Mondiaux d'athlétisme : moins dominateurs à Tokyo, les coureurs africains sont-ils en train de perdre leur suprématie sur les courses de fond ?

Jimmy Gressier sur 10 000 et 5 000 m, le Néo-Zélandais Geordie Beamish sur 3 000 m steeple... Sur des distances habituellement trustées par les coureurs des Hauts-Plateaux, des athlètes d'autres continents se sont imposés au Japon.

Article rédigé par Anaïs Brosseau - envoyée spéciale à Tokyo
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Le Français Jimmy Gressier et l'Ethiopien Yomif Kejelcha au premier plan, à la lutte pour la victoire sur 10 000 m, aux championnats du monde de Tokyo (Japon), le 14 septembre 2025. (JEWEL SAMAD / AFP)
Le Français Jimmy Gressier et l'Ethiopien Yomif Kejelcha au premier plan, à la lutte pour la victoire sur 10 000 m, aux championnats du monde de Tokyo (Japon), le 14 septembre 2025. (JEWEL SAMAD / AFP)

Aucun Africain sur le podium du 5 000 m, une première depuis 1983. Un Allemand et un Italien, médaillés d'argent et de bronze sur marathon. Une Uruguayenne qui se pare de bronze sur les 42,195 kilomètres. Un Français champion du monde du 10 000 m, sur une course où un Suédois a aussi pris la 3e place. Un 3 000 m steeple remporté pour la première fois de l'histoire par... un Néo-Zélandais. À Tokyo, les Mondiaux d'athlétisme ont été marquées par plusieurs coups de pointe dans une hiérarchie bien établie. Depuis une quinzaine d'années, les courses de fond ne laissaient pas grand suspense : aux athlètes des Hauts-Plateaux (Kénya, Ethiopie, Ouganda) les podiums, au reste du monde les accessits. Une nouvelle tendance serait-elle en train de se dessiner ?

"On est ici dans des circonstances exceptionnelles qui ne vont pas se reproduire partout", nuance Pascal Chirat, responsable national running et marche à la Fédération française d'athlétisme, qui pointe la chaleur et surtout la forte humidité (autour de 80%) de Tokyo pour explication.

"Les Européens ont préparé cette échéance avec des séances en thermo-room [qui simule la chaleur et l'humidité] pour travailler les mécanismes adaptatifs de leur corps. Je ne pense pas que les coureurs africains l'ont fait car ils considèrent qu'ils sont déjà adaptés à la chaleur."

Pascal Chirat, responsable national running et marche

à franceinfo: sport

Avec de multiples défaillances sur l'épreuve inaugurale du 35 kilomètres marche hommes et femmes, les coureurs et coureuses africains ont joué la prudence sur leurs distances de prédilection. "Ils ne courent pas comme d'habitude. Normalement, ils épuisent leurs adversaires bien avant le finish pour entamer les Européens. Ils ne l'ont pas fait par crainte d'exploser", estime Pascal Chirat. Des départs prudents qui servent leurs adversaires. "Cela augmente les chances d'un Andreas Almgren [3e du 10 000 m] ou d'un Gressier, qui savent tirer profit de ce genre de situation."

L'attrait financier de la route

Ces championnats du monde, en année post-olympique, sont aussi marqués, quelles que soient les épreuves, par des absences de marque. Ainsi, les Ougandais Joshua Chepetegei et Jakob Kiplimo ont préféré déclarer forfait pour se préserver pour la saison à venir des marathons. Le premier, champion olympique en titre du 10 000 m, est annoncé à celui d'Amsterdam le 19 octobre. Le second, 3e des JO de Tokyo sur 10 000 m, est attendu à Chicago le 12 octobre. 

"Il y a beaucoup de jeunes talents qui sont poussés par les managers et les marques à aller vite sur la route, parce que la masse des coureurs s'identifie beaucoup plus à des performances sur marathons, semi-marathons et 10 kilomètres", décrypte Stéphane Diagana, consultant pour France Télévisions. Des coureurs peuvent ainsi valoriser leur palmarès avec des fortes primes d'engagement versées par les organisateurs de marathon, comme par les marques partenaires. "Ces ressources-là sont peut-être un peu plus précieuses pour les coureurs africains que pour les Européens qui ont souvent d'autres partenaires." 

Un entraînement rationalisé

Les podiums sur des courses de fond de coureurs non-africains sur des meetings de Ligue de diamant cette saison (victoires de Jimmy Gressier sur le 3 000 m de Zurich et du Suédois Andreas Almgren sur 5 000 m à Stockholm par exemple) laissaient déjà entrevoir que la domination des coureurs des Hauts-Plateaux n'était peut-être plus aussi totale. "Dans les pays occidentaux, on s'entraîne de plus en plus de façon scientifique, optimisée, qu'il y a trois ou quatre ans", souligne Yann Schrub, 9e du 5 000 m. 

Champion du monde du 5 000 m en 2022 et 2023, le Norvégien Jakob Ingebrigtsen fait partie de ceux qui ont ouvert la voie ces dernières années. Son entraînement à base de double seuil (courir deux fois dans la journée avec des séances à une intensité pas maximale) en a inspiré d'autres. "Il y a des phénomènes d'identification. Certains vont se dire "moi aussi je suis né en Europe, donc je peux battre des coureurs nés en Afrique. Je pense que cela joue", ajoute Stéphane Diagana. 

Le Suédois Andreas Almgren après sa victoire sur 5000 m lors du meeting de Ligue de diamant à Stockholm, le 15 juin 2025. (HASTEG?RD/BILDBYR?N/SHUTTERSTOCK/SIPA)
Le Suédois Andreas Almgren après sa victoire sur 5000 m lors du meeting de Ligue de diamant à Stockholm, le 15 juin 2025. (HASTEG?RD/BILDBYR?N/SHUTTERSTOCK/SIPA)

"Psychologiquement des barrières ont été anéanties, par exemple quand le Suédois Almgren fait 12'44"27 au 5 000 m [nouveau record d'Europe, autrefois possédé par Mo Farah, coureur britannique d'origine somalienne]. Ce n'est pas que les chaussures carbone, c'est un ensemble", poursuit Yann Schrub. Pour le Mosellan, voir ses concurrents européens détrôner des Africains est source "d'envie et de motivation".

"Depuis quatre-cinq ans les Africains n'ont pas évolué au niveau du chrono, contrairement aux Européens et Américains. Donc on a beaucoup moins peur. Et quand on enlève cette pression, on enlève déjà pas mal de freins."

Yann Schrub, vice-champion d'Europe du 10 000 m

en conférence de presse

"Les athlètes se décomplexent par rapport aux Africains. Et il le faut pour les battre", fait remarquer Pascal Chirat. Ainsi, après sa victoire sur 10 000 m, lorsqu'il a été dit à Jimmy Gressier que peu croyaient en ses chances, le Français a répondu que lui y croyait, tout comme ses proches.

La lutte antidopage porte ses fruits

"Il y a moins d'extraterrestres devant impossibles à battre", glissait-il en conférence de presse, avant son entrée en lice, pointant le travail des agences antidopage. Depuis le 1er janvier, 19 athlètes kényans ont en effet été condamnés en première instance par le tribunal de l'Unité pour l'intégrité de l'athlétisme, pour violation des règles antidopage, tout comme trois coureurs éthiopiens et un Ougandais. Un seul Français (Wilfried Happio) l'a été sur cette période. D'autres sont aussi suspendus provisoirement dans l'attente du jugement, à l'instar de la recordman du monde kényane du marathon Ruth Chepngetich.

Néanmoins, si des signaux existent, la domination africaine sur le fond est encore loin d'avoir disparu. "Il va falloir attendre pour voir si la tendance s'affirme, estime Pascal Chirat, qui appelle à la prudence. Pour moi, c'est encore prématuré." Rendez-vous à Pékin en septembre 2027, où des conditions métérologiques similaires sont attendues. 

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