Info franceinfo Scandale des eaux Perrier : une circulaire prévoit un plan d’inspection des usines, le site de Vergèze menacé

Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Les eaux Perrier du groupe Nestlé sont au cœur d'un scandale sanitaire. (JOEL SAGET / AFP)
Les eaux Perrier du groupe Nestlé sont au cœur d'un scandale sanitaire. (JOEL SAGET / AFP)

Franceinfo a pu se procurer la circulaire envoyée dans la semaine à toutes les agences régionales de santé (ARS) et qui vise, sans la citer, la marque Perrier du groupe Nestlé.

Le ministère de la Santé a transmis, dans la semaine du 19 mai, une circulaire aux agences régionales de santé (ARS) pour leur rappeler la réglementation sur les eaux minérales. La circulaire demande également des missions d’inspection sur tout le territoire. L’instruction, que franceinfo s’est procurée et révèle dimanche 25 mai, prévoit notamment le lancement d’un grand plan d’inspections inopinées, menées conjointement par les ARS et les préfectures, dans tous les sites de conditionnement d’eau minérale naturelle et de source, sur la période 2022-2026.

C'est ce que demandaient les sénateurs à l’origine d’un rapport d’enquête parlementaire, publié le 19 mai, sur la fraude aux eaux minérales mise en œuvre par le groupe Nestlé,. "Les ARS veilleront à ce que tous les sites de conditionnement aient fait l'objet d’au moins une inspection sur la période 2022-2026", est-il indiqué dans la circulaire. Il a fallu attendre près de quatre ans après que Nestlé est allé voir le ministère de l'Industrie pour avouer être à l’origine d’une fraude massive dans ses usines des Vosges, pour ses eaux Hépar, Vittel, Contrex, et du Gard, pour ses eaux Perrier.

"Je salue l’annonce de ces missions d’inspection que nous avons appelées de nos vœux et qui vont permettre d'objectiver la situation sur l'état de la ressource et sa pureté originelle", a réagi auprès de franceinfo le rapporteur de l’enquête sénatoriale, Alexandre Ouizille. Alors que le gouvernement était au courant de la présence de filtres interdits dans les usines du groupe Nestlé depuis 2021, il a fallu attendre plus d’un an pour que l’usine Perrier du Gard soit inspectée pour la première fois, en novembre 2022.

Le site de Vergèze dans le Gard pourrait être mis à l'arrêt

Le gouvernement rappelle ainsi aux ARS la réglementation en vigueur sur les eaux minérales. Si la marque Perrier n’est jamais citée directement, les préconisations, si elles sont mises en œuvre, peuvent conduire à l'arrêt de la production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze, dans le Gard. En effet, comme l’indique la circulaire, la pureté originelle des ressources en eau doit être garantie et l’absence de contamination anthropique avec la présence de bactéries ayant un impact sur la santé (Escherichia coli, coliformes, entérocoques intestinaux, spores de micro-organismes anaérobies sulfito-réducteurs, PSeudomonas aeruginosa) doit être confirmée. Il est également rappelé qu’aucun traitement de désinfection ne doit venir pallier cette contamination.

Or, ce sont ce type de bactéries qui sont toujours retrouvées chez Nestlé et en particulier dans les forages exploités par Perrier, ce qui explique les contaminations régulières dans des bouteilles. Comme l’a révélé la cellule investigation de Radio France, encore récemment, la préfecture a demandé la destruction de 300 000 bouteilles Perrier, en raison de la présence de bactéries entérocoques pathogènes.

Perrier pourrait perdre sa dénomination "d'eau minérale naturelle"

Toujours sans faire référence à la marque Perrier, la circulaire indique que "les ressources [en eau] ne répondant plus à la définition d'une eau minérale naturelle ou d’une eau de source perdront leur dénomination et feront l'objet des suites administratives prévues par le code de la santé publique". Or, selon le code de la santé publique, en cas de non-respect de la réglementation sur la production et la distribution d’eau au public, "l'autorité administrative compétente peut suspendre la production ou ordonner la fermeture ou la suppression de l'installation ou de l'établissement en cause".

Par ailleurs, le fait d'offrir ou de vendre au public de l'eau en vue de l'alimentation humaine, sans s'être assuré que cette eau est propre à la consommation, et de ne pas se conformer à la réglementation sur les eaux minérales naturelles, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. La réglementation a largement été ignorée des pouvoirs publics depuis des années, ces derniers ayant participé à cacher la contamination des sources du groupe Nestlé et à maintenir l’exploitation coûte que coûte. Ceci malgré des risques sanitaires, comme l’a confirmé le rapport d’enquête parlementaire. Ainsi, fin 2023, un rapport de l’ARS d’Occitanie a été édulcoré, à la demande de Nestlé, et en accord avec le ministère de la Santé, le préfet, et le directeur de l’ARS, malgré les protestations des agents chargés des contrôles.

Les systèmes de filtration de Nestlé mis en cause

Dans sa circulaire, le ministère de la Santé rappelle également l'interdiction pour les minéraliers d'avoir recours à des systèmes de filtration visant à désinfecter une eau polluée, et notamment des systèmes de filtration encore utilisés dans les usines du groupe Nestlé aujourd’hui. Le ministère confirme que "le recours à des dispositifs de microfiltration avec des seuils de coupure à 0,2 micron n'est pas autorisé", tout en ouvrant la voie au recours à certains traitements de microfiltration inférieurs à la norme en vigueur actuellement, de 0,8 micron, établie par l'Agence nationale de sécurité sanitaire et de l'alimentation (Anses), à condition que l’exploitant apporte la preuve, par des analyses, qu’il n’y a pas de pouvoir désinfectant de l’eau.

Cependant, dans sa circulaire, le ministère ne reprend pas intégralement les recommandations de l'Anses sur cette question de la microfiltration. Dans son dernier avis, daté de 2023, l'Anses préconise en effet trois niveaux de contrôle pour garantir l’absence d’effet désinfectant de la microfiltration : un test au niveau du forage, puis deux tests supplémentaires, juste avant et juste après utilisation du filtre. La circulaire ne recommande que deux niveaux de contrôle.

"L'Anses n’a pas été consultée ni impliquée d’une quelconque manière dans la rédaction de cette circulaire qui par ailleurs ne nous a pas été transmise", assure l’agence auprès de franceinfo. "Sur cette question de la microfiltration, je regrette que l’Anses n’ait pas été saisie, réagit pour sa part le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, on ne peut pas encore renvoyer cette question à des autorités locales qui vont pratiquer des contrôles au doigt mouillé et qui n’ont pas l’expertise pour trancher. Nous avons besoin de rigueur scientifique et d’une règle nationale". Le ministère de la Santé, de son côté, assure que "l’Anses sera ressaisie", et que "le résultat de cette expertise viendra préciser l’instruction sur les modalités de gestion".

Les responsables du scandale appelés à démissionner par les syndicats

Cette semaine, la fédération Unsa Santé - Cohésion sociale, première organisation syndicale du ministère de la Santé, qui représente les personnels des services santé-environnement dans les ARS, a dénoncé, dans un communiqué, le "scandale sanitaire impliquant Nestlé Waters" et "un naufrage de la santé publique" ainsi que les pressions exercées sur les agents des ARS avec "des atteintes graves à l'indépendance des inspections", et des décisions "visant à protéger les intérêts économiques privés au détriment de la santé collective, malgré des contaminations avérées par des bactéries fécales et pesticides".

Dans son communiqué, l’Unsa réclame la démission des responsables ayant participé à ces décisions, notamment le directeur général de l'ARS d'Occitanie, Didier Jaffre, et le "renforcement pérenne des effectifs des services santé-environnement [...] à l'abri de toute pression hiérarchique locale ou collusion avec les structures contrôlées". "Je comprends et partage la réaction de l’Unsa, affirme Alexandre Ouizille, notre rapport montre une collusion indiscutable avec Nestlé Waters. La confiance est rompue est ceux qui ont participé de cela au sein de l’agence régionale de santé ne peuvent rester en fonction."

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