"C'est le prix à payer pour finir le mandat" : pourquoi Emmanuel Macron et ses troupes ont finalement accepté de suspendre la réforme des retraites

Le Premier ministre a donné aux socialistes ce qu'ils réclamaient : reculer sur la loi emblématique du second quinquennat. Dépités, les députés macronistes estiment néanmoins qu'il n'y avait plus d'autre solution pour sauver le gouvernement Lecornu et protéger le chef de l'Etat.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le président de la République, Emmanuel Macron, et Sébastien Lecornu, alors minstre des Armées, le 20 juin 2025, au Bourget (Seine-Saint-Denis). (BENOIT TESSIER / AFP)
Le président de la République, Emmanuel Macron, et Sébastien Lecornu, alors minstre des Armées, le 20 juin 2025, au Bourget (Seine-Saint-Denis). (BENOIT TESSIER / AFP)

"C'était nécessaire pour éviter la censure. Mais c'est catastrophique, car nous renonçons à une réforme importante", résume un influent parlementaire macroniste. Mardi 14 octobre, Sébastien Lecornu a prononcé lors de son discours de politique générale les mots magiques réclamés par les socialistes : "Je proposerai au Parlement, dès cet automne, que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle." "Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera, elle aussi, suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028", a précisé le Premier ministre, ajoutant que cette suspension coûtera "400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027". 

Sur les bancs de l'Assemblée, les députés du Parti socialiste (PS) sont nombreux à applaudir. Saluant une "victoire" pour son groupe, Boris Vallaud a annoncé que les socialistes allaient faire le "pari" du débat dans l'hémicycle. Invité du journal de 20 heures sur TF1, Olivier Faure a appelé ses troupes à "respecter la décision collective" de ne pas censurer le chef du gouvernement. "Est-ce que ça veut dire que nous allons tout accepter ? (...) La réponse est non. Le débat ne fait que commencer", a promis le premier secrétaire du PS.

"Comme au poker, pour avoir le droit de jouer, il faut payer !"

"Je vais bouger, mais sans faire n'importe quoi", avait déminé auprès des députés du "socle commun" (soit le centre et la droite) Sébastien Lecornu, lors d'une réunion, à Matignon, vers 13 heures, selon un participant. "Il a également confié qu'il allait dire des choses qu'il ne dirait pas normalement", raconte un autre. Et pour cause, la réforme des retraites, adoptée dans la douleur par 49.3 en mars 2023, était devenue un totem pour la macronie, qui a toujours refusé de revenir sur ce texte.

Qui se souvient encore qu'il y a un peu plus de trois semaines, Sébastien Lecornu, dans une interview au Parisien, écartait cette suspension ? Une option, affirmait-il, qui "ne réglerait aucun des problèmes" que sont pour lui la situation des femmes et la pénibilité au travail. Qui a encore en tête les réactions épidermiques qu'a suscitées la semaine dernière, dans la boucle de messagerie des députés macronistes, la proposition formulée par Elisabeth Borne, de suspendre cette réforme qu'elle avait elle-même portée à Matignon ? "Sidéré", écrivait alors le député Charles Rodwell à ses collègues, dans cet échange consulté par franceinfo. "Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage ?", s'interrogeait Maud Bregeon. Cette dernière a été nommée dimanche porte-parole du gouvernement... et va désormais devoir défendre l'annonce du Premier ministre. 

La démission de Sébastien Lecornu après le crash de son premier gouvernement, et la crise politique inédite qui a suivi ont tout changé. "Les réactions dans cette boucle sont compréhensibles, mais chacun a pu réfléchir et mesurer le prix de l'instabilité institutionnelle", défend une source gouvernementale. 

"La stabilité institutionnelle et politique est au-dessus de nos positions partisanes (...). Il faudrait être aveugle et irresponsable pour nier qu'une censure conduirait le pays au bord de l'abîme."

Une source gouvernementale

à franceinfo

Car les socialistes l'avaient répété : sans suspension de la réforme, ils étaient prêts à faire tomber le gouvernement. "Ça me semble être le seul chemin qui permettait d'avancer, c'est le principe du compromis, soupire un cadre Renaissance. Comme au poker, pour avoir le droit de jouer, il faut payer !"

D'autres députés macronistes, plutôt étiquetés "aile gauche", réclamaient au contraire cette suspension. "C'est ce que j'attendais. On fait une pause pour mieux appuyer sur lecture", confie une élue EPR (Ensemble pour la République, le groupe de Renaissance à l'Assemblée). Comprendre : la suspension va permettre d'avancer sur le débat budgétaire qui va s'ouvrir au Parlement. Et éviter la dissolution. 

"La responsabilité du compromis"

Lors du Conseil des ministres qui s'est tenu mardi matin, Emmanuel Macron a lui-même estimé "que les motions de censure qui ont été déposées sont des motions de dissolution et doivent être vues comme telles", a rapporté Maud Bregeon. Au point, lui aussi, de lâcher sur les retraites donc. "Le Premier ministre a la liberté et la responsabilité du compromis", se contente de répondre l'entourage du chef de l'Etat sur cette concession pourtant majeure.

Dans les rangs des soutiens d'Emmanuel Macron, certains minimisent l'événement, ne voyant pas dans la réforme de 2023 une mesure constitutive de l'ADN macroniste. "Elle s'est imposée à nous, après le Covid et dans un contexte de crise, afin d'assainir nos finances publiques, mais notre réforme, elle était plus ambitieuse, c'était celle à points", explique un conseiller de l'exécutif. 

"Le président n'a pas changé d'avis" sur le sujet des retraites, assure pour sa part un député EPR qui a ses entrées à l'Elysée. "C'est juste le prix à payer pour finir le mandat. Plus de plan B après Sébastien Lecornu", ajoute-t-il. Ainsi, face au risque réel de censure, le choix n'en était pas vraiment un. 

"En cas de dissolution, toutes les projections sérieuses donnent a minima le RN à 220 [députés]. Et en cas de front républicain, il n'est pas sûr qu'ils aient la majorité absolue [289 voix], déclare l'ancien conseiller du gouvernement. S'ils ne l'ont pas, ce sera l'instabilité totale, avec une incapacité à faire un gouvernement. Et sans possibilité de dissolution."

"Il n'y aura alors que la démission d'Emmanuel Macron derrière comme solution crédible, même si ça ne changera rien."

Un ex-conseiller du gouvernement

à franceinfo

En nommant Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron avait fait un pas de plus, peut-être sans le vouloir, vers ce renoncement sur les retraites. "Dès lors qu'on refusait de partager le pouvoir, la seule option qu'il restait au chef de l'Etat était de détricoter lui-même son bilan", analyse un influent député EPR. Le président s'est en effet refusé à nommer un Premier ministre de gauche, comme le réclamaient les dirigeants socialistes, communistes et écologistes. 

"On avale une grosse couleuvre"

Reste à savoir comment les quelque 200 députés que constitue le "socle commun" vont réagir. Sans surprise, la droite s'est crispée. "La gauche n'est pas au gouvernement, mais elle le dirige", a cinglé le patron des Républicains, Bruno Retailleau, dans un communiqué. "Le cartel des démagogues qui ont toujours combattu la réforme des retraites, composé de la gauche et du Rassemblement national, fait prendre au gouvernement une direction qui nous entraîne droit dans le mur de la crise financière", a poursuivi l'ancien ministre de l'Intérieur, évoquant "une décision incompréhensible."

Même réaction du côté d'Horizons qui s'éloigne de plus en plus de la macronie depuis qu'Edouard Philippe a plaidé pour l'organisation d'une présidentielle anticipée après l'adoption du budget. "Suspendre la réforme des retraites pour offrir une victoire politique, aussi symbolique qu'éphémère, au groupe socialiste est une dangereuse facilité", a alerté le président du groupe, Paul Christophe, depuis la tribune de l'Assemblée. "On avale une grosse couleuvre, confie un cadre philippiste. Si jamais la suspension intervient, nous reviendrons dessus, bien évidemment, en cas de victoire à la présidentielle." 

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