Mort du pape François : on vous explique pourquoi le souverain pontife fascine les complotistes
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Au cours de son pontificat, le jésuite argentin a multiplié les prises de position progressistes sur des sujets de société clivants, s'attirant les foudres des conservateurs catholiques. Mais certaines accusations s'inscrivent dans une longue tradition de fascination des conspirationnistes pour le Vatican.
"Usurpateur", "franc-maçon", "fossoyeur de l'Eglise"… Le pape François, mort lundi 21 avril, a été tout au long de ses douze années de pontificat la cible d'attaques mâtinées de complotisme. Avec ses prises de position engagées sur des thèmes de société clivants (à l'image de ses déclarations en faveur des migrants, sa promotion du dialogue interreligieux, sa main tendue aux croyants homosexuels…), le jésuite argentin s'est inscrit en rupture de ses prédécesseurs plus conservateurs, Benoît XVI et Jean-Paul II.
Sa tentative de réformer l'Eglise lui a aussi attiré les foudres de la frange la plus conservatrice des catholiques, parfois adepte des théories conspirationnistes. Mais bien avant le pape François, le Vatican est depuis longtemps l'objet de fantasmes, alimentés par sa puissante aura et son opacité. Avec l'expertise de plusieurs spécialistes, franceinfo explore la fascination séculaire des complotistes pour la figure du pape et l'institution qu'il dirige, sur fond de conservatisme religieux et d'anticléricalisme.
Le chef d'une "Eglise profonde" fantasmée
Dans la petite paroisse de San Ranieri à Guasticce, un prêtre italien défie l'autorité papale. "Il y a un franc-maçon jésuite lié aux puissances mondiales, un antipape usurpateur" à la tête du Vatican, fustige le père Ramon Guidetti, dans son homélie du 31 décembre 2023 en hommage au premier anniversaire de la mort de Benoît XVI. Des propos "schismatiques" au regard du Vatican qui lui valent une excommunication, rapporte La Croix.
Moins d'un an après Ramon Guidetti, l'ancien ambassadeur du Saint-Siège aux Etats-Unis Carlo Maria Vigano est également sanctionné pour avoir rejeté l'autorité du chef de l'Eglise. L'archevêque a d'abord réclamé la démission du pape François en 2018, l'accusant, sans preuve, d'avoir couvert les abus sexuels de l'ex-cardinal américain Theodore McCarrick. Comme un écho à cette attaque, une rumeur d'arrestation du pape pour pédocriminalité est propagée début 2021 par le mouvement conspirationniste d'origine américaine QAnon.
Antivax et pro-Trump, Carlo Maria Vigano adresse également une longue lettre ouverte au président américain, en 2020, reprenant des narratifs de QAnon. "Il est désormais clair que celui qui occupe la chaire de saint Pierre a trahi son rôle dès le début, afin de défendre et de promouvoir l'idéologie mondialiste, en soutenant l'agenda de l'Eglise profonde, qui l'a choisi dans ses rangs." Cette "Eglise profonde" est ici la version religieuse de l'"Etat profond", thèse chère aux complotistes popularisée par Donald Trump, selon laquelle des puissantes personnalités tapies dans l'ombre tireraient les ficelles.
Dans sa missive, le prélat présente en outre le pape François comme un soutien au "Nouvel ordre mondial", théorie du complot désignant un gouvernement planétaire totalitaire, bénéficiant à une élite cachée. Le prélat américain convoque également dans sa missive la thèse conspirationniste du "Great Reset", popularisée pendant la pandémie de Covid-19, selon laquelle le plan secret d'une oligarchie mondialisée serait à l'œuvre pour asservir la population mondiale.
Le péché originel de la renonciation de Benoît XVI
Ces accusations fantasques sont alimentées par le contexte inédit de l'élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape. "C'était vraiment un outsider. Il venait d'Amérique latine. Et il était un jésuite, un ordre moins connu des médias", résume auprès de franceinfo Massimo Faggioli, professeur de théologie et d'études religieuses à l'université Villanova (Etats-Unis). Premier pape non-européen depuis 741 et premier jésuite à ce poste, il succède à Benoît XVI en 2013, après la démission de ce dernier en raison de son âge avancé.
"La renonciation de Benoît XVI a été un événement inédit (…). Beaucoup de catholiques ont considéré que l'élection du pape François était invalide", souligne auprès de franceinfo Maurizio Ascari, professeur de littérature anglaise à l'université de Bologne (Italie) et auteur d'un ouvrage intitulé Mystères du Vatican : de la propagande anticléricale du XIXe siècle au thriller religieux de Dan Brown. "Il n'y a pas deux papes", a ainsi dû déclarer le pape émérite Benoit XVI en 2021 au Corriere della Serra pour démentir les thèses complotistes entourant sa démission.
En 1978, déjà, les rumeurs avaient foisonné autour de la mort subite du pape Jean-Paul Ier, officiellement terrassé par un infarctus, seulement trente-trois jours après le début de son pontificat. L'absence d'autopsie et la communication défaillante autour de ce décès papal avaient alimenté la défiance envers l'Eglise. La thèse d'un assassinat orchestré par la franc-maçonnerie, et qui aurait été motivé par une volonté du souverain pontife d'enquêter sur des malversations financières de la banque du Vatican, subsiste jusqu'à aujourd'hui, rapporte La Dépêche. Elle a pourtant été démentie dans une enquête menée par une journaliste italienne : Jean-Paul Ier est bien mort d'un infarctus, conséquence d'une maladie coronarienne.
Des attaques portées par les milieux les plus conservateurs
Si le pape François subit autant d'attaques, c'est aussi parce qu'il a fait souffler un vent de progressisme sur une institution millénaire. Parce qu'il a pris position contre la désinformation, pour la cause environnementale et l'accueil des migrants, luttant plus généralement pour une église plus accessible et plus ouverte, il a été pris pour cible. Ses détracteurs l'ont vu comme une sorte de cheval de Troie détruisant de l'intérieur la "véritable" Eglise.
"Le pape a cristallisé sur sa personne une véritable détestation de la part des traditionalistes intégristes, des tenants du catholicisme identitaire, qui sont (…) assez perméables aux théories complotistes", relève dans le podcast "Complorama" Tristan Mendès-France, enseignant en cultures numériques à l'Université Paris-Cité et collaborateur à l'Observatoire du conspirationnisme.
La transition vers une Eglise catholique plus moderne remonte pourtant aux années 1960, avec le concile Vatican II. Mais les messes en latin ont perduré, notamment dans les églises traditionalistes et intégristes. Sous le pontificat de François, le Vatican a d'ailleurs tenté de limiter un peu plus cette pratique.
Le spectre d'une Eglise infiltrée par la franc-maçonnerie
Certaines théories sont relayées par un écosystème catholique proche de l'extrême droite. Le site français Media-Presse.Info, émanation de la mouvance catholique traditionaliste et complotiste Civitas, selon l'Observatoire du conspirationnisme, fait apparaître le mot "franc-maçon" plus de 800 fois dans ses articles. Une obsession convoquée à de nombreuses occasions quand il s'agit d'évoquer le pape François : Jorge Mario Bergoglio y est notamment suspecté de valoriser les idéaux franc-maçonniques en voulant développer "une religion mondiale" au travers du dialogue interreligieux. Une idée fixe partagée par l'auteur Johan Livernette, proche de Civitas : ce dernier soutient dans un livre que le Saint-Siège fait l'objet d'une infiltration franc-maçonnique depuis Vatican II. Le pape François est d'ailleurs vu par ses ennemis comme "un pur produit" de ce concile, souligne Tristan Mendès-France.
"Dans l'esprit de certains catholiques traditionalistes, la franc-maçonnerie est le plus ancien opposant à l'Eglise catholique de l'époque moderne, et ce, depuis le XVIIIe siècle, bien avant le communisme. C'est, dans un sens, l'archétype de l'anti-catholicisme", explique Massimo Faggioli. L'Eglise a d'ailleurs condamné publiquement la franc-maçonnerie à une dizaine de reprises, depuis une bulle pontificale de Clément XII en 1738, jusqu'à une déclaration approuvée par Jean-Paul II en 1983.
Cette accusation selon laquelle le pape François faisait partie de l'ordre maçonnique "n'a aucun sens, parce qu'il était viscéralement anti-élites", rétorque Massimo Faggioli. Par ailleurs, les allégations d'appartenance à la franc-maçonnerie ou à un prétendu "Nouvel ordre mondial" ne sont pas propres à l'Eglise, tempère Joseph Uscinski, politologue américain spécialisé dans l'étude des théories du complot. "C'est ce qu'on appelle des tropes conspirationnistes, car on les voit revenir souvent."
Le Vatican, une institution ancienne, riche et puissante
"Les théories du complot marchent d'autant mieux qu'elles ciblent des organisations puissantes : il y a peu de théories sur les sans-abris, illustre auprès de franceinfo Joseph Uscinski. Qui a le pouvoir ? Et que fait-on avec, quand personne ne regarde ? (…) Le pape et le Vatican sont des institutions qui ont du pouvoir, qui sont assez riches, qui existent depuis très longtemps, et qui ont beaucoup d'influence dans le monde", souligne-t-il.
Les allégations conspirationnistes, parfois renforcées par la littérature populaire comme dans le best-seller ésotérique Da Vinci Code de Dan Brown, se forment dans un contexte dans lequel la puissante institution est secouée par de vrais scandales : les "VatiLeaks", les abus sexuels tus dans l'Eglise ou encore les finances vaticanes opaques sont autant de grains à moudre pour ses détracteurs.
Pour Maurizio Ascari, les attaques contre l'Eglise catholique ont commencé par la Réforme protestante, amorcée au XVIe siècle en Europe. Ce mouvement de transformation entend revenir aux sources du christianisme, prenant ses distances avec l'Eglise catholique et l'autorité du pape, accusés de promettre de raccourcir la durée au purgatoire contre de l'argent. "Il y a eu des tracts, des pamphlets relayant de la propagande anticatholique. Un ouvrage de l'époque était par exemple titré Le royaume papal, ou règne de l'Antéchrist", illustre le professeur de littérature. Une nouvelle vague de propagande anticatholique a ressurgi au milieu du XIXe siècle. A cette époque, le conservateur Pie IX perdait le pouvoir face aux réformateurs italiens, partisans d'un Etat italien unifié, intégrant le Vatican au sein d'une république laïque.
Le Saint-Siège est "un pouvoir qui veut être indépendant des autres pouvoirs", estime Massimo Faggioli. "Son rôle est de porter un message qui par défaut, perturbe les autres pouvoirs. C'est pourquoi beaucoup de gens essaient de discréditer le Vatican avec de fausses informations. Je m'inquiéterais de voir une Eglise populaire auprès de tous", estime le chercheur en théologie. Mais ces théories étranges sur le Vatican, devenues plus visibles grâce aux réseaux sociaux, parviennent-elles vraiment à infuser au sein de la société ? "Il y a une idée reçue selon laquelle le niveau de croyance dans les théories du complot a augmenté dans les années récentes, mais rien ne le prouve. Ces niveaux sont stables, d'après les sondages", assure Joseph Uscinski.
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