Scandale des eaux Nestlé : malgré l'annonce de remplacement de la microfiltration jugée non réglementaire, l'usine historique Perrier toujours menacée

Malgré les effets d’annonce, la situation sur le site de Vergèze, dans le Gard, reste incertaine. Deux nouveaux forages sont mis à l’arrêt, tandis que l’hypothèse d’un retrait du statut d’eau minérale naturelle plane toujours sur la marque iconique.

Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Entrée de l’usine Perrier à Vergèze dans le Gard, le 29 décembre 2023. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS VIA AFP)
Entrée de l’usine Perrier à Vergèze dans le Gard, le 29 décembre 2023. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS VIA AFP)

La mécanique semble désormais bien huilée. Dans l'affaire de la fraude aux eaux minérales, dévoilée par la cellule investigation de Radio France et Le Monde, Nestlé Waters continue de vouloir faire passer des reculs pour des avancées. Dans un communiqué publié le 27 juin, le groupe suisse annonce avoir franchi une "étape importante" en retirant son système de filtration illégal (microfiltre 0,2 micron) de ses sites d'embouteillage, à commencer par celui de Vergèze, dans le Gard, berceau historique de la marque Perrier.

L'entreprise tente ainsi de communiquer de façon avantageuse sur ce qui ressemble pourtant à de nouvelles difficultés : l'intégralité des forages exploités pour produire l'eau Perrier est contaminée, selon les autorités sanitaires. Des bactéries d'origine fécale ont été retrouvées dans les eaux brutes, rendant leur commercialisation sous l'appellation d'"eau minérale naturelle" théoriquement impossible, ce label imposant une pureté originelle, sans désinfection ni traitement.

De nouveaux filtres problématiques ?

Pour masquer cette non-conformité, Nestlé utilise depuis des années, et en toute illégalité, des microfiltres à 0,2 micron – dispositifs interdits par la réglementation sur les eaux minérales naturelles, car assimilés à un traitement de désinfection. Un contournement toléré depuis février 2023 par les plus hautes sphères de l'État, malgré les mises en garde de l'ancien directeur général de la santé, Jérôme Salomon, qui avait jugé cette dérogation "inacceptable".

Ce n'est qu'après une série de révélations médiatiques et de pressions publiques que les préfets des Vosges et du Gard avaient fini par exiger le retrait de ces filtres, en mai dernier. Nestlé s'est donc plié à l'injonction, mais pour les remplacer… par des filtres à 0,45 micron. Sans doute tout aussi problématiques. Leur usage ne peut en effet être toléré que si l'opérateur prouve qu'ils ne modifient pas le microbisme originel de l'eau – c'est-à-dire qu'ils ne filtrent pas les micro-organismes qui y sont naturellement présents.

Or, à ce jour, Nestlé n'a fourni aucune preuve en ce sens. Ni pour le site de Vergèze, ni pour celui des Vosges (où sont produites Vittel, Contrex et Hépar). Interrogée à ce sujet, l'entreprise n'a pas répondu aux sollicitations de franceinfo. Elle se contente d'affirmer que "la sécurité sanitaire de toutes les eaux embouteillées est garantie". Une déclaration en contradiction flagrante avec les conclusions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), qui soulignait dès octobre 2023 dans un rapport remis au gouvernement que la sécurité sanitaire des produits du groupe Nestlé Waters ne pouvait plus être garantie.

De nouveaux puits fermés et un risque sur l'emploi

Le député socialiste Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur le sujet, n'y va pas par quatre chemins : "Le retrait des filtres illustre à quel point l'État s'est fourvoyé au plus haut niveau en validant la mise en place de ces traitements désormais retirés".

"Pour autant, ce retrait ne règle rien concernant la catégorisation de Perrier en eau minérale naturelle, puisque les eaux brutes sont toujours contaminées"

Alexandre Ouizille, sénateur

à franceinfo

En clair, Perrier ne devrait plus pouvoir être vendue comme une eau minérale naturelle. Et c'est bien ce que redoute Nestlé. Le groupe prévoit de déposer, ce 4 juillet, un nouveau dossier de demande d'exploitation. Celui-ci ne concernera plus, selon les informations de franceinfo, que deux des sept puits historiques. Deux puits supplémentaires (R4-R4 bis) ont été retirés de l'exploitation. Une manière de recentrer la production sur les forages les moins touchés, dans l'espoir de sauver ce qui peut encore l'être du prestigieux label.

Mais rien ne dit que l'issue sera favorable. La préfecture du Gard, en charge de l'instruction du dossier, a prévenu :"L'entreprise devra prouver que son nouveau système de filtration ne modifie pas le microbisme de l'eau. À ce jour, elle ne l'a pas fait." Un défi qui ne sera pas simple à relever, car les filtres sont précisément conçus pour éliminer les micro-organismes, et donc...modifier le microbisme de l'eau.

Mais en recentrant sa demande d'autorisation sur deux forages, Nestlé ne cherche peut-être pas tant à sauver sa marque qu'à gagner le temps nécessaire pour finaliser la revente de sa division eau, Nestlé Waters). Une vente confiée à la banque Rothschild. Pendant qu'il multiplie les demandes de sursis administratifs, le groupe continue d'embouteiller et de négocier, en tentant de rassurer les futurs acquéreurs sur la continuité de l'activité. In fine, ce sont les salariés de l'usine de Vergèze qui pourraient faire les frais de l'opération, car en cas de cession à un fonds d'investissement – scénario désormais probable – les conditions sociales et les emplois pourraient être fortement impactés.

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