Procès Joël Le Scouarnec : "Je pensais que c'était quelqu'un de pervers", assure un psychiatre, ancien collègue du chirurgien, qui avait tenté d'alerter
Il a expliqué avoir informé la direction de l'hôpital de Quimperlé dès 2006 concernant ses doutes sur le profil "dangereux" de l'ex-chirurgien digestif. En vain.
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C'est donc lui, le lanceur d'alerte du dossier Le Scouarnec. Thierry Bonvalot était particulièrement attendu, mardi 13 mai, par la cour criminelle du Morbihan, qui entame les dernières semaines du procès de l'ancien chirurgien digestif, commencé le 24 février. Des dizaines de praticiens hospitaliers ont défilé à la barre avant ce témoin clé de l'affaire, pour dire leur sidération devant les accusations qui pèsent aujourd'hui sur Joël Le Scouarnec : tous et toutes assurent n'avoir jamais rien vu de ses agissements pédocriminels, qui ont duré plus de trente ans.
Thierry Bonvalot lui, avait compris dès 2006 que son confrère était un immense "pervers", comme il le raconte, fébrile, dans une salle d'audience pleine à craquer. Mais ce psychiatre d'une soixantaine d'années n'en tire aucune satisfaction : il confie d'emblée, d'une voix tremblante, le "sentiment d'échec terrible" qui l'habite. Car Joël Le Scouarnec n'a été arrêté qu'en 2017, onze ans après que le psychiatre a tiré la sonnette d'alarme. "Après ce fiasco, je pense qu'on a un devoir de vérité", estime le docteur, vêtu d'une veste de costume noire et d'une chemise blanche.
Dans un cheminement parfois alambiqué, mais avec toujours un souci d'exactitude, le psychiatre se remet dans la peau de celui qu'il était il y a vingt ans, lorsqu'il présidait la commission médicale d’établissement (CME) de l'hôpital de Quimperlé, dans le Finistère. C'est au sein de cette instance que la titularisation de Joël Le Scouarnec a été votée à l'unanimité en juillet 2006.
"Il s'est fait choper par le nouveau logiciel du FBI !"
Pourtant, quelques mois avant ce vote, Thierry Bonvalot reçoit un coup de fil "totalement surréaliste" : un collègue psychiatre d'un autre établissement lui "hurle" dessus au téléphone. "Je l'ai expertisé ton chirurgien ! C'est un alcoolo, il s'est fait choper par le nouveau logiciel du FBI !", lui lance-t-il. Ce confrère fait référence à l'opération du service fédéral de police judiciaire américain qui a permis aux autorités françaises d'identifier plus de 2 000 internautes ayant consulté des sites pédopornographiques dans l'Hexagone, dont Joël Le Scouarnec.
Ce collègue lui explique qu'un an avant, en 2005, le chirurgien a été condamné à Vannes à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques, sans toutefois qu'une quelconque interdiction d'exercer ne lui soit imposée. Thierry Bonvalot demande à son interlocuteur de lui envoyer une preuve de ce qu'il avance. Il reçoit, plusieurs semaines plus tard, une "coupure de journal" faisant état de la condamnation d'un médecin pour ces faits, sans que l'intéressé soit nommé dans l'article.
Le psychiatre explique s'être alors retrouvé dans "une position insoluble". Impossible pour lui de confronter directement Joël Le Scouarnec à ces allégations : le chirurgien "venait pour sauver l'hôpital de la fermeture de la moitié de ses activités. Aller lui demander si, à tout hasard, il n'avait pas été condamné pour pédophilie, ça me semblait tout à fait impossible. Je ne voyais pas comment lever le doute", relate Thierry Bonvalot à la barre. Craignant d'être accusé de manquer de "confraternité", il décide alors de se taire.
"Un festival de métaphores sexuelles pédophiles"
Mais quelques semaines plus tard, un infirmier lui rapporte un incident : un enfant a été opéré pendant cinq heures par Joël Le Scouarnec pour une appendicite et en est ressorti "avec une cicatrice de trente centimètres" et une perforation de la veine cave. Le chirurgien "a pris la tangente" sans même prendre la peine de rencontrer les parents. Thierry Bonvalot s'étonne de ces manquements et convoque l'intéressé pour avoir des explications.
Joël Le Scouarnec, "emporté par son élan" développe alors "un festival invraisemblable de métaphores sexuelles pédophiles". "Je n'ai jamais entendu ça de ma vie", souffle Thierry Bonvalot, visiblement encore sidéré de ces propos. "Je l'ai pénétré, je me suis retiré", lui dit le chirurgien, qui lui décrit son opération "comme une relation sexuelle avec l'enfant". L'homme en face de lui est "littéralement envahi de représentations pédophiles", se souvient le psychiatre.
En parallèle, à la même période, une autre affaire éclate : des soignants informent Thierry Bonvalot qu'un radiologue de l'hôpital est accusé de viols et d'agressions sexuelles sur des patientes. Il s'agit de Mohammed Frehat, qui sera condamné en 2015 à 18 ans de réclusion criminelle pour ces faits, commis sur une trentaine de femmes, dont certaines mineures. On est alors aux prémices de l'affaire. Lorsque le psychiatre cherche à confronter le radiologue à ces accusations, l'homme, qui s'est réfugié dans le bureau de Joël Le Scouarnec, n'a même pas le temps de répondre : le chirurgien digestif prend sa défense et agresse le psychiatre.
"Le Scouarnec a monopolisé intégralement la conversation et a décliné tous les registres de la culpabilisation, en me disant que je n'avais pas la légitimité de faire cette démarche, en me demandant ce que je connaissais à la radiologie", rapporte Thierry Bonvalot. "Tu dois certainement avoir des problèmes sexuels pour le persécuter comme ça !", lui lance également le chirurgien, qui s'est soudainement mué en avocat zélé de son confrère.
La situation est "extraordinairement sensible"
Dès lors, Thierry Bonvalot n'a plus de doutes. "Tu es dangereux, tu dois démissionner", lance-t-il à Joël Le Scouarnec, en présence du vice-président de la CME. "Vous ne pouvez pas m'y obliger", rétorque sèchement l'intéressé. Le lendemain, le psychiatre écrit un courrier au directeur de l'hôpital de Quimperlé, André Labat. Il mentionne notamment la condamnation de 2005 et précise clairement : "J'avoue m'interroger quant à la capacité de Joël Le Scouarnec à conserver toute sa sérénité lorsqu'il intervient auprès de jeunes patients".
La situation est alors "extraordinairement sensible", souligne Thierry Bonvalot, puisque les affaires Frehat et Le Scouarnec ont lieu "à quelques jours d'intervalle", dans un contexte de fortes tensions économiques de l'hôpital. Le personnel médical avait été informé d'un "risque de fermeture brutale de l'activité au premier dysfonctionnement".
Thierry Bonvalot attend d'être convoqué pour livrer tout ce qu'il sait. Mais rien ne se passe. Il en parle également à quatre reprises au maire de Quimperlé à l'époque, chef de l'anesthésie de l'hôpital, Daniel Le Bras. "Tu sais à quel point j'ai les plus importants doutes à son sujet", insiste-t-il. Le maire lui glisse alors : "On a vu avec le Conseil de l'ordre et on a décidé qu'il ne serait pas seul quand il s'occuperait d'enfants." Une mesure que Thierry Bonvalot juge bien trop faible au regard de la dangerosité de Joël Le Scouarnec. "J'ai dit : 'C'est impossible !'" Daniel Le Bras lui promet : "Je m'en occuperai personnellement."
Interrogé sur cet échange dans le cadre de l'enquête, l'ancien maire a nié avoir été informé des agissements du chirurgien. "Il faudrait s'assurer qu'il n'ait pas de vrais troubles de la mémoire", rétorque Thierry Bonvalot avec ironie, déplorant qu'à aucun moment, il n'a pu expliciter ce qu'il savait sur Joël Le Scouarnec. "Je pensais fermement que c'était quelqu'un de pervers, de dangereux, mais ces éléments supplémentaires, on ne m'a pas laissé les exprimer", regrette-t-il.
"J'aurais préféré mille fois me tromper"
Dans un courrier porté à sa connaissance bien plus tard, le psychiatre a découvert que le directeur de l'hôpital, décédé depuis, avait envoyé un courrier élogieux à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), à propos de Joël Le Scouarnec. Et ce, alors que les alertes de Thierry Bonvalot avaient déjà été portées à sa connaissance.
"Je considère monsieur Le Scouarnec comme un praticien sérieux et compétent (...) il est affable et entretient d'excellentes relations avec les patients et avec les familles, écrit André Labat. Son arrivée a permis de sortir l'établissement d'une crise grave."
La présidente de la cour criminelle du Morbihan, Aude Buresi, demande à Thierry Bonvalot si le directeur de l'époque "a pu faire un bilan coût-avantages" concernant le fait de se séparer du chirurgien digestif. Le psychiatre, qui entretenait d'excellentes relations avec le directeur, refuse de l'accabler. "J'ai du mal à l'imaginer faire un calcul pareil, compte tenu de la gravité des faits. J'avais beaucoup d'estime pour lui, pour son parcours. Donc je m'abstiendrai de répondre", répond-il simplement. Derrière ses lunettes rectangulaires, ses yeux s'embuent. L'homme semble rongé de culpabilité. "J'aurais préféré mille fois me tromper", lâche-t-il, la gorge serrée. Dans son box, Joël Le Scouarnec fixe le sol, épaules voûtées.
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