Reportage
"Un véritable symbole de la lutte anticriminalité" : dans les coulisses de la mise en vente du Stefania, yacht de luxe saisi par la justice

La justice vient de vendre un yacht de luxe, saisi à un Biélorusse soupçonné d’avoir fait fortune dans le trafic de stupéfiants et d’armes. Une opération qui sert d'exemple dans la lutte contre la criminalité.

Article rédigé par Mathilde Vinceneux
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le yacht Stefania, d'une valeur estimée à 20 millions, sera vendu au profit de l'État après avoir été saisi à un Biélorusse. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)
Le yacht Stefania, d'une valeur estimée à 20 millions, sera vendu au profit de l'État après avoir été saisi à un Biélorusse. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)

C’est l’une des plus importantes saisies réalisées par la justice française. Le yacht Stefania, d’une valeur de 20 millions d’euros, a été vendu 10 millions d'euros aux enchères jeudi 27 mars. Une vente au profit de l’État, avant même que son ancien propriétaire ne soit jugé dans une affaire de blanchiment international. franceinfo vous emmène à bord de ce navire de luxe, au royaume de la démesure.

Il faut enlever ses chaussures pour monter sur ce yacht de 41 mètres, stocké à sec près de Marseille. On le repère à sa coque couleur doré champagne, capable de traverser l’atlantique. Le Stefania peut se louer 200 000 euros la semaine. À bord, deux jacuzzis, cinq suites avec salle de bain, des télévisions à n’en plus finir... Le capitaine, Quentin, a même arrêté de compter. "Tout vient de marques de luxe, c'est incrusté avec des parties en argent, de la nacre, du marbre. Il y a des dorures, une cheminée aussi. C'est assez tape-à-l’œil, exubérant, mais fait au goût du propriétaire."

Le yacht est stocké à sec près de Marseille en attendant la vente. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)
Le yacht est stocké à sec près de Marseille en attendant la vente. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)

Proposé à la vente entre "10 à 12 millions d'euros"

L’ancien propriétaire est un Biélorusse, soupçonné, selon une source proche de l’enquête, d’avoir fait fortune dans le trafic de stupéfiants et d’armes. C'est en s’intéressant à son patrimoine sur la Côte d’Azur que les gendarmes de la section de recherche de Marseille ont découvert le yacht. Emmanuelle Votat est commissaire-priseur pour la maison de vente De Baecque et associés, c’est elle qui s’est occupée de préparer la vente, depuis la saisie du bateau en octobre 2023.

"C'est un yacht qui se distingue par un design assez agressif. Nous, on le proposait à la vente entre 10 à 12 millions d'euros d'estimation, mais il faut tenir compte du paramètre qu'on est en saisie", explique Emmanuelle Votat. Le passé sulfureux de ce bateau peut freiner un petit peu les potentiels acheteurs.

"À la base, c'est une saisie franco-italienne, puisque le yacht était en fuite, donc il a été saisi en Italie, à Gênes et à partir de là, il a fallu gérer ce bien", ajoute la commissaire-priseur. C'est-à-dire trouver un équipage, une place dans un port, l’entretenir quotidiennement et faire des travaux aux frais de la justice. "Si on ne faisait pas ces travaux, le yacht perdait sa classe, puisqu'il n'avait pas passé son contrôle de classe. S'il perdait sa classe, il perdait son assurance et son immatriculation et donc là, la valeur dégringolait à toute vitesse."

"L'objectif, c'est que la totalité de ce que vaut réellement le Stefania, aille dans les caisses de l'État."

Emmanuelle Votat, commissaire-priseur

à franceinfo

La commissaire-priseur cite le cas d’un autre yacht luxueux, saisi par la justice anglaise, mais laissé à l’abandon et devenu une épave invendable. À côté, le Stefania est un exemple. "On a démontré avec cette saisie qu'on pouvait saisir ce type de biens. Il faut s'investir aux côtés des magistrats, aux côtés des enquêteurs et qu'ils ne se disent plus éventuellement il y a un yacht, on n'y va pas, on ne sait pas faire. Maintenant, on sait faire, on va avoir un véritable symbole de la lutte anticriminalité avec cette vente."

Les acheteurs intéressés ont dû déposer un dossier et une caution de 500 000 euros pour participer aux enchères. Les bénéfices seront entièrement reversés au budget de l’État, explique Vanessa Perrée, la directrice générale de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc. "Ça veut dire que ça pourra aller au ministère de l'Intérieur, ça pourra aller au ministère de la Justice, mais ça peut aussi servir à payer un hôpital, des professeurs."

Le Stefania a été saisi à Gênes, en Italie. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)
Le Stefania a été saisi à Gênes, en Italie. (DE BAECQUE ET ASSOCIÉS)

Une vente possible grâce à la "présomption de blanchiment"

La vente a eu lieu jeudi, avant même le procès de l'ancien propriétaire du yacht. C'est en effet une spécificité de la loi Française qui rend cette vente possible si rapidement. Pour ce yacht, les enquêteurs n’ont pas eu à prouver que ce sont des trafics qui ont permis de payer le bateau, ce qui est souvent difficile, à cause de montages financiers occultes. Alors le propriétaire ne peut pas justifier l’origine de l’argent, la justice considère que c’est du blanchiment, c’est ce qu’on appelle la présomption de blanchiment. Une arme redoutable, explique Jean Moineville, secrétaire général du parquet de Marseille : "C'est un outil juridique que nous envient nos voisins et même outre-Atlantique, parce qu'il est particulièrement efficace."

Confisquer l’argent, sans attendre un procès et une éventuelle peine de prison, c’est une manière de frapper les délinquants au portefeuille, ajoute Olivier Leurent, président du tribunal de Marseille. 

"En confisquant, en revendant les avoirs criminels, on a une réponse pénale qui est bien plus efficace que l'incarcération, même si bien sûr, l'incarcération, parfois, est inévitable."

Olivier Leurent, président du tribunal de Marseille

à franceinfo

"L'argent, c'est l'essentiel pour le délinquant. Le placement en détention, c'est un peu un accident du travail. Ils savent que tôt ou tard, ils risquent d'y aller, souvent, pas pour des périodes très longues. Mais en revanche, ce à quoi ils tiennent le plus, c'est tout ce qu'ils ont pu acheter grâce à l'argent de leur délinquance."

Les trafiquants multiplient fréquemment les recours pour récupérer leur bien, c’est le cas de l’ancien propriétaire du yacht, qui est allé jusque devant la Cour de cassation, pour contester, en vain, la confiscation de son bateau. Un propriétaire, toujours présumé innocent, dans l'attente d'un jugement.

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