"Moins de grandes gueules", des "profils techniques"… A quoi pourrait ressembler le gouvernement de Sébastien Lecornu ?

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, s'adresse à la presse à L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), le 11 octobre 2025. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, s'adresse à la presse à L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), le 11 octobre 2025. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)

Le Premier ministre, tout juste reconduit par Emmanuel Macron, a promis de nommer des profils sans ambition présidentielle pour 2027 et libres "de certains problèmes partisans", selon son entourage. Suffisant pour éviter la censure ?

"Il faut un gouvernement plus libre, y compris avec les partis politiques", s'est engagé Sébastien Lecornu, auprès du Parisien, dimanche 12 octobre. Deux jours après sa reconduction comme Premier ministre qui a stupéfié les oppositions, mais aussi une large partie du bloc central, le "moine-soldat" de la macronie s'attelle à la composition de sa nouvelle équipe.

Des profils qui devraient être bien différents de ceux de son très éphémère premier gouvernement de la semaine précédente. Le maintien en poste de plusieurs poids lourds du camp présidentiel, mais aussi le retour de l'ancien ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avaient alors profondément agacé la droite et notamment le ministre démissionnaire de l'Intérieur, Bruno Retailleau, au point de pousser l'ex-ministre des Armées à démissionner

Confirmé à Matignon, Sébastien Lecornu entend désormais avoir les mains libres vis-à-vis de l'Elysée. "J'avance en étant loyal au président, je trouve cela sain politiquement et humainement, mais ça ne signifie pas que je suis son collaborateur", a-t-il prévenu dans Le Parisien.

L'entourage d'Emmanuel Macron confirme que l'ancien maire de Vernon (Eure) a cette fois "carte blanche" pour choisir celles et ceux qui vont l'entourer dans sa "mission", à savoir "donner un budget à la France". Sébastien Lecornu aura également la lourde tâche d'apporter une relative stabilité à la France, et donc d'échapper à une censure de l'Assemblée nationale. 

Répondre à "la demande de renouvellement des visages"

Pour cela, les regards se tournent vers des profils dits plus techniques pour intégrer son équipe. "Le gouvernement technique répond à la demande de renouvellement des visages, a l'avantage de la neutralité pour mener les négociations et d'être opérationnel rapidement étant donné les délais, notamment pour le budget", analyse un cadre de Renaissance auprès de France Télévisions.

L'idée consisterait à composer "une équipe comptant moins de grandes gueules, mais dédiée à la tâche, en espérant qu'elle résiste à toutes les injonctions contradictoires venues de l'Assemblée", continue cette source. Cette hypothèse n'est toutefois pas sans risques dans le contexte politique hautement inflammable du moment, juge un ancien conseiller de Matignon. 

"Un gouvernement technique présente le risque de sorties de route médiatiques du fait de l'inexpérience politique."

Un ex-conseiller de Matignon

à franceinfo

Ces nouveaux ministres novices pourraient en outre avoir besoin "de plusieurs semaines pour rentrer dans les dossiers", ajoute le même. "Les profils techniques ont souvent des spécialités qui sont moins larges que le champ de tout un ministre". Or, poursuit-il, "ils auront peu de temps pour défendre le budget", car "chaque ministre devra aller à l'Assemblée" pour défendre la partie du projet de loi de finances qui concerne son portefeuille.

Derrière le terme de "profil technique" peuvent en outre se cacher des situations très diverses, dont certaines ne sont pas si éloignées de la politique. Parmi les noms qui circulent, on trouve, par exemple, celui de l'expérimenté Laurent Nunez. Selon les informations de franceinfo, l'actuel préfet de police de Paris est pressenti pour devenir le prochain ministre de l'Intérieur. "Il connaît la maison", glisse un ancien conseiller du pouvoir. Il a, en effet, été le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, mais aussi secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner. 

Le nom d'Anne Levade est également cité pour intégrer le gouvernement. Cette juriste reconnue, professeure de droit public à l'université de la Sorbonne, avait organisé la primaire de la droite de 2016. Le nom de Nicolas Revel revient aussi avec insistance, notamment pour le ministère de la Santé. Le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ex-directeur de cabinet du Premier ministre Jean Castex, a été secrétaire général adjoint de François Hollande avec un certain Emmanuel Macron. 

"Les Français attendent une rupture"

Un casting technique pourrait-il séduire le Parti socialiste, qui détient la clé d'une non-censure à l'Assemblée ? "Pour nous, cela ne change rien", balaye un dirigeant socialiste. 

"La question n'est pas le qui, mais la marge de manœuvre dont disposeront les ministres pour mener les politiques négociées. Nos demandes sont connues et reconnues sur les retraites, le pouvoir d'achat et la justice fiscale". 

Un dirigeant socialiste

à franceinfo

Du côté des profils politiques, il faut s'attendre à un profond renouvellement avec plusieurs départs. "Si [Sébastien] Lecornu veut sauver sa tête, je vois mal comment il pourrait faire l'économie de virer les gros noms (...). Ce sera une rupture de forme et pour le fond, il faudra attendre le discours de politique générale", avance le conseiller d'un ministre démissionnaire. Dès l'annonce de sa reconduction à Matignon, l'entourage de Sébastien Lecornu a fait savoir que "ceux qui veulent gouverner doivent se déconnecter de l'élection présidentielle ou de certains problèmes partisans", et ce, afin de "ne pas reproduire les mêmes erreurs".

Cette promesse qui exclut, a priori, le médiatique ministre de la Justice démissionnaire, Gérald Darmanin, dont l'ambition pour 2027 n'est un secret pour personne. Figure de l'aile gauche de la macronie, Agnès Pannier-Runacher, au gouvernement depuis 2017, a, elle, annoncé qu'elle ne ferait pas partie de la future équipe. "Les Français attendent une rupture et je m'applique à moi-même ce que j'entends des Français", a assuré dimanche sur France 3 celle qui a longtemps porté la voix de l'exécutif sur l'écologie.

D'autres semblent partis pour rester, à l'instar du ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, étiqueté au MoDem, du député macroniste Roland Lescure, nommé ministre de l'Economie une semaine plus tôt, tout comme son collègue à l'Assemblée, le député macroniste Mathieu Lefèvre, au ministère des Relations avec le Parlement. 

Chez LR, "on n'est pas à l'abri que certains y aillent"

Quid des autres partenaires de l'ex-socle commun ? L'ancienne coalition gouvernementale de la droite et du centre, née sous Michel Barnier, a volé en éclats après la chute du premier gouvernement Lecornu. Ce que l'opposition ne manque pas de souligner. "De quoi le Premier ministre est-il le chef dans l'hémicycle à cette heure ? De quel socle commun ?", interroge un haut cadre du PS. Lors d'un bureau politique extrêmement houleux, samedi, Les Républicains ont acté leur non-participation au gouvernement, estimant que "la confiance et les conditions ne sont pas réunies".

La ligne de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur démissionnaire ayant annoncé qu'il ne participerait pas au gouvernement, l'a emporté au sein du parti. Yannick Neuder, ministre LR de la Santé démissionnaire, a ainsi annoncé sur X qu'il avait refusé d'intégrer le nouveau gouvernement Lecornu, estimant "que les conditions n’étant pas réunies pour prendre soin de la santé des Français et de nos soignants."

Sauf qu'une partie des députés LR n'est pas alignée avec la position officielle du parti. "On n'est pas à l'abri que certains y aillent", admet un sénateur de droite. Le Premier ministre a d'ailleurs appelé Bruno Retailleau pour lui indiquer qu'il souhaitait des profils issus de LR dans son gouvernement, selon un proche du Vendéen. Selon plusieurs sources, Annie Genevard, ministre LR de l'Agriculture démissionnaire, souhaiterait rester. Les regards se tournent aussi vers Vincent Jeanbrun. Député LR du Val-de-Marne, il a affiché son soutien à Sébastien Lecornu dans un message sur X et l'a accueilli pour son premier déplacement dans son fief de L'Haÿ-les-Roses

Que va faire Horizons, le parti d'Edouard Philippe, allié de Renaissance ? Réunis samedi, ses cadres menacent de ne pas participer au gouvernement si l'équilibre budgétaire et la réforme des retraites étaient menacés. "Nous sommes désormais dans l'attente de ce que va proposer le Premier ministre pour le pays", lit-on dans le communiqué de la formation politique. Officiellement, aucune négociation n’est en cours, mais selon nos informations, des échanges ont lieu entre Sébastien Lecornu et Edouard Philippe, avec deux noms évoqués : Naïma Moutchou, nommée la semaine passée ministre en charge de la Transformation et de la Fonction publique, et celui de Paul Christophe, ex-ministre des Solidarités, de l'Autonomie et de l'Egalité entre les femmes et les hommes. 

Une fois le gouvernement nommé, il faudra à Sébastien Lecornu présenter sa feuille de route à l'Assemblée et surtout passer l'épreuve de la motion de censure, qui ne manquera pas d'être présentée dans la foulée par les oppositions. Le chef du gouvernement a assuré à La Tribune dimanche qu'il démissionnerait de nouveau si les conditions "n'étaient plus remplies à nouveau". "Mais, les conditions sont encore moins réunies que la semaine dernière avec l'explosion du socle commun", soupire le conseiller d'un ministre démissionnaire. 

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