Vrai ou faux La moitié des arrêts-maladies de plus de dix-huit mois sont-ils injustifiés, comme l'assure la ministre de la Santé Catherine Vautrin ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La Caisse nationale d'assurance-maladie constate une hausse tendancielle du volume d'arrêts-maladies depuis 2010. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS)
La Caisse nationale d'assurance-maladie constate une hausse tendancielle du volume d'arrêts-maladies depuis 2010. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS)

Ce chiffre provient d'un rapport de la Caisse nationale d'assurance-maladie. Il n'explique pas à lui seul les dépenses croissantes liées aux arrêts maladies engagées ces dernières années.

"Mettre fin à des abus" sur "les prescriptions d'arrêts-maladies par les médecins". Tel est l'objectif affiché par le gouvernement, qui souhaite réduire les dépenses publiques de santé. "Pour rappel, les contrôles qui ont été exécutés sur les arrêts-maladies de plus de dix-huit mois ont montré que, pour 50% d'entre eux, ces arrêts n'étaient plus justifiés", a assuré la ministre de la Santé Catherine Vautrin dans un entretien accordé au Monde, samedi 26 juillet.

Réforme de la prise en charge des affections longue durée (ALD), financement des arrêts-maladies par l'employeur, hausse des franchises médicales sur les médicaments… La ministre a détaillé les différentes pistes de l'exécutif pour économiser 5,5 milliards d'euros dans le secteur de la santé. Cette somme s'inscrit dans le cadre d'une feuille de route plus globale pour mettre de côté 44 milliards d'euros dans le budget 2026, détaillée mi-juillet par le Premier ministre François Bayrou. Celui-ci avait alors évoqué le même chiffre que la ministre de la Santé sur les arrêts-maladies de longue durée. Mais d'où vient cette statistique, martelée par le gouvernement ?

Des arrêts-maladies plus fréquents et plus coûteux

Contactés par franceinfo, le ministère de la Santé et la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) expliquent que ce chiffre émane d'une présentation de la Cnam publiée fin juillet. Il s'agit d'une synthèse du dernier rapport "charges et produits" sur les propositions de l'organisme pour "améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses" d'ici à 2026. La Cnam y constate une hausse tendancielle du volume d'arrêts-maladies depuis 2010. Elle note notamment un emballement des dépenses en indemnités journalières (+6,3% entre 2019 et 2023 contre +2,9% entre 2010 et 2019) depuis la pandémie de Covid-19.

Dans son rapport, l'Assurance-maladie explique que cette accélération est notamment portée par des facteurs structurels et conjoncturels, comme "l'augmentation de l'emploi, le vieillissement de la population active, la hausse des salaires [des rémunérations plus élevées contribuent à des indemnités journalières plus élevées] ou encore la situation épidémiologique". Elle précise que 40% de cette augmentation reste inexpliquée, avec des arrêts plus fréquents et des durées moyennes d'arrêts plus longues. 

Facteurs explicatifs de la croissance des indemnités journalières maladie, entre 2010 et 2023. (SYSTEME NATIONAL DES DONNEES DE SANTE / MINISTERE DE LA SANTE)
Facteurs explicatifs de la croissance des indemnités journalières maladie, entre 2010 et 2023. (SYSTEME NATIONAL DES DONNEES DE SANTE / MINISTERE DE LA SANTE)

Entre 2017 et 2022, les arrêts entre un an et deux ans ont notamment bondi de 20%. "Ce sont paradoxalement les personnes qui n'étaient pas en ALD [affections de longue durée, dont la liste est établie par l'assurance-maladie] qui contribuent à la croissance des arrêts longs", constate la Cnam, évoquant parmi les motifs les syndromes dépressifs et anxio-dépressifs mineurs, ainsi que des troubles musculosquelettiques comme la lombalgie commune et la sciatique.

"Des contrôles médicaux ponctuels sur les arrêts de plus de dix-huit mois ont montré que 54% des arrêts concernés par ces contrôles n'étaient plus justifiés, avec la possibilité d'une reprise du travail pour le salarié ou d'un passage en invalidité", précise effectivement la Cnam dans cette présentation. Autrement dit, il ne s'agit pas ici d'arrêts de complaisance, qui seraient totalement infondés : l'Assurance-maladie estime plutôt que la longueur de certains arrêts est disproportionnée par rapport à leur motif. Des arrêts de plus de cent-vingt-quatre jours ont été prescrits pour des sciatiques par plus de 600 personnels soignants, alors que la durée d'arrêt recommandée pour cette pathologie est de 35 jours maximum, illustre la Cnam.

Comme l'Assurance-maladie, le service de statistiques du ministère de la Santé évoque, dans une note, une hausse du nombre d'arrêts et d'indemnités journalières versées qui "peut résulter pour partie d'arrêts injustifiés, comme le révèlent les contrôles opérés notamment par le service médical de l'Assurance-maladie auprès d'assurés et de prescripteurs". Toutefois, elle justifie aussi cette hausse par "la dégradation des conditions de travail", "l'exposition à certaines pénibilités physiques" et les "contraintes psychosociales"

Le nombre de 54% d'arrêts-maladies de plus de dix-huit mois non justifiés évoqué par l'exécutif est donc authentique. Mais il cache une réalité complexe : toujours selon cette note, les arrêts de plus d'un an ne représentaient que 3% des arrêts accordés en 2023. Ils pesaient tout de même l'équivalent d'un quart des montants indemnisés (soit 2,4 milliards d'euros sur 10,2 milliards d'euros au total) en 2023.

Pour les médecins, une pilule qui ne passe pas 

Du côté des médecins, les soupçons d'émission d'arrêts injustifiés font bondir. "Je ne connais pas un seul patient en France, en arrêt depuis plus de dix-huit mois, qui n'ait pas été contrôlé par un médecin-conseil [médecin mandaté par l'assurance-maladie, dont le rôle est de vérifier la conformité de l'arrêt-maladie pour éviter les abus]", rétorque auprès de franceinfo Jérôme Marty, médecin généraliste et président du syndicat Union française pour une médecine libre. Il dénonce des "éléments de langage" de la part du gouvernement.

"Cela fait passer le message que tous les médecins et tous les patients sont coupables."

Jérôme Marty

médecin généraliste et président du syndicat UFML

Pour réduire ses dépenses, l'Assurance-maladie propose bien de "lutter contre l'absentéisme de courte durée" en "encadrant davantage la prescription". L'organisme propose ainsi de rendre obligatoire l'inscription des motifs d'arrêt, certains médecins ne justifiant pas les arrêts signés. Il conseille également de limiter la durée de l'arrêt pouvant être prescrit, de réformer le régime des ALD et de renforcer les actions de prévention de la désinsertion professionnelle, dans le cadre des arrêts de longue durée.

Ces recommandations ont d'ailleurs été reprises par Catherine Vautrin, qui souhaite "limiter tout premier arrêt de travail à quinze jours en médecine de ville" et à "un mois en sortie d'hospitalisation". "Cela va créer des consultations inutiles et obligatoires", anticipe Jérôme Marty. "Dans le cadre de la dépression, par exemple, il faut un mois avant que l'antidépresseur n'agisse. Nous savons déjà qu'au bout de quinze jours, il faudra prolonger l'arrêt", illustre le médecin généraliste.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.