par des 'gilets jaunes' de la première heure."
"Il s'agira soit d'une journée d'action syndicale élargie à des acteurs citoyens, soit de quelque chose d'autre, qui s'installe dans la durée. Mais ça, on le verra le 11 ou le 12."
Jean-François Barnaba, ancien coordinateur des "gilets jaunes"à franceinfo
Jean-François Barnaba pointe une nouvelle fois "l'absence d'organisation centralisée capable d'installer un rapport de force efficace dans la rue". Il dit avoir vu des premiers appels circuler venant de groupes qui avaient, sans doute, "quelques liens avec une marginalité plutôt de droite". Mais il ajoute que ce mouvement du 10 septembre "a très vite été submergé par la mouvance spontanéiste". Il qualifie ainsi la vague qui a surtout pris de l'ampleur en décembre 2018, en prenant le relais des ronds-points, avec notamment des revendications sur le RIC et la démocratie directe. "Cette mouvance s'est réactivée dès qu'elle a vu la possibilité de lancer quelque chose à la rentrée."
Difficile d'évaluer les conséquences des appels politiques et syndicaux. "Au mois de juillet, j'aurais été partante pour recommencer un mouvement de type 'gilets jaunes', souffle à franceinfo Jacline Mouraud, l'une des instigatrices du 17 novembre 2018. Mais là, avec un mouvement préempté par les syndicats et Jean-Luc Mélenchon, ce n'est pas possible." Cette figure de la première heure, très médiatique à l'époque, juge un tel ralliement opportuniste et importun. "Là, les syndicats vont aller blablater à Matignon et puis ils feront croire qu'ils ont obtenu des choses. Je suis en contact avec Jérôme Rodrigues. Il est dubitatif lui aussi hein, et pourtant il est de gauche", assure-t-elle.
"Le mouvement des 'gilets jaunes' a été le tout premier mouvement apolitique et asyndical. Les gens qui étaient dans la rue en 2018 ne reviendront pas là-dessus."
Jacline Mouraud, ancienne figure des "gilets jaunes"à franceinfo
"La gauche spolie encore les Français d'un mouvement apolitique, comme elle l'a fait à l'époque", accuse Jacline Mouraud, qui se décrit "plus de droite que de gauche" et a soutenu Eric Zemmour lors de la dernière présidentielle. La militante, qui reprend volontiers le slogan dégagiste "Afuera" ("Dehors") cher au président argentin Javier Milei, met en garde contre des "mobilisations en chiens de faïence" avec l'arrivée des partis politiques : "Imaginez des mélenchonistes qui rencontrent des lepénistes en manif !" Elle prédit encore une mobilisation fragmentée et étanche.
"La possibilité d'une convergence avec les syndicats n'est jamais à exclure, estime pour sa part Sylvain Bordiec. Ce mouvement, en tout cas, sera plus difficile à brocarder parce que sa base sociale est plus large." Il rappelle que la CGT Carrefour soutient par exemple le mouvement, alors que le groupe est le premier employeur de France. "Si le mouvement est plus large, on peut également supposer que la répression policière sera moins dure", poursuit le chercheur.
Feu de paille ou traînée de poudre ? Il est encore bien trop tôt pour prédire le destin du 10 septembre. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'une "copie de tel ou tel mouvement", martèle le groupe Telegram "Indignons-nous !", dans un communiqué. "Comme les 'gilets jaunes', nous partons du vécu des gens et de leur ras-le-bol face à l'injustice sociale", écrivent ses auteurs anonymes, qui espèrent marquer une "nouvelle étape de la mobilisation populaire en France".
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