"Nous n'avons plus rien à emporter, nous avons tout perdu" : à Gaza, les habitants de nouveau forcés à l'exil face à l'opération israélienne

Article rédigé par Raphaël Godet, Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des Palestiniens se dirigent vers le sud de la bande de Gaza après de nouveaux ordres d'évacuation, le 14 septembre 2025, à Nuseirat. (EYAD BABA / AFP)
Des Palestiniens se dirigent vers le sud de la bande de Gaza après de nouveaux ordres d'évacuation, le 14 septembre 2025, à Nuseirat. (EYAD BABA / AFP)

L'armée israélienne a intensifié ses bombardements et lancé une offensive terrestre pour prendre le contrôle de la principale ville de l'enclave palestinienne. L'évacuation de ses habitants s'accélère dans la douleur.

Deux enfants épuisés, affalés l'un sur l'autre à l'arrière d'une remorque en pleine nuit. Trois jeunes femmes courant pour s'agripper à l'arrière d'une camionnette, au-dessus de laquelle des sacs ont été entassés dans l'urgence. Ces véhicules avec des matelas posés sur leurs toits, filmés et publiés par la journaliste Salma Kaddoumi mardi 16 septembre, témoignent d'un nouvel exil forcé dans la bande de Gaza. Celui de centaines de milliers d'habitants de la ville de Gaza, face aux opérations de l'armée israélienne et aux débuts d'une offensive terrestre majeure contre le Hamas. 

Tsahal a débuté mardi la phase terrestre de son opération intitulée "Chariots de Gédéon II" dans la plus grande ville de l'enclave palestinienne, considérée par les forces israéliennes comme "le principal bastion" du mouvement islamiste. "Gaza brûle. L'armée frappe d'une main de fer les infrastructures terroristes et les soldats de l'armée se battent vaillamment pour créer les conditions nécessaires à la libération des otages et à la défaite du Hamas", a déclaré le ministre de la Défense israélien, Israël Katz, dans la foulée de l'offensive.

L'intensification des opérations a poussé de nombreux Gazaouis à prendre la route pour fuir les combats. Une population déjà extrêmement fragilisée, dans une région où la famine a été officiellement déclaréeD'après l'armée israélienne, plus de 350 000 habitants sont déjà partis, sur environ un million de Gazaouis vivant encore fin août dans la ville et ses environs. La journaliste et photographe Salma Kaddoumi, jointe par franceinfo, raconte qu'elle vient de fuir avec son frère et ses trois enfants. "Mes neveux ont été déplacés 23 fois" depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, affirme cette Gazaouie de 35 ans. "Je me sens tellement mal, tellement désolée pour eux."

"Vous avez de la chance si vous pouvez trouver un peu d'eau"

Dans la précipitation, "nous avons évacué en voiture, avec une sorte de remorque à l'arrière. Nous n'avons pas pris grand-chose". Contactée via WhatsApp, Salma Kaddoumi décrit dans des messages audio  – la connexion internet étant intermittente – un déplacement de 20 heures entre le quartier de Tel al-Hawa, dans le sud de la ville de Gaza, et Deir al-Balah, au centre de l'enclave palestinienne dévastée. Un trajet de seulement 17 km, mais qui s'est éternisé à cause de l'ampleur des évacuations. "Normalement, cela devrait prendre 30 minutes", souligne la journaliste. La Palestinienne, son frère et ses enfants ont fui aux sons des drones et des bombardements israéliens. Un exil risqué pour tenter, une nouvelle fois, de trouver un semblant de sécurité. "L'évacuation était très dangereuse. Mes neveux ont pleuré à cause du bruit. L'un d'eux était fatigué de ce déplacement, mais il ne pouvait pas dormir."

En arrivant à Deir al-Balah, "nous avons vu des foules et pas assez d'espace pour installer des tentes", rapporte Salma Kaddoumi. Depuis mardi soir, la photographe voit autour d'elle un accès à l'eau très difficile, tant les déplacés sont nombreux dans le centre de l'enclave. "Vous avez de la chance si vous pouvez en trouver un peu." La situation est moins dangereuse qu'à Gaza-ville, mais "Deir al-Balah n'est pas une zone sûre, il y a des bombardements", souligne-t-elle. S'ils ont pu évacuer, ses neveux se sentent "épuisés", dit-elle, "très mal, physiquement et mentalement. Ils ne peuvent pas oublier ces deux jours".

"Ils sont bloqués dans un piège"

L'armée israélienne a annoncé mercredi l'ouverture d'une "nouvelle route de passage temporaire", la route Salah Al-Din, pour que les habitants de Gaza puissent évacuer la ville. "A ce stade, l'itinéraire sera ouvert pendant quarante-huit heures seulement, du 17 septembre 2025 à 12 heures jusqu'au 19 septembre 2025 à 12 heures", a précisé le porte-parole Avichay Adraee sur le réseau social X. 

Que prendre avec soi quand "on a déjà dû évacuer une dizaine de fois" en deux ans ? "La vérité, c'est que nous n'avons plus rien à emporter puisque nous avons tout perdu", pleure Safaa. L'étudiante de 21 ans, en passe de quitter Gaza, dit nous parler "depuis l'enfer". "Notre maison a été bombardée et maintenant nous sommes forcés de fuir vers le sud", embraie-t-elle, de l'angoisse dans la voix. "Nous n'avons nulle part où aller."

Il y a quelques jours, un bombardement israélien a visé son quartier. Deux de ses frères, Mohammad et Thaer, 20 et 40 ans, et son neveu Mansour, 10 ans, ont trouvé la mort dans ce raid aérien. Leurs visages illustrent désormais son profil WhatsApp. Le dernier message qu'elle a pu nous envoyer ressemblait à un énième cri de désespoir :

"La situation ici est plus dangereuse que les mots ne peuvent le décrire."

Safaa, étudiante gazaouie

à franceinfo

Le réseau est fragile et les téléphones manquent souvent de batterie. Ainsi, le dernier message de Hashem remonte à mardi, 11h40, depuis la ville de Gaza : "L'opération militaire a commencé. Situation très difficile." Depuis, aucune nouvelle du jeune étudiant.

A 3 700 km de la bande de Gaza, l'inquiétude ne quitte pas non plus Yaser Al Rayyes. Réfugié à Concarneau (Finistère) depuis quelques semaines, ce Palestinien de 25 ans a appris que son père avait été grièvement blessé dans un bombardement israélien. Sur les photos et vidéos auxquelles franceinfo a eu accès, il est allongé sur un lit de l'hôpital Al-Qods, bandé et intubé, les pommettes et le nez arrachés.

"Il faut que mon père soit évacué de Gaza pour qu'il reste en vie".

Yaser Al Rayyes, réfugié palestinien

à franceinfo

L'hôpital se situe dans la zone des combats. "La situation est catastrophique, se morfond Yaser. Ils n'ont plus de médicaments, le matériel est défectueux et ils ont déjà reçu deux ordres d'évacuer, mais comment faire ? Je ne pense qu'à ça, tout le temps, chaque seconde. Ils sont bloqués dans un piège." Après plusieurs tentatives, il a réussi à joindre sa mère mercredi en milieu d'après-midi. Il a également pu communiquer avec son père. Aux dernières nouvelles, les chars israéliens ne se trouvaient plus qu'"à une rue" de leur maison.

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