Reportage "Ça nous faisait mal au cœur de perdre toute cette eau" : à Istres, les trottoirs sont nettoyés grâce à la vidange de la piscine municipale

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à Istres (Bouches-du-Rhône)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Karine Brémond, cheffe du service des piscines à la direction des sports d'Istres, dans les Bouches-du-Rhône, le 16 juillet 2025. (PAULINE GAUER / HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Karine Brémond, cheffe du service des piscines à la direction des sports d'Istres, dans les Bouches-du-Rhône, le 16 juillet 2025. (PAULINE GAUER / HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Dans le cadre de la série "En toute sobriété", franceinfo se penche sur une initiative de lutte contre le gaspillage de l'eau. Chaque jour, les balayeuses istréennes déversent une eau de vidange du bassin local de natation.

Comme tous les matins, Johan Larossa, 28 ans, se gare devant le centre nautique d'Istres, petite ville des Bouches-du-Rhône bordée par l'étang de Berre. Cet employé municipal n'a pas pris son maillot de bain, en ce mois de juillet caniculaire. Avec ses chaussures de sécurité aux pieds et son pantalon de chantier orange, il est là pour recharger en eau la balayeuse de la ville. "Ça prend cinq minutes, c'est très rapide", se félicite-t-il, en branchant le tuyau à la canalisation qui sort du sous-sol de la piscine municipale. En un clin d'œil, les brosses se mettent à tourner et les buses diffusent leur puissant jet. Depuis un peu plus d'un an, l'eau des bassins, qui doit être renouvelée tous les jours, n'est plus jetée, mais réutilisée pour nettoyer l'ensemble des routes et des trottoirs de la ville.

Johan Larossa recharge la balayeuse de la ville avec l'eau de vidange de la piscine municipale d'Istres. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO) La balayeuse de la ville avec l'eau de vidange de la piscine municipale d'Istres. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

"Ça nous faisait mal au cœur de perdre toute cette ressource", explique Yves Garcia, adjoint au maire, en charge de l'environnement. D'autant qu'elle se fait de plus en plus rare l'été. "C'est vital dans une région sèche comme la nôtre", explique l'élu. L'Agence de l'eau de la région estimait en 2022 que 40% des territoires du bassin Rhône-Méditerranée étaient en "tension", car les besoins actuels et les prélèvements dépassent la capacité des ressources disponibles.

A Istres, cette prise de conscience s'accélère en 2023, alors que toute la France doit faire face à des restrictions drastiques. L'élu réunit alors les équipes municipales pour trouver des solutions concrètes en matière de sobriété. L'une d'elles se trouve dans les locaux techniques de la piscine municipale.

Un bassin secret

Une forte odeur de chlore règne dans ce sous-sol interdit au public. De l'autre côté de larges hublots, des nageurs enchaînent les longueurs de 25 mètres. C'est entre les tuyaux et les filtres que se cache la trouvaille de la municipalité, sous la forme d'un petit bassin secret. Une sorte de piscine hors-sol que l'on pourrait trouver dans le jardin d'un habitant de la région. Mais celle-ci n'est pas faite pour se baigner. "L'eau de la piscine qui doit être remplacée tous les jours se retrouve ici", explique Georges Biniato, agent technique au service des piscines depuis plus de quinze ans.

Sous-sols du centre nautique d'istres. Yves Garcia, adjoint au maire d'Istres, en charge de l'environnement, dans les sous-sols du centre nautique.

La législation sur les piscines publiques impose en effet qu'un "renouvellement de l'eau des bassins soit effectué chaque jour d'ouverture, à raison d'au moins 30 litres (...) par baigneur ayant fréquenté l'installation". Une mesure indispensable pour assurer la qualité de l'eau, mais qui génère une consommation très importante pour l'établissement.

"L'idée a été de se dire : 'Comment valoriser cette eau pour qu'elle ne soit pas perdue ?'"

Yves Garcia, adjoint au maire d'Istres

à franceinfo

Après avoir observé des initiatives mises en place dans d'autres villes, la municipalité opte pour un nouveau système de pilotage des bassins. "Chaque jour, les agents d'accueil inscrivent le nombre de personnes entrées dans la piscine et le système calcule la quantité d'eau précise à renouveler", complète Georges Biniato. Selon les saisons, ce chiffre peut grimper jusqu'à plusieurs centaines de baigneurs quotidiens, soit environ 10 000 litres à renouveler en 24 heures. L'équivalent de plus de 50 baignoires. Cette eau, jusque-là perdue, est désormais traitée pour réduire sa teneur en chlore dans ce nouveau bac de rétention, puis pompée par les balayeuses, selon leurs besoins.

Georges Biniato, agent technique au service des piscines d'Istres depuis plus de quinze ans. Piscines d'Istres.

Les pompiers peuvent également venir s'y ravitailler en cas d'incendie dans le secteur. Idem pour le comité communal des feux de forêts, qui possède plusieurs 4x4 avec des réservoirs d'eau. "Cela nous permet d'être plus réactifs en cas de départ de feu", se félicite Yves Garcia.

L'installation de ce système, qui comprend aussi la mise en place d'un récupérateur de chaleur afin de faire monter l'eau en température sans utiliser la chaudière à gaz, a coûté environ 73 000 euros à la collectivité. "Mais nous l'aurons rentabilisée en seulement trois ans", grâce aux économies d'eau et de chauffage, se félicite Karine Bremond, cheffe du service des piscines à la direction des sports de la ville. Au total, 3 450 m3 d'eau devraient être recyclées sur un an. "Une fierté pour Istres !", s'enorgueillit celle qui a appris à nager dans cette ville avant de représenter la France en natation aux Jeux olympiques d'Atlanta (1996) et de Sydney (2000).

"Nous sommes tous focalisés sur l'eau"

Quelques mètres au-dessus de sa tête, la relève de la championne est d'ailleurs en train de s'entraîner. "Allez, on y retourne", lance Christophe Roux, le coach des nageurs locaux. Deux jeunes espoirs plongent sans attendre dans le grand bain, avant de prendre la route pour les championnats de France, à Poitiers. "On voit fermer des piscines municipales un peu partout", s'inquiète l'entraîneur. Alors, le trentenaire applaudit la solution trouvée pour réutiliser l'eau perdue et préserver cet équipement public.

Christophe Roux, coach du club de natation d'Istres. Club de natation d'Istres.

Même engouement dans la ligne d'eau d'à côté. Murielle et Sylvie font partie des habituées des lieux, mais elles ne savaient pas que l'eau était réutilisée pour nettoyer la ville. "Une très bonne idée", clame l'une des deux retraitées, avant de reprendre sa brasse.

Pour que tous les nageurs – et les habitants – soient attentifs à cette ressource de plus en plus précieuse, la mairie a décidé de développer des opérations de sensibilisation du grand public, avec des distributions gratuites de mousseurs et de pommeaux de douches économes en eau. "Il faut que chacun fasse sa part", assure l'adjoint au maire. Et la collectivité sait qu'elle devra continuer de montrer l'exemple avec d'autres initiatives, comme l'arrosage connecté des espaces verts qui doit être mis en place à la fin de l'année. "Nous sommes tous focalisés sur l'eau", assure Yves Garcia. Et cette chasse au gaspillage semble fonctionner. "Notre consommation baisse tous les ans", se félicite l'élu.

L'œil de l'experte

Portrait de Julie Mendret

Julie Mendret

Chercheuse dans le traitement de l'eau, maîtresse de conférences à l'université de Montpellier

"Cette démarche de réutilisation des eaux usées de la piscine est indispensable et nécessaire. Elle devrait être mise en place de manière systématique. La plupart des villes en France utilisent de l'eau potable pour nettoyer les rues, c'est aberrant. Pour cet usage, on peut se contenter d'une eau usée traitée. Il faut arrêter de considérer l'eau comme un déchet qui n'a qu'un seul usage.

Les eaux usées qui proviennent des stations d'épuration sont également des ressources inestimables qu'il faut valoriser. C'est d'autant plus vrai dans les zones touristiques et sur le littoral, où les eaux usées sont bien souvent rejetées dans la mer. Dans ce cas-là, il n'y a aucune raison de ne pas les utiliser pour de l'arrosage, de l'irrigation, pour nettoyer les villes et même pour lutter contre les incendies. Mais toujours dans un souci d'efficacité, pour éviter un effet rebond [que la hausse de la consommation n'annule les gains environnementaux]."


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