Au procès de Joël Le Scouarnec, plusieurs anciens collègues de Vannes se disent "tous sidérés de n'avoir rien vu"

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
L'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, le 10 mars 2025 lors de son procès à Vannes, devant la cour criminelle du Morbihan. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
L'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, le 10 mars 2025 lors de son procès à Vannes, devant la cour criminelle du Morbihan. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

La cour criminelle du Morbihan a entendu lundi et mardi des soignants de la polyclinique du Sacré-Cœur qui ont raconté n'avoir jamais constaté d'actes anormaux de la part de l'ex-chirurgien, accusé d'avoir agressé ou violé plus de 200 patients vannetais.

Le témoignage de Laurent D., ancien directeur de la polyclinique du Sacré-Cœur de Vannes, laissait pressentir une audition factuelle, loin de la charge émotionnelle charriée par la parole des victimes de Joël Le Scouarnec. Mais face à la cour criminelle du Morbihan, lundi 10 mars, ce retraité de 78 ans, en chemise et veste de costume, laisse jaillir sa "colère maîtrisée" de père et de mari. Car une question le hante et il la pose directement à l'ex-chirurgien qui l'observe, fébrile, depuis son box. "Avez-vous monsieur abusé dans la nuit du 17 janvier 1996 de notre fils Antoine, trisomique, aujourd'hui décédé ? Même question pour mon épouse, opérée le 2 mai 1995 ?" Tous deux sont passés sur la table d'opération de Joël Le Scouarnec.

"Je n'ai jamais commis, ni sur votre épouse, ni sur Antoine, le moindre geste de cette nature. Jamais."

Joël Le Scouarnec, ancien chirurgien

devant la cour criminelle du Morbihan

Les plus de 200 victimes de la polyclinique de Vannes n'ont, elles, pas échappé aux agressions sexuelles et viols infligés par l'ancien chirurgien viscéral, embauché en 1994, après onze années passées à la clinique de Loches (Indre-et-Loire). A l'époque, le praticien avait expliqué à Laurent D. vouloir quitter ce petit établissement d'une quarantaine de lits, car celui-ci souffrait trop de la concurrence avec le centre hospitalier universitaire de Tours, bien plus vaste et plus moderne.

L'enquête a montré que celui qui était alors en début de carrière a quitté précipitamment la clinique de Loches, où une trentaine de victimes ont été recensées, sans que l'on sache ce qui l'a poussé à partir si rapidement. "Pour moi, personne n'a rien remarqué. Mais je ne sais pas..." a-t-il déclaré la semaine dernière, interrogé par la présidente Aude Buresi, sur d'éventuels soupçons concernant ses agissements pédocriminels. A la barre, ses anciens collègues ont assuré n'avoir jamais rien vu d'anormal.

Un ancien directeur "écœuré" 

Les témoins vannetais ne disent pas autre chose. Laurent D. s'est certes un peu étonné de le voir arriver avec "pas grand-chose", se rappelant lui avoir "donné un bureau et prêté une table et des chaises de cuisine pour sa maison qu'il louait à Saint-Avé". "J'ai cru comprendre qu'il avait fait faillite à Loches", se souvient-il.

Mais passé ces circonstances de prise de poste un peu étranges, rien ne le fait tiquer dans le comportement de Joël Le Scouarnec ou dans celui de son épouse, Marie-France, qui travaillait avec son mari en tant qu'aide-opératoire. "A l'époque, la plupart des praticiens avaient leurs propres aides opératoires. Souvent, c'étaient leurs épouses ou leurs compagnes. Le praticien les rémunérait lui-même", glisse-t-il.

L'ex-directeur de la polyclinique du Sacré-Cœur dit aujourd'hui tout son "écœurement" face à "la trahison" de Joël Le Scouarnec, qui a exercé pendant dix ans, jusqu'en 2004, dans cet établissement catholique de 130 lits, aujourd'hui fermé. "On avait le souci d'accueillir tous les gens, de quelques milieux sociaux qu'ils soient : c'était une démarche sociale, prévue par la charte qu'on avait avec les religieuses à qui appartenait clinique", relate le septuagénaire à la barre, regrettant que l'accusé ait piétiné son serment d'Hippocrate. 

Un "bon chirurgien" au-dessus de tout soupçons  

"On est là pour soigner les gens, pas pour les détruire psychologiquement", abonde Christophe M., anesthésiste-réanimateur ayant travaillé sept ans aux côtés de Joël Le Scouarnec, de 1997 à 2004. Ce médecin de 60 ans, entendu mardi par la cour criminelle du Morbihan, n'a "pas eu connaissance visuellement d'agressions sexuelles, de gestes non médicaux" et n'a pas non plus "entendu dire que quelqu'un en avait vu", tient-il à souligner d'emblée, dans sa déclaration spontanée. Il n'a pas non plus "entendu Joël Le Scouarnec prononcer des paroles déplacées qui auraient pu [lui] faire penser qu'il avait des tendances pédophiles".

"On est tous sidérés de n'avoir rien vu."

Christophe M., anesthésiste-réanimateur

devant la cour criminelle du Morbihan

L'accusé avait la réputation d'être "un bon chirurgien", relate cet ancien collègue. Dans ses carnets, Joël Le Scouarnec, spécialiste des interventions dans le domaine viscéral et urologique, intervenant aussi bien auprès des adultes que des enfants, décrit des actes sexuels imposés en grande majorité à des mineurs, sous anesthésie ou au cours de prétendus examens médicaux pratiqués lors de visites de contrôles qu'il effectuait seul dans les chambres des patients.

Selon les écrits du septuagénaire, plusieurs actes auraient également été commis sur la table d'opération. Sur ce point, l'anesthésiste-réanimateur ne cache pas son étonnement. "Ça semble quasi impossible, vu le monde qui circule dans tous les sens", relève-t-il, soulignant qu'en salle d'opération, "le chirurgien arrive le dernier et repart le premier, dès qu'il a refermé la plaie". "Il y a tout le temps au moins quatre personnes. Pareil en salle de réveil. Il y a toujours une ou deux infirmières", assure-t-il. "Personne ne comprend", ponctue ce témoin en mal d'explications. 

Une "introspection" qui n'a pas eu lieu

Le seul à avoir potentiellement été témoin de violences sexuelles pourrait être André B., aide-opératoire de Joël Le Scouarnec à Vannes pendant des années. Dans ses carnets, l'accusé raconte en effet s'être fait surprendre par "A. B.". Celui-ci a pourtant affirmé n'avoir "jamais" vu de gestes inadéquats. S'il reconnaît que les textes de Joël Le Scouarnec sont "choquants", il estime que les actes décrits par son confrère "pouvaient être réalisés de manière habituelle par le chirurgien". "Tout ce qu'il décrit je l'ai vu faire, mais sans jamais que ça me choque, car c'était un acte médical, c'est tout", a-t-il estimé, interrogé par les enquêteurs. Impossible toutefois de creuser ces explications : ce témoin très attendu, aujourd'hui âgé de 66 ans, n'a pas pu être entendu par la cour, pour raisons de santé.

Côté soignants, la journée de mardi s'est achevée avec le témoignage de Siobhan B., une infirmière ayant régulièrement assisté Joël Le Scouarnec lors de ses interventions. Cette femme de 53 ans aux longs cheveux blonds se montre pour le moins circonspecte, s'exprimant peu, visiblement pressée d'en finir.

"Nous, en tant qu'infirmières, on ne passe pas tout notre temps à regarder les gestes de chaque chirurgien."

Siobhan B., infirmière

devant la cour criminelle du Morbihan

La présidente lui demande si depuis la révélation de l'affaire "une réflexion" collective a été mise en place pour comprendre comment chacun a pu passer à côté de tels agissements. "Non, je n'ai jamais assisté à ça", répond l'infirmière. "Personne n'a émis le besoin d'avoir cette introspection ?" relance la magistrate. "Non, je pense que personne n'a exprimé ce besoin", rétorque Siobhan B. Derrière elle, assise au premier rang dans la salle d'audience, une partie civile fait non de la tête. Visiblement agacée par le manque de remise en question du monde médical dans cet échec collectif.

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