"Ça permet de prendre ses distances" : pourquoi Edouard Philippe plaide pour un départ anticipé d'Emmanuel Macron

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié
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Edouard Philippe et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie commémorant les 80 ans de la libération du Havre,  le 12 septembre 2024. (BENOIT TESSIER / AFP)
Edouard Philippe et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie commémorant les 80 ans de la libération du Havre, le 12 septembre 2024. (BENOIT TESSIER / AFP)

En multipliant les appels à une élection présidentielle avant 2027, l'ancien Premier ministre s'émancipe du chef de l'Etat et de son bilan, au risque de décevoir une partie de l'électorat macroniste.

Il prend le large. Depuis la chute express du gouvernement Lecornu I, Edouard Philippe a franchi un nouveau cap dans sa prise de distance avec Emmanuel Macron. "Je ne vois aucune autre solution crédible" que la "démission" du président de la République, a encore martelé le maire du Havre lors d'un forum économique et politique à Barcelone, en Espagne, mardi 21 octobre. C'est la troisième fois en deux semaines que l'ancien Premier ministre, qui estime "ne rien devoir" au président de la République, appelle à son départ de l'Elysée. Il est le premier candidat du bloc central à la présidentielle à se prononcer publiquement pour un scrutin anticipé. Une façon pour Edouard Philippe de continuer à se démarquer de celui qui l'a nommé à Matignon, à la surprise générale, en mai 2017.

"Aujourd'hui, l’Etat n’est plus tenu. En France, sous la Ve République, le garant des institutions, c'est le président de la République. Son mandat, c'est d'être chef de l'Etat. (...) Je constate que l'autorité et la continuité de l'Etat ne sont pas respectées", avait d'abord mis en garde Edouard Philippe, le 7 octobre, au micro de RTL. Le maire du Havre juge qu'Emmanuel Macron doit par conséquent annoncer une élection présidentielle dès l'adoption du budget 2026 cet hiver. Un départ "ordonné" est "la seule décision digne qui permet d'éviter dix-huit mois d'indétermination et de crise" jusqu'à l'élection normalement prévue au printemps 2027, a ensuite argumenté Edouard Philippe, le 16 octobre, sur France 2.

"Il n'y a que des mauvaises solutions"

L'ancien Premier ministre compte ainsi cultiver son indépendance vis-à-vis d'Emmanuel Macron. "Il est venu me chercher, je ne me suis pas roulé par terre pour qu'il me nomme", a-t-il glissé sur France 2, à propos de son arrivée à Matignon en 2017. "J'ai créé mon parti – il n'y était pas favorable –, j'ai voulu avoir des élus en 2022 – il n'y était pas favorable –, j'ai fait sa campagne en 2022 et j'ai toujours dit ce que je pensais, de façon très loyale", a-t-il ajouté. "Il tient à sa liberté de parole", souligne un proche du maire du Havre, qui a fondé son mouvement, Horizons, en 2021. "A Matignon, il avait une obligation d'alignement complet, mais le président lui a rendu sa totale liberté en 2020", lorsqu'Emmanuel Macron a décidé de remplacer Edouard Philippe par Jean Castex.

Les récentes déclarations du patron d'Horizons lui "permettent de prendre ses distances, et de ne pas être comptable de la situation de blocage politique, néfaste pour le pays", espère un cadre de son parti. Car la popularité du chef de l'Etat est en berne, tandis qu'une majorité de Français se déclare désormais favorable à son départ anticipé, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro et une enquête Harris Interactive pour RTL, publiés le 6 octobre. Or, l'image de l'ancien chef du gouvernement reste en partie associée à celle du chef de l'Etat, et sa cote de confiance décline progressivement, observe Bernard Sananès, président de l'institut d'études Elabe.

"Il y a une érosion régulière depuis un an de sa cote de popularité, comme pour celle d'Emmanuel Macron."

Bernard Sananès, président d'Elabe

à franceinfo

En outre, les dernières enquêtes sur les intentions de vote en cas de scrutin présidentiel, comme celle réalisée par l'Ifop le 29 septembre, ne le donnent plus forcément qualifié pour le second tour. C'est dans cette optique qu'Edouard Philippe, qui distille ses sorties médiatiques avec modération, a choisi de défendre une présidentielle anticipée. "Dans aucun sport, on ne peut rayonner depuis le banc de touche", salue la députée Horizons Laëtitia Saint-Paul, ancienne d'En marche, comme beaucoup d'élus qui ont rallié le maire du Havre.

"Ça ne nous fait pas plaisir, il n'y a que des mauvaises solutions sur la table", poursuit l'élue de Maine-et-Loire, avant d'ébaucher un scénario qui donne des cauchemars aux philippistes. "La pire des catastrophes industrielles démocratiques serait une nouvelle dissolution, en janvier, qui percuterait les municipales, et aboutirait de nouveau à une tripartition à l'Assemblée, avance-t-elle. Le président serait alors tellement fragilisé qu'il serait acculé à la démission. Et son successeur serait empêché de dissoudre avant un an."

"Il dit ce qu'il pense, même si c'est impopulaire"

L'intervention d'Edouard Philippe a crispé les macronistes, jusqu'au sommet de l'Etat. "Pas de commentaire sur les propos du maire du Havre", s'agace un proche du président de la République auprès de France Télévisions, en réaction aux propos "inélégants" d'Edouard Philippe, mais aussi de Gabriel Attal (qui a regretté le 7 octobre "une forme d'acharnement à garder la main" de la part du chef de l'Etat). "Les Français n’aiment pas les traîtres et ça ne signifie pas qu’on n’a pas la capacité de se remettre en question", a riposté la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, sur franceinfo, le 16 octobre. Une réaction qui ne surprend pas, dans l'entourage du Havrais.

"Il savait que ça ferait du bruit, c'est une vérité brutale. Mais il dit tout haut ce que pensent beaucoup de politiques, y compris dans le bloc central, assure un proche d'Edouard Philippe. Si le président n'organise pas l'accélération du calendrier électoral, le pays entrera durablement dans une crise de régime." Outre les procès en trahison, militants et élus macronistes s'inquiètent d'un affaiblissement de la fonction de chef de l'Etat. "Dire que le président doit partir, c'est comme opérer à chaud, ce n'est pas bien. Et ça remet en cause la durée du quinquennat. Demain, un président serait élu pour au moins cinq ans !", soupire un parlementaire EPR (Ensemble pour la République).

"Il est probable que l'électorat macroniste lui reproche cette sortie", craint également un proche. "Mais il dit ce qu'il pense, même si c'est impopulaire, comme sur l'âge de départ à la retraite [qu'il veut décaler à 67 ans], quand d'autres tapent en off sur le président, poursuit cette source. Cette prise de position risque d'inquiéter les électeurs plus âgés, très attachés à la stabilité. Mais même l'électorat macroniste exprime de la déception envers le président." "Cet électorat très sensible à la réforme, à l'action, est refroidi par le sentiment d'immobilisme", confirme Bernard Sananès.

Une défaite interdite aux municipales

En appelant au départ d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe espère donc séduire l'électorat de droite, sans perdre trop de centristes. "Nos militants ont d'abord été surpris mais, ensuite, ils ont compris la position. On a même eu un pic d'adhésions", assure une cadre du parti Horizons.

Au sein de la formation politique d'Edouard Philippe, rares sont ceux qui croient toutefois réellement à une démission du chef de l'Etat. "On a assez peu de doutes sur le fait qu'Emmanuel Macron ne décidera pas de partir", reconnaît un autre cadre philippiste. Mais le parti veut être en ordre de marche derrière son candidat en cas de scrutin anticipé. Depuis plusieurs mois, des groupes travaillent sur différents thèmes du programme. "Il est plus prêt que d’autres. Son programme est prêt, il a des élus et un ancrage local, de la notoriété et de la crédibilité", assure un proche. "Notre projet est prêt, on veut parler des jeunes, se projeter en avant. On ne peut pas rester dans cet état de latence pendant 18 mois, avec un pays à l'arrêt", abonde Thomas Mesnier, membre du bureau politique d'Horizons.

Pour patienter, Edouard Philippe peut compter sur les élections municipales, en mars prochain. Un scrutin qu'il ne peut pas se permettre de perdre avant de lancer sa campagne présidentielle. "Ce sera le seul candidat à la présidentielle qui arrivera avec une légitimité démocratique fraîche", se réjouit-on déjà dans son entourage.

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