: Reportage "On a une guerre à côté de chez nous, donc ça peut être utile" : en Pologne, des élèves formés dès le plus jeune âge au maniement des armes

"Bien sur l'épaule, l'arme ! Ne la plie pas !" Anastazja Inhlyk s'essuie les mains, puis recommence. Cette fois, rien à redire : main faible positionnée sur le levier d'armement, index de la main forte fermement placé contre la sûreté. L'adolescente de 17 ans a tout compris, son fusil d'assaut est parfaitement tenu. Exercice suivant, "se déplacer arme à la main".

Il est 10 heures, dimanche 5 octobre, et un cours particulier vient de commencer au lycée Stanislaw-Staszic, à Lodz, en Pologne. Huit élèves, six garçons et deux filles, sont tombés du lit pour apprendre à manier les armes. Pas de tableau noir, pas de devoir sur table, pas de professeurs, mais des gilets pare-balles et des instructeurs en uniforme kaki qui donnent les instructions.

Tout est faux, mais tout paraît si vrai. L'arme qu'Anastazja Inhlyk trimballe dans les couloirs de l'établissement est une réplique d'un AK47, capable de tirer 600 coups à la minute. Collier en forme de cœur autour du cou, la jeune fille semble comme un poisson dans l'eau. Regard concentré, la voilà qui pivote pour mettre en joue un ennemi invisible. "Je ne pense pas être trop jeune pour ça, raconte-t-elle. Bien sûr, il vaut peut-être mieux ne pas donner une arme à quelqu'un de dix ans. Mais pour mon âge, c'est idéal." Pas le temps de parler davantage, ordre est donné de s'allonger par terre en position de tir. Au même moment, un bruit provenant du gymnase attenant : des volleyeuses du même âge célèbrent leur victoire.

Depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, un dossier a été remonté tout en haut de la pile des préoccupations des 37 millions de Polonais : leur sécurité. Avec 212 000 soldats, le pays membre de l'Otan dispose aujourd'hui de la plus grande armée d'Europe, et souhaite atteindre un contingent de 300 000 militaires d'ici à 2035. Car avec plus de 600 km de frontières communes avec la Russie et la Biélorussie, il se sent régulièrement menacé. Mi-septembre, 19 drones russes ont violé l'espace aérien polonais. 

Cette sensibilisation à la défense commence dès l'école. Depuis la rentrée, des cours dédiés ont été mis en place. Sur le site du ministère(nouvelle fenêtre), on découvre que l'un des modules consiste, par exemple, à "préparer les étudiants à agir dans des situations d'urgence". 

"Des bases pour pouvoir survivre si la situation devait dégénérer"

Ce dimanche matin, dans ce lycée de Lodz, les instructeurs de l'association Strzelec proposent une sorte d'approfondissement. Cette organisation paramilitaire, dont le nom signifie "tireur d'élite" en français, compte environ un millier de membres en Pologne. "L'idée n'est pas de préparer ces jeunes à la guerre", insiste "Krolik", l'un des chefs, agent de police à Lodz. "Non, l'idée est de leur fournir les bases pour pouvoir survivre si la situation devait dégénérer. On les forme aux techniques de secourisme, aux techniques de défense… On leur apprend à multiplier les chances de s'en sortir si une catastrophe ou une guerre éclate. A mon avis, il faut commencer tôt. C'est mieux de connaître les armes avant d'en avoir besoin. Moi, j'ai appris à 14 ans, avec mon oncle. J'ai ensuite fait deux ans dans l'armée."

Les opérations de déstabilisation menées par la Russie reviennent régulièrement dans les discussions. "C'est certainement devenu une raison plus fréquente de nous rejoindre", confie l'association, qui propose aussi des immersions en plein air, en forêts ou dans des bâtiments abandonnés. 

Anastazja Inhlyk acquiesce, en réajustant son ruban blanc dans les cheveux. "Je pense que nous ne savons pas ce que les Russes pensent, ni ce que [Vladimir] Poutine pense. Je crois qu'il est capable de tout s'il se sent menacé, et nous ne savons pas ce qu'il considère comme une menace ou non".

"Mes parents me soutiennent. Ils disent que c'est un passe-temps sympathique. On a une guerre à côté de chez nous, donc ça peut être utile. J'espère que ça ne le sera pas, mais qui sait."

Anastazja Inhlyk 

à franceinfo

"Contaaaact !", hurle le formateur à l'autre bout du couloir. "La position de tes pieds !" Cette fois, c'est Marcel Stawski, 15 ans, qui doit se corriger. Uniforme kaki de la tête aux pieds, l'adolescent tente de se rattraper, en fléchissant légèrement les genoux. Il grimace de douleur, ne se montre pas à l'aise. Le souffle coupé, il bredouille quelques mots. "La guerre se rapproche, donc c'est important de savoir comment fonctionne un fusil. Dans notre passé, on a souvent été envahis, donc bon…" Le jeune homme envisage déjà l'avenir en conséquence. Plus tard, Marcel Stawski s'imagine déjà devenir pilote dans l'armée.