Entretien "Si on vend Roland-Garros, on tue le tennis français", affirme un spécialiste en marketing sportif après la sanctuarisation du tournoi

La Fédération française de tennis a annoncé, lundi, avoir inscrit dans ses statuts l'incessibilité du tournoi.

Article rédigé par Othélie Brion
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 4min
Le stade de Roland-Garros lors de l'ouverture du tournoi 2025, le 19 mai 2025, à Paris. (RICCARDO MILANI / AFP)
Le stade de Roland-Garros lors de l'ouverture du tournoi 2025, le 19 mai 2025, à Paris. (RICCARDO MILANI / AFP)

Roland-Garros est plus que jamais sous le giron de la Fédération française de tennis (FFT). L'instance a annoncé dans un communiqué, lundi 23 juin, avoir inscrit dans ses statuts "l'incessibilité" du tournoi parisien. Autrement dit, la FFT "s'interdit toute cession totale ou partielle à un tiers du tournoi de Roland-Garros".

Une décision stratégique, adoptée à une large majorité lors d'une assemblée générale extraordinaire le 20 juin. Lionel Maltese, spécialiste en marketing sportif et ancien membre du comité exécutif de la FFT, explore pour Franceinfo: sport les raisons de ce choix fort.

Franceinfo: sport : pourquoi était-ce nécessaire pour la Fédération d'inscrire dans ses statuts l'incessibilité du tournoi ?

Lionel Maltese : C’est une manière d’envoyer un signal en disant "ne vous intéressez pas à notre grand chelem, il n'est pas à vendre". A ma connaissance, il n’y avait pas d'acheteurs potentiels, mais en ce moment, il y a de nouveaux acteurs, de nouveaux entrants qui essaient de dominer le tennis. C’est notamment le cas de l'Arabie saoudite, du Qatar ou de fonds d’investissement, comme dans le football. Par exemple, récemment, il y a eu des tractations avec des fonds pour des rachats de Masters 1000 importants comme celui de Madrid et celui de Miami. Roland-Garros c’est un stade, une marque, une rentabilité certaine donc nécessairement ça attire.

Cette décision d’incessibilité, c’est donc une sorte de protection des statuts. Mais il faut garder à l'esprit que s'il y a une nouvelle présidence et qu'ils veulent faire voter un changement de statut, ils le peuvent. Roland-Garros pourrait donc, un jour, sortir du giron de la Fédération.

Pourquoi vendre Roland-Garros n'a pas d'intérêt pour la FFT ?

Le tennis français ne peut pas fonctionner sans Roland-Garros actuellement. Le tournoi représente 85% du budget de la fédération, il permet de financer les jeunes joueurs, les infrastructures des clubs, les ligues… Il n’y a aucun intérêt pour des gouvernements de vendre la poule aux œufs d’or.

S’il n’y avait pas Roland-Garros, le revenu de la Fédération reposerait sur les licenciés. La licence ne serait pas autour de 30 euros comme actuellement mais de 90-100 euros. Quand vous multipliez par le nombre de licenciés actuellement en France, ça ne vous fait que 9 millions d’euros. C’est une toute petite base de revenu. En comparaison, dans pas longtemps, la Fédération française va être à 500 millions d’euros de produit, c’est colossal et possible grâce à Roland-Garros. En 2023, le tournoi a généré 328 millions d’euros. Si on vend Roland-Garros, on tue le tennis français.

Cette démarche a-t-elle tout de même des points négatifs ?

En réalité, c’est totalement logique que des élus qui représentent des clubs et qui représentent le tennis français ne vendent pas ce qui fait le tennis français. Et s’ils vendaient le tournoi plusieurs milliards d’euros, que feraient-ils de cet argent puisqu’il n’y a pas d’actionnaires ? Ils font des tournois ? Ils construisent plus de courts ? Est-ce que c'est parce que vous construisez plus de cours qu'il va y avoir plus de licenciés ? Non, c'est quelque chose qui est complètement incohérent. Ça n'a pas de sens, en fait de vendre.

Parmi les sources de revenus de la Fédération française de Tennis, il y a aussi le Rolex Paris Masters (Masters 1000), qu'en est-il ?

Je me demande pourquoi la Fédération n’a également pas ajouté l’incessibilité du Rolex Paris Masters dans ses statuts. C’est un tournoi qui est aussi important, qui génère une rentabilité non négligeable et qui est sûr d’être rentable. Cela veut peut-être dire que la Fédération peut écouter les offres de rachat. Quand j’étais au comité exécutif (2017-2020), il y avait eu des offres à des sommes incroyables, mais la Fédération n’a jamais vendu.

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