Que fait France Télévisions contre les faux articles et fausses vidéos imitant ses contenus ?

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Temps de lecture : 9min - vidéo : 13min
Article rédigé par franceinfo - Pascal Doucet-Bon
France Télévisions

Delphine Legouté, directrice adjointe des éditions numériques, David Grégorio, spécialiste de la lutte anti piratage et Gwendoline Flamant, directrice juridique adjointe de France Télévisions, expliquent comment France Télévisions lutte contre les contrefaçons, escroqueries ou fake news qui utilisent l'image de l'audiovisuel public pour tromper des utilisateurs. Ils indiquent comment ne pas se faire avoir lorsqu'on tombe sur ces contenus malhonnêtes.

Les faux articles, vidéos, interviews signés franceinfo.fr, ou de toutes les rédactions de France Télévisions, sont nombreux sur les réseaux sociaux, YouTube et sur des sites illégaux. Ils vont certainement l'être de plus en plus, leur création étant favorisée par l'usage de l'intelligence artificielle. Dans le cadre de notre rubrique Une information transparente, nous faisons le point sur l'état de la lutte contre les faux contenus, l'une des formes de la guerre de l'information.

A l'heure où nous rédigeons cet article, voici la dernière contrefaçon en date, publiée sur X :

Faux contenu reprenant l'image de Julien Pain (France Télévisions)
Faux contenu reprenant l'image de Julien Pain (France Télévisions)

Nous n'en reproduisons qu'une capture d'écran. La voix générée par IA sur une vraie vidéo de Julien Pain, rédacteur en chef et présentateur de Vrai ou Faux, n'est pas très fidèle et le texte comprend des fautes d'orthographe et des tournures de phrases suspectes. Le compte qui l'a publiée en premier a été supprimé rapidement, soit par ses propriétaires, soit par X. Ce n'est qu'un exemple de ce qui se multiplie sur le web, les réseaux sociaux et les plateformes de vidéos.

Cette inflation de la désinformation via des contrefaçons va certainement augmenter à l'approche des élections municipales et présidentielle, comme le pressent Delphine Legouté, directrice adjointe de la rédaction de franceinfo.fr. "Il va falloir être de plus en plus vigilant, affirme-t-elle. C'est déjà en train de se produire. Nous avons de plus en plus de cas. Les journalistes de France Télévisions voient leur image utilisée pour véhiculer de fausses informations."

Ces contrefaçons sont de plus en plus courantes et sont malheureusement assez efficaces. L'intelligence artificielle, qui reproduit la voix et l'apparence de nos journalistes, les rend plus crédibles qu'auparavant.

Delphine Legouté

Directrice adjointe de la rédaction de franceinfo.fr

Pour autant, France Télévisions a des moyens d'agir. Intuitivement, on pense d'abord à l'action judiciaire. "Les plaintes sont parfois indispensables, affirme Gwendoline Flamant, directrice juridique adjointe de France Télévisions, mais leur efficacité sera toujours limitée. Le temps judiciaire n'est pas celui de la désinformation." D'autant que les services d'enquête sont souvent submergés et l’indentification des auteurs très difficile.

"Nous portons plainte dans certains cas, mais notre stratégie est d’essayer de faire appliquer les textes européens existant par les plateformes. Nous avons ainsi porté cette question des deep fake auprès de la Commission Européenne et avons été entendus dans le cadre de l’Investigation contre Meta ». Cette stratégie semble avoir porté ses fruits. "Nous avons constaté ces derniers temps les efforts de collaboration des plateformes avec les ayants droit, indique David Grégorio, responsable de la cellule anti-piratage de France Télévisions. Quand nous leur signalons ces contenus délictueux, les plateformes jouent le jeu. Elles rentrent petit à petit en conformité avec la loi en France, dont l'ARCOM est le régulateur."

L'ARCOM est en mesure d'infliger de grosses amendes aux plateformes qui ne supprimeraient pas des contenus illégaux

David Grégorio

Responsable de la cellule anti-piratage de France Télévisions

Le rôle de cette cellule est de lutter contre la réutilisation non-autorisée des contenus de France Télévisions partout sur le web, les réseaux sociaux et les plateformes de vidéo. "Nous travaillons à peu près sur l'ensemble des programmes, beaucoup sur le sport et particulièrement sur l'information, poursuit David Grégorio. Lorsque nous détectons ou qu'on nous signale une contrefaçon, nous agissons le plus vite possible. Nous avons des partenaires techniques qui nous aident à faire supprimer ces contenus. Nous sommes en capacité de les faire supprimer en masse des sites legaux, des plateformes et des réseaux sociaux."

Un taux de fermeture de plus de 95%

Mais il n'en va pas de même pour les sites qualifiés d'"illégaux" par le spécialiste. "Là, nous ne savons pas qui se cache derrière ces sites, ni qui les héberge." La cellule liste des centaines d'exemples. Souvent des escroqueries comme celle-ci :

Capture d'écran d'une vidéo détournée (fausses voix) du JT de 20H à fin d'escroquerie (France Télévisions)
Capture d'écran d'une vidéo détournée (fausses voix) du JT de 20H à fin d'escroquerie (France Télévisions)

La vidéo montre Laurent Delahousse à son poste de présentateur du journal télévisé de France 2, logo à l'appui. C'est une image réelle, mais une fausse voix, générée par une intelligence artificielle, qui a été ajoutée. Seuls les mouvements des lèvres et les tournures employées peuvent paraître suspectes à un public attentif. Laurent Delahousse lance une interview d'Elise Lucet qui vante une plateforme d'investissements "miracle", en réalité une arnaque. L'image est vraiment celle de la présentatrice d'Envoyé Spécial et de Cash Investigation, mais la voix est elle aussi générée par IA. Le truquage est mal fait. "Mais beaucoup de gens se laissent avoir, constate David Grégorio. Le simple fait d'apposer nos marques France.tv ou franceinfo.fr, le logo d'un de nos JT , par exemple, donne beaucoup de crédibilité à la soi-disant information, dont les défauts du truquage n'entravent pas toujours le succès..."

Arnaques et désinformation

Si l'escroquerie est le but le plus fréquent des contrefaçons, la désinformation n'arrive pas loin derrière. Exemple avec ce faux article posté au début de l'été :

Faux article de France Télévisions exposant une fausse nouvelle (France Télévisions)
Faux article de France Télévisions exposant une fausse nouvelle (France Télévisions)

Le journaliste prétendument auteur de l'article est bien un cadre de la rédaction de France Télévisions, sa photo en minature est bien la sienne. Elle a été "empruntée" sur les réseaux sociaux. Mais il n'a évidemment jamais écrit ce texte. Et l'information selon laquelle 51% du capital d'EDF ont été vendus à un proche de Volodymyr Zelensky, Le président ukrainien, est totalement fausse. Le contenu initial a disparu aussi vite qu'il est apparu, comme c'est souvent le cas avec ce genre de fake news. "Inonder le marché le plus vite possible et se retirer, c'est la méthode classique de tous les faussaires, numériques ou pas, propagandistes ou escrocs", raconte un enquêteur.

Comment ne pas se faire avoir ?

"On peut être en confiance si on est sur le site ou l'application de son média, ou sur son compte officiel sur les réseaux sociaux, explique Delphine Legouté. En revanche, si on consulte les infos à partir de Google ou sur un feed Instagram ou TikTok, sans forcément connaître la source, la prudence est de mise. La plupart des sites ou comptes pirates affichent des contrefaçons grossières, donc on se rend compte assez facilement de la supercherie. Mais certains sont bien faits. Il faut alors faire confiance à son instinct. Si une information vous semble improbable, surprenante - si elle vous heurte d'une certaine manière - cela vaut le coup de chercher qui est à la source de cette soi-disant information".

Chercher l'URL sur les sites, l'auteur sur les réseaux sociaux


"Sur un site internet, le plus simple est d'aller voir l'URL du site en question, poursuit-elle. L'URL se trouve dans la barre de navigation qui est en haut d'un article."

L'URL, dont la première partie est surlignée en jaune, est bien celle de franceinfo.fr. (France Télévisions)
L'URL, dont la première partie est surlignée en jaune, est bien celle de franceinfo.fr. (France Télévisions)

"Dans l'exemple ci-dessus, nous sommes bien face à un site de confiance, le nôtre. C'est bien la bonne adresse de franceinfo.fr. A l'inverse, nous avons récemment eu un cas de désinformation avec un site ressemblant à franceinfo mais pour lequel l'URL était "tvfrance2.fr". Cette URL n'existe pas parmi les nôtres." L'URL était ici le meilleur indice, et le plus rapide, pour détecter la tromperie. "C'est un peu comme quand vous recevez le SMS du faux livreur qui prétend que votre colis ne rentre pas dans la boîte et vous invite à cliquer sur un lien." Il est facile de lire le lien pour constater qu'il est différent de la marque officielle du transporteur.

"Concernant les réseaux sociaux comme TikTok ou Insta, par exemple, poursuit Delphine Legouté, on est souvent face à une image seule ou à une vidéo, sans URL. Il faut alors aller regarder l'auteur, le compte, qui a posté l'image ou la vidéo en question. Ainsi on peut constater que ce n'est ni un journaliste de France Télévisions, ni le compte officiel de France Télévisions, qui a produit le contenu."

Contactez-nous

Et si vous détectez ou suspectez une contrefaçon, il n'est jamais inutile de le faire savoir. Sur le site de franceinfo.fr et sur le site france.tv, on trouve tout en bas l'habituelle formule "nous contacter". Un clic mène à un formulaire de contact et à un numéro de téléphone. Delphine Legouté raconte : "Il y a quelques semaines, une lectrice avait consulté son feed Instagram et était tombée sur une image qui semblait être la capture d'écran d'un article de franceinfo qui, étrangement, faisait de la publicité sur une IA très lucrative. Elle s'est méfiée et nous a contactés. Nous avons pu lui répondre qu'effectivement il s'agissait d'un compte pirate qui, sur Instagram, avait pris nos couleurs et se faisait passer pour nous. En allant sur le profil du compte, on voyait ce qu'il avait posté auparavant, et on comprenait que ce n'était pas du tout fiable. L'historique est toujours intéressant dans ces cas-là. Nous lui avons répondu de ne pas faire confiance à ce média qui n'en était pas un".

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