Témoignages "C'est comme si le monde commençait à se réveiller" : six Palestiniens confient ce que représente pour eux la reconnaissance de leur Etat par la France

Article rédigé par Raphaël Godet, Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Maisara Mukhaimar, Haifa Hassouna, Saleh al-Hams, Salma Kaddoumi et Mohammad Hesham Huraini, des Palestiniens vivant dans la bande de Gaza, en Cisjordanie occupée ou réfugiés en France. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Maisara Mukhaimar, Haifa Hassouna, Saleh al-Hams, Salma Kaddoumi et Mohammad Hesham Huraini, des Palestiniens vivant dans la bande de Gaza, en Cisjordanie occupée ou réfugiés en France. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Qu'ils soient en Cisjordanie, réfugiés à l'étranger ou bloqués à Gaza, ces Palestiniens sont partagés, en amont du 22 septembre, entre la gratitude face à ce geste diplomatique attendu et la crainte qu'il ne change rien à la guerre menée par Israël.

Deux mois après, la promesse se concrétise. Il sera 21 heures, lundi 22 septembre, lorsqu'Emmanuel Macron prendra la parole depuis la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York. Devant ses homologues du monde entier, le président français reconnaîtra alors officiellement l'Etat de Palestine. Dans le même mouvement que la Belgique ou encore le Canada, la France rejoindra les près de 150 pays reconnaissant déjà un Etat palestinien.

Un "grand pas en avant", un "bout de justice", "une question de dignité"... Depuis la bande de Gaza, la Cisjordanie occupée ou l'Europe où certains ont trouvé refuge, six Palestiniens confient à franceinfo leurs ressentis et leurs attentes à l'approche de cette annonce officielle, entre l'espoir et le doute, l'impatience et la prudence...

Saleh al-Hams, médecin dans la bande de Gaza 

Saleh al-Hams témoigne par notes vocales, une habitude des habitants de la bande de Gaza, où l'accès à internet est sporadique. Le médecin de 52 ans dirige les soins infirmiers à l'hôpital européen de Gaza, à Khan Younès, dans le sud de l'enclave. Mais son centre hospitalier, touché par des frappes israéliennes, "a besoin d'encore trois mois avant de pouvoir relancer certains soins". Des bombardements justifiés par la présence, selon Tsahal, d'un tunnel du Hamas sous l'hôpital. Sur place, "il n'y a pas d'électricité, pas d'eau, pas d'évacuation des eaux usées", dépeint Saleh al-Hams. Evacué vers Deir al-Balah avec sa famille, il continue de travailler dans d'autres hôpitaux. 

Autour de lui, la reconnaissance de l'Etat de Palestine par la France n'est pas vraiment un sujet. "Les gens parlent de leurs souffrances, des évacuations des zones du Nord, de la faim, de l'absence d'eau", énumère le médecin, le ton calme mais grave. À l'heure où il se confie, les évacuations s'accélèrent en réaction à l'opération terrestre israélienne dans la ville de Gaza, déjà en situation de famine. "La question principale pour tout le monde, c'est l'arrêt de cette guerre." Au sujet de la décision de la France, Saleh al-Hams est partagé.

"Je serai heureux si cette annonce change la donne sur le terrain. Mais cette reconnaissance ne signifiera rien si la guerre ne s'arrête pas."

Saleh al-Hams

à franceinfo

Face à la dévastation à Gaza et au spectre d'une annexion de la Cisjordanie occupée, le médecin regrette que l'annonce de Paris ne soit pas intervenue plus tôt. En 1988, quand Yasser Arafat proclamait l'Etat de Palestine. Ou cinq ans plus tard, lors de l'émergence de l'Autorité palestinienne. Pour Saleh al-Hams, la France a désormais une mission : "Exercer une pression diplomatique sur les Etats-Unis pour qu'ils mettent fin à cette guerre menée par Israël."

Mohammad Hesham Huraini, activiste et journaliste en Cisjordanie occupée  

"Il y a eu une attaque il y a trois jours." Depuis son village de Tuwani, en Cisjordanie occupée, Mohammad Hesham Huraini relate l'arrivée récente de colons israéliens sur les terres de son oncle. Un phénomène qui gagne en ampleur, et qui s'accompagne très souvent de violences. "Des colons nous ont attaqués, mes cousins ont été battus", assure le Palestinien de 22 ans, vidéo à l'appui. "Le harcèlement, les attaques, le nettoyage ethnique... Tout cela est quotidien."

Quand la France a annoncé la reconnaissance prochaine de l'Etat palestinien, l'activiste a été saisi par "un mélange d'émotions". "Des personnes que je connais ont été tuées, blessées. Après des années, c'est comme si le monde commençait à se réveiller", confie Mohammad Hesham Huraini. La décision, tardive à ses yeux, est néanmoins "un grand pas en avant", l'une de ces annonces qui pourraient faire bouger les lignes. "Nous commençons à espérer avoir à nouveau notre pays, être considérés comme des personnes, avoir notre poids sur la scène politique." Mais il déplore la lenteur de la communauté internationale : "Aujourd'hui, on attend que davantage de personnes soient tuées pour prendre des mesures sérieuses". Il estime qu'il faudra aller plus loin :

"Nous avons besoin que la France sanctionne, qu'elle sanctionne notamment Benyamin Nétanyahou pour les crimes de guerre à Gaza."

Mohammad Hesham Huraini

à franceinfo

A l'approche de cette reconnaissance, le jeune Palestinien espère que celle-ci marquera "le début d'un vrai changement pour nous". Il a néanmoins ses doutes. Ces derniers temps, "le monde nous a donné l'impression qu'il ne se souciait pas beaucoup des êtres humains en Palestine".

Salma Kaddoumi, journaliste et photographe dans la bande de Gaza 

Après vingt heures d'évacuation, Salma Kaddoumi, son frère et ses enfants ont finalement pu rejoindre Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. La famille s'est empressée de fuir la ville de Gaza et de partir vers le sud, à l'annonce d'une opération terrestre d'ampleur de l'armée israélienne. C'est, dit-elle, le 23e déplacement forcé pour ses neveux.

Malgré l'épuisement, la journaliste répète des mots de gratitude à l'égard de la France, alors que Paris reconnaîtra lundi l'Etat de Palestine. "Nous apprécions la position de la France en soutien de la Palestine, depuis le début de la guerre" entre Israël et le Hamas, souligne la Palestinienne de 35 ans. "Il y a eu les opérations d'évacuation, jusqu'à cette reconnaissance. (...) C'est une très bonne initiative de la part de la France."

"Cela montre que nous ne sommes pas seuls, que des gens ne nous regardent pas mourir en silence. La France ressent ce que nous vivons."

Salma Kaddoumi

à franceinfo

Salma Kaddoumi en est convaincue : cette décision va encore renforcer les liens entre son pays et la France. "Une relation [entre les deux pays] va se développer, en matière d'éducation, de commerce, de reconstruction de la bande de Gaza", espère-t-elle. Et la journaliste d'ajouter : "Je n'oublierai jamais ce que la France fait pour la Palestine."

Maisara Mukhaimar, chercheur en biologie, aujourd'hui à Nantes

Maisara Mukhaimar répond dans un français impeccable depuis les laboratoires de l'université de Nantes, où il a trouvé refuge en avril. Le chercheur de 50 ans n'a pas à chercher ses mots, ils sortent tout seuls. "Que la France reconnaisse enfin l'Etat de Palestine est une étape importante, une étape de justice, un rendez-vous avec l'histoire", se réjouit le spécialiste en agronomie, venu en France dans le cadre du programme Pause, qui accueille des scientifiques et des artistes en exil.

Quand Emmanuel Macron a fait son annonce, le 24 juillet, le père de famille a aussitôt prévenu ses proches encore sous les bombes dans l'enclave palestinienne. "Ça bouge ici, ça bouge ici !", leur a-t-il écrit par messages. "Ce jour-là, je me souviens, j'ai pleuré. Parce que la France n'est pas un pays comme les autres. C'est un visage de l'Europe, un poids lourd politique. D'autres pays vont suivre, j'en suis sûr."

Au bout du fil, sa voix se fait plus chevrotante. Il s'excuse : "Comprenez que la France va nous redonner un bout de la justice que nous avons perdue depuis longtemps. De la justice et de la dignité."

"Personne ne reviendra à la vie avec cette reconnaissance. Mais ça nous redonne de l'espoir. Au moins un pays qui pense à nous."

Maisara Mukhaimar

à franceinfo

Malgré les six heures de décalage avec New York, Maisara Mukhaimar a prévu de veiller tard, lundi, pour suivre ce moment historique. Sa femme sera à ses côtés, ainsi que leurs deux filles de 18 et 22 ans, et leur fils de 15 ans. "On sera heureux mais on ne fêtera pas. On ne peut pas fêter. Trop de personnes sont mortes, trop de personnes souffrent". Il observe un silence : "Je vais sûrement encore pleurer lundi."

Haifa Hassouna, enseignante universitaire dans la bande de Gaza

C'est un espoir auquel Haifa Hassouna a longtemps voulu s'accrocher. "J'ai été très surprise lorsque j'ai appris la nouvelle", se souvient l'enseignante, qui a déjà visité la France pour des travaux académiques. "Cette reconnaissance signifie beaucoup pour moi." Mais au fil des semaines, elle a déchanté. "Ça arrive à un moment où nous sommes préoccupés par l'eau, la nourriture, nous mettre à l'abri. Survivre", se désole la mère de famille, "piégée" dans l'enclave avec son bébé d'un an.

"Cette reconnaissance arrive trop tard."

Haifa Hassouna

à franceinfo

L'universitaire, qui vient de fuir vers le sud de l'enclave, aimerait aussi penser que cette étape va permettre "d'exercer une forte pression sur Israël". Mais elle ne se berce pas d'illusions. Mardi, au lendemain de la conférence à New York, rien n'aura changé à ses yeux, au contraire : "Nous nous attendons à ce que les Israéliens augmentent leur violence et leurs tueries contre nous après la reconnaissance de l'Etat de Palestine, car ils n'aiment pas cette décision."

Nael el-Tounesi, conseiller en relations internationales réfugié en Suède

Nael el-Tounesi ne s'éloigne jamais de son téléphone. C'est son seul moyen d'avoir des nouvelles de ses proches toujours à Gaza. Lui est aujourd'hui en Suède, en sécurité, où il continue ses missions de conseiller en relations internationales. C'est d'ailleurs dans ce costume qu'il veut évoquer la reconnaissance à venir de l'Etat palestinien par la France. "A mon avis, la France devrait accompagner la reconnaissance de mesures concrètes : soutenir l'aide humanitaire, investir dans la reconstruction, renforcer les institutions palestiniennes et appuyer les mécanismes juridiques internationaux pour la protection des civils", analyse-t-il depuis ses bureaux à Göteborg.

"Que la reconnaissance ne reste pas seulement symbolique."

Nael el-Tounesi

à franceinfo

"La France pourrait jouer un rôle constructif en ouvrant des canaux diplomatiques plus larges, en apportant un soutien au développement et en encourageant un processus politique équitable qui puisse mener à une paix durable", développe le Palestinien.

Bref, Nael el-Tenousi attend de voir l'après-22 septembre. "Pour moi personnellement et pour mes proches, cette décision pourrait apporter un certain espoir d'un avenir meilleur, mais les défis quotidiens resteront inchangés tant qu'il n'y aura pas d'améliorations concrètes en matière de sécurité, d'économie et de services."

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