Reportage "Cinq minutes pour se laver, c'est suffisant" : au camping d'Arradon, les douches sont chronométrées pour économiser l'eau

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial dans le Morbihan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Christine, au camping d'Arradon (Morbihan), le 27 juin 2025. (PIERRE MOREL / HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Christine, au camping d'Arradon (Morbihan), le 27 juin 2025. (PIERRE MOREL / HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Notre série "En toute sobriété" met en avant des solutions locales pour réduire nos consommations et agir face à l'urgence climatique. Dans cet épisode, les touristes participent à l'effort face à la sécheresse.

Peignoir sur le dos et claquettes en main, Christine sort des sanitaires du camping municipal d'Arradon, dans le Morbihan. Le soleil se fait encore discret en cette matinée de la fin du mois de juin, quand elle rejoint son camping-car garé sous les arbres. Dans sa poche, du shampoing et un bracelet en plastique. C'est l'accessoire indispensable de l'été. Sans lui, impossible de se laver. L'accès à l'eau est désormais strictement limité ici : cinq minutes par douche, top chrono.

Pas de quoi mettre Christine de mauvais poil. "Cinq minutes pour se laver, c'est suffisant, même avec des cheveux épais comme les miens", assure-t-elle en souriant. La retraitée salue même l'initiative, qui permet d'économiser de l'eau pendant la période estivale. "Cela évite le gaspillage de cette denrée rare, je trouve ça très bien."

Astrid dans les douches connectées du camping d'Arradon, dans le Morbihan, le 26 juin 2025. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO) Camping d'Arradon, dans le Morbihan, le 26 juin 2025. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Un enthousiasme qui ravit l'équipe municipale. Si la mesure peut sembler cosmétique, elle vise à sensibiliser les touristes au gaspillage et à réduire leur consommation d'eau, alors que les vagues de chaleur et les périodes de sécheresse se multiplient dans toute la France. Régulièrement touchée, la petite commune de près de 6 000 habitants, dont la population triple pendant l'été, a donc décidé de promouvoir la sobriété. "En Bretagne aussi, la ressource en eau est limitée, contrairement à ce que l'on pourrait croire", assure Philippe Guyot, adjoint au maire chargé des finances, de l'économie et du tourisme. "La problématique de la sécheresse ne cesse de grandir", précise-t-il, accoudé sur une table de pique-nique. Des arrêtés limitant certains usages de l'eau ont d'ailleurs été pris dès le mois de juin par la préfecture.

Des résultats encourageants

Alors, quand il a fallu rénover les sanitaires vieillissants de ce camping de 121 emplacements, l'équipe a cherché une solution pour concilier écologie et économies. "On a des contraintes budgétaires, donc on voulait des bâtiments économes en eau", explique l'élu. L'enjeu est loin d'être anecdotique, ces sanitaires étant la structure publique la plus gourmande en eau de la ville. Et pour cause, les Français consomment en moyenne 183 litres d'eau par jour au camping, selon une note du ministère de l'Economie, dont 70% pour l'hygiène. Soit bien plus que les 148 litres utilisés dans leur vie quotidienne.

Sanitaires du camping, le 27 juin 2025. Philippe Guyot, adjoint au maire d'Arradon, présente les nouveaux sanitaires du camping, le 27 juin 2025.

Les travaux sont lancés en 2022. De nouvelles douches, avec un bracelet connecté limitant à cinq minutes la durée de l'eau qui coule, trois fois dans la journée au maximum, sont alors installées. "On a mis le système de limitation en route après la canicule de 2023", précise Patricia Dano, agente de la mairie chargée du camping.

"Il y avait trop abus ! Certains touristes profitaient de ne pas payer la facture pour gâcher l'eau..."

Patricia Dano, agente de la mairie chargée du camping

à franceinfo

Les premiers résultats sont encourageants. Entre 2023 et 2024, la consommation d'eau des campeurs sous les douches passe de 109 litres par jour et par personne à 71 litres, selon les chiffres de la mairie. Alors, une fois lancée, l'équipe municipale continue sa lutte contre le gaspillage en installant des réducteurs de débit aux robinets. L'année dernière, des urinoirs sans eau ont également été mis en place. "Au début, j'étais un peu sceptique", reconnaît Philippe Guyot. Mais à l'usage, la pierre intégrée dans le siphon garantit l'absence d'odeur... sans utiliser une seule goutte d'eau.

"Un service public populaire et économe"

Au total, la réfection de l'ensemble des sanitaires, avec la mise en place de ces nouveaux dispositifs, a coûté environ 100 000 euros à la commune, financés à hauteur de 20 000 euros par l'agglomération. Le reste provient du budget d'investissement de la petite ville, qui espère bien le rentabiliser dans les années à venir. "Ce sont des gouttes d'eau, mais si tout le monde n'y met pas du sien, on n'y arrivera pas", martèle Fanny Le Mentec, conseillère municipale déléguée au tourisme. 

Ces investissements ont aussi fait grimper les notes du camping, désormais labellisé "station verte", avec ses poubelles de tri à l'entrée, son compost et ses lumières à détection de présence. Mais hors de question de viser les étoiles en creusant une piscine, comme l'ont fait les deux autres campings privés de la commune, à quelques kilomètres de l'océan. "On veut garder un service public populaire et économe", argue Philippe Guyot, en vantant les avantages d'un tourisme sobre.

Le camping municipal d'Arradon, dans le Morbihan, a été labellisé deux étoiles et station verte. Famille dans le camping municipal d'Arradon, dans le Morbihan, a été labellisé deux étoiles et station verte.

Malgré ce confort rudimentaire et les restrictions dans les douches, le satisfecit est presque unanime dans les allées du camping. "C'est un bon principe, s'enthousiasme Olivier, un Belge de 53 ans. Ce n'est pas parce qu'on n'est pas chez nous qu'on ne doit pas faire attention à notre consommation d'eau." Un avis partagé par Armand, attablé avec sa femme pour le petit déjeuner : "Cela sensibilise tout le monde et ça évite aux petits de jouer trop longtemps sous l'eau", assure-t-il, l'œil sur ses enfants.

Aller plus loin face aux étés de plus en plus secs ?

D'autres vacanciers ont tout de même été un peu surpris. "Quand on nous a dit cinq minutes, on s'est dit : 'Ouh là, on ne va pas avoir le temps'", reconnaît Bruno, qui a embarqué le bracelet de sa compagne lors de son premier passage aux sanitaires. Finalement, pas besoin de doubler la mise. "Dans l'autre camping où nous étions, c'était 'open bar', glisse sa campagne, Orkia, près de leur van aménagé. Au moins, ici, on fait attention."

Bruno, Orkia et leur chienne dans leur van, au camping d'Arradon, le 26 juin 2025.

Rares sont les bémols soulevés par certains campeurs, comme Emmanuel. Ce saisonnier a planté sa tente à Arradon pour tout l'été et regrette que la douche soit parfois un peu froide tôt le matin. "Il faut deux pressions pour avoir de l'eau chaude, donc si je veux me laver les cheveux, c'est trop court ensuite", souffle-t-il à l'entrée des sanitaires, entre deux services dans un restaurant de la région.

A l'exception de ces quelques ajustements à prévoir, l'enthousiasme général pousse l'équipe municipale à envisager d'aller encore plus loin face aux étés de plus en plus secs. "On a une marge de progression, on pourrait par exemple limiter les douches à deux par jour", estime Philippe Guyot. A côté du bloc sanitaire, Maël, 6 ans, est encore plus radical : "Moi, j'aurais préféré que ce soit deux minutes maximum !" lance-t-il dans un éclat de rire.

L'œil de l'expert

Portrait de Alexandre Joly

Alexandre Joly

Ingénieur responsable du pôle énergie à Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans les enjeux environnementaux :  

"Il s'agit d'un petit dispositif qui permet de prendre conscience de la durée des douches, sans pénibilité. C'est une mesure facile à mettre en place et qui est souvent bien perçue. Le jeu en vaut la chandelle, car il permet une réduction de consommation de 30% à 40%. C'est d'autant plus significatif que la douche est le principal poste de consommation d'eau des particuliers.

J'interroge cependant la fabrication des bracelets connectés. Il existe probablement des dispositifs qui requièrent moins de matériaux critiques et qui pourraient être plus vertueux pour l'environnement. Par exemple, la mise en place d'un simple sablier dans les douches a un effet incitatif très efficace."


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