Journée mondiale sans tabac : pourquoi les Français fument-ils toujours autant ?
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En 2023, plus d'un Français sur quatre continuait de griller une cigarette régulièrement, ce qui fait de la France l'un des plus gros consommateurs de tabac de l'UE, selon la Commission européenne.
Ouvrir le paquet, attraper le filtre du bout des lèvres et inspirer une bouffée. A l'occasion de la journée mondiale sans tabac, samedi 31 mai, des millions de fumeurs tenteront de se passer de ce rituel qui rythme leur quotidien. En 2023, 27% des Français déclaraient fumer régulièrement des cigarettes, d'après l'eurobaromètre de la Commission européenne, publié en juin 2024, se plaçant ainsi au-dessus de la moyenne européenne (24%).
Même si les Tricolores restent derrière les Bulgares (37%), les Grecs (36%) et les Croates (35%), ils figurent parmi les plus gros consommateurs de tabac de l'UE, à égalité avec les Slovaques et les Polonais. Pour y remédier, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a annoncé jeudi dans Ouest-France de nouvelles interdictions de fumer dans l'espace public. Dès le 1er juillet, les plages, parcs et jardins publics, abords des écoles, abris de bus, équipements sportifs seront, partout en France, des espaces sans tabac. "Fumer y sera donc interdit, pour protéger nos enfants", a-t-elle déclaré, visant l'apparition de "la première génération sans tabac".
Car aussi tenace que l'odeur du tabac froid, la clope résiste à tout : aux années de campagnes de prévention, à la flambée de ses prix ou aux nombreuses études scientifiques prouvant sa nocivité sur la santé. Première cause de cancer évitable, le tabac continue de causer la mort de plus de 75 000 personnes en France chaque année, rappelle Santé publique France, et de 700 000 personnes à l'échelle de l'UE, selon la Commission. "La France a un niveau de consommation de tabac qui reste élevé, mais les tendances sont encourageantes, en particulier concernant la cigarette chez les jeunes", nuance Marc-Antoine Douchet, référent tabac à l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). En 2022, la France comptait 15,6% de fumeurs quotidiens de 17 ans contre 25% cinq ans plus tôt.
"Nous pouvons espérer que la tendance à la baisse chez les jeunes se matérialise chez les adultes dans les prochaines années."
Marc-Antoine Douchet, référent tabac à l'OFDTà franceinfo
En attendant, comment expliquer la persistance de cette addiction chez les Français ? Les spécialistes interrogés par franceinfo rappellent d'abord que le premier plan de prévention contre le tabac date "seulement" de 2014, soit dix ans après la ratification par la France de la convention de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le sujet. "Ce premier plan a permis de faire baisser de 5 points de prévalence le tabagisme dans le pays, alors qu'il était très élevé", explique Anne Pasquereau, chargée d'études scientifiques au sein de Santé publique France. "Il y avait déjà eu des plans contre le cancer, mais pas spécifiques au tabac." Cette première avancée comportait un ensemble de mesures, comme le mois sans tabac ou l'accompagnement dans le sevrage tabagique, ainsi que le renforcement des dispositifs législatifs existants, dont la loi Evin, qui interdit toute publicité en faveur du tabac.
Ce plan incluait également une hausse du prix du paquet de cigarettes, passant de 6,70 euros en moyenne à 7 euros. Aujourd'hui, la France en est à son troisième plan de lutte contre le tabagisme et il faut débourser entre 11,20 et 14,10 euros pour s'en offrir un, selon les chiffres communiqués par la direction générale des douanes . "Augmenter le prix du tabac est une bonne mesure, mais pour qu'elle soit efficace, il faut des augmentations graduelles et régulières", souligne Amélie Eschenbrenner, du Comité national contre le tabagisme. "Or, ces dernières années, on se rend compte que cette hausse est trop en dents de scie pour qu'elle soit pleinement efficiente."
Une législation stricte, mais mal appliquée
Autre problème dénoncé en chœur par les associations et les addictologues : la législation française est parfois contournée. Voire bafouée. Gérard Audureau, à la tête de l'association Demain sera non-fumeur, cite le cas des terrasses couvertes de restaurants et de cafés. Fumer y est interdit, en vertu d'une circulaire de 2006. Mais, longtemps, l'usage de la cigarette y a perduré.
"C'est la différence avec l'Italie et l'Irlande, qui n'ont pas hésité à faire intervenir régulièrement les forces de police pour faire respecter cette loi. Or, cela n'a jamais été le cas en France."
Gérard Audureau, président de Demain sera non-fumeurà franceinfo
Idem pour la vente de cigarettes aux mineurs, interdite en France depuis 2003. Pourtant, en 2022, 64% des buralistes continuaient d'en vendre à des mineurs de 17 ans, selon l'enquête menée par le Comité national contre le tabagisme. "On dit souvent que les jeunes vont sur internet ou dans la rue pour se procurer des cigarettes, mais c'est faux. Quand on les interroge, 95% d'entre eux déclarent les acheter chez les buralistes", déplore Amélie Eschenbrenner. Autre interdiction bravée : la promotion de produits tabagiques sur les réseaux sociaux. Plus de 200 influenceurs ont produit des contenus sur des cigarettes électroniques ou des sachets de nicotine sur Instagram depuis 2019, dénonce l'Alliance contre le tabac.
Un lobbying toujours présent
Par ailleurs, dans le bras de fer qui l'oppose aux autorités sanitaires, l'industrie du tabac poursuit son lobbying intense auprès des élus. En 2023, six entreprises du secteur ont déclaré avoir dépensé plus de 800 000 euros en personnel ou en sociétés de conseil pour influencer les élus, selon les chiffres communiqués par le ministère de la Santé.
Un investissement "particulièrement efficace pour l'industrie du tabac puisqu'aucune mesure fiscale en faveur de la lutte contre le tabagisme n'a été votée lors des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à l'Assemblée en octobre 2023", observe l'Alliance contre le tabac. L'association dénombre ainsi "61 amendements" déposés par des députés, tous groupes confondus, "dont 53 visaient à réduire ou supprimer les augmentations prévues". Ces amendements "sont souvent identiques, à la virgule près, pour aller dans le sens des cigarettiers et des buralistes", regrette le professeur de médecine Loïc Josseran, président de l'association.
Les cigarettiers peuvent aussi compter sur des alliés de choix : les buralistes. Dans son rapport 2025, le Comité national contre le tabagisme montre que "si les cigarettiers sont des acteurs disqualifiés aux yeux des décideurs publics, la puissance du lobbying du secteur réside essentiellement dans l'influence du réseau des buralistes". Selon l'association, chez les élus, leur popularité est "équivalente à celle des agences publiques de santé, comme Santé publique France".
Bannir la clope des écrans
L'omniprésence de la cigarette dans les films et séries français constitue un autre front de lutte. Car si la loi Evin interdit toute publicité directe et indirecte en faveur du tabac et de l'alcool, elle ne dit rien au sujet de ces œuvres artistiques. "Aujourd'hui, le tabac est encore beaucoup trop présent sur les écrans. Le cinéma et la télévision ne sont pas exemplaires, tance Loïc Josseran. On voit régulièrement des personnages fumer dans des lieux où c'est pourtant interdit, comme les policiers dans des commissariats ou des héros dans des restaurants, ce qui normalise l'usage du tabac."
Sur les 150 films tricolores visionnés entre 2015 et 2019 par la Ligue contre le cancer, 90,7% mettaient en scène au moins une personne en train de fumer. Ce qui représentait en moyenne 2,6 minutes de tabagisme à l'écran par film, "soit l'équivalent de six spots publicitaires par film en moyenne". "Qu'on montre Gainsbourg en train de fumer, c'est normal, mais une femme qui traverse la rue en fumant, cela n'apporte rien !", persifle le spécialiste en santé publique. Cela peut même avoir des effets dévastateurs sur les spectateurs les plus jeunes : interrogés par la Ligue contre le cancer en 2021, 58% d'entre eux pensaient que la présence de tabac dans ces œuvres pouvait inciter à fumer.
De nouveaux produits à destination des jeunes
Si les professionnels saluent un net recul de la consommation de tabac chez les plus jeunes, ils mettent néanmoins en garde contre les nouveaux produits vendus par les industriels. Comme les sachets de nicotine, les cigarettes électroniques ou leur version jetable, les puffs, interdites en France depuis le mois de février. En 2023, les ventes d'"autres produits du tabac" que les cigarettes représentaient 6% des ventes totales, contre 3% cinq ans plus tôt, selon un rapport de l'OFDT publié en 2024.
Ces dernières années, de nouveaux produits de vapotage aux couleurs vives et aux goûts sucrés sont apparus, très éloignés des cigarettes traditionnelles, pour conquérir les plus jeunes. Catherine Vautrin assure qu'elle travaille pour réduire leur taux de nicotine et leur nombre d'arômes. "Ces produits ne visent pas les fumeurs qui ont vingt ans de tabac derrière eux", note Hervé Martini, addictologue chez Addictions France. Face à un marché en perpétuelle évolution, qui s'adapte très vite aux nouvelles législations, les autorités sanitaires doivent redoubler d'efforts pour assurer le suivi de ces nouveaux modes de consommation.
Si vous souffrez d'une addiction au tabac, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne qui souffre d'addiction, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro Tabac info service est joignable au 39 89 tous les jours de 8 heures à 20 heures. D'autres informations sont disponibles sur le site tabac-info-service.fr , un site de l'agence Santé publique France.
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