Reportage "Je l'ai vraiment vécue comme une humiliation" : certains curés interdisent toujours aux filles d’être enfants de chœur

La mixité des enfants de chœur, qui accompagnent le prêtre au service de l'autel, est pourtant prévue par l’Église catholique, depuis les réformes de Vatican II. Mais cette discrimination sexiste se poursuit dans certaines paroisses, ce qui indigne une partie des fidèles.

Article rédigé par Agathe Mahuet
Radio France
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Temps de lecture : 4min
Un enfant de chœur tient un cierge pendant une messe, le 27 mars 2021. Photo d'illustration. (FRED TANNEAU / AFP)
Un enfant de chœur tient un cierge pendant une messe, le 27 mars 2021. Photo d'illustration. (FRED TANNEAU / AFP)

Lors de la messe de Pâques du dimanche 20 avril, de nombreux catholiques verront leur prêtre accompagné d’enfants de chœur. On les appelle plus officiellement les "servants d’autel" qu’ils soient garçons ou filles. Mais cette mixité, prévue par l'Église, n'est pas mise en place partout. Par exemple, la paroisse parisienne de Saint-Germain-des-Prés ne laisse pas les jeunes filles s’approcher de l’autel. Interdiction pour elles d’être enfants de chœur, et le père Albin Malry, vicaire de la paroisse, l’assume : "Il y a des âges où c'est bien que les garçons et les filles ne soient pas mélangés pour se construire."

D’ailleurs, un groupe de jeunes filles a été mis en place il y a deux ans, pour officialiser leur simple place dans la nef. "Il y a vraiment une complémentarité des rôles, affirme le père Albin Malry. Il y a les servants d’autel, et les servantes de l’assemblée. Les servants sont là pour aider les prêtres au service de l'autel, et les demoiselles sont là pour aider les paroissiens, pour les accueillir et prier avec eux."

"J'ai vécu dans ma chair le sexisme très direct de l'Église catholique romaine"

Autre argument : puisque seuls les garçons peuvent devenir prêtres, autant ne garder qu’eux près de l’autel. Mais c’est une discrimination qui laisse des traces, explique Carmen. Elle fait partie du Comité de la jupe, désormais appelé Magdala, qui milite pour l'égalité femmes-hommes dans l'Église. Carmen a 31 ans, et a vécu elle-même cette exclusion, petite. Elle a été enfant de chœur, depuis son plus jeune âge, explique-t-elle, dans la paroisse de ses grands-parents, avec ses cousins du même âge, des garçons.  "Du jour au lendemain, on a eu un changement de curé et le nouveau curé m'a aussitôt interdit de revêtir la petite aube d'enfant de chœur qui était désormais réservée aux garçons, raconte Carmen. C'était la première fois, je crois, que j'ai vécu dans ma chair le sexisme très direct de l'Église catholique romaine. Je l'ai vraiment vécue comme une humiliation, comme une frustration."

"J'étais consignée à distribuer les feuilles de chants et j'étais interdite d'accès où il y a l'autel. Dans une église, l'autel, c'est l'endroit le plus sacré."

Carmen, membre de l'association Magdala

à franceinfo

Au sein de l’association qui milite pour l’égalité femmes-hommes dans l’Église, une carte participative donne une idée de ce manque d’inclusivité. Près de 500 paroisses sont recensées sur les 12 000 que compte la France, et plus de la moitié d’entre elles interdisent aujourd’hui aux filles d’être servantes d’autel. Une situation qui indigne Carmen : "On veut continuer à mettre les femmes de côté. Et si on peut les mettre dès leur plus jeune âge de côté pour qu'elles comprennent bien où est leur place, on va le faire."

"Il y a des questions un peu idéologiques"

Tout cela pourtant n’a pas de fondement théologique, explique Gilles Drouin, directeur de l’Institut supérieur de liturgie, d’autant que le Pape François, en 2021, a clairement appelé garçons et filles à participer à ce service d’autel. "Maintenant, il n'y a plus du tout d'ambiguïté, surtout que ce ministère, cette fonction n'est pas liée au sacrement de l'ordre qui chez les catholiques est genré mais lié au baptême. Et le baptême n'est pas genré, c'est-à-dire Dieu merci, on baptise des hommes et des femmes depuis le début."

Selon le théologien, l’explication est souvent plus simplement politique : "Je pense que derrière ça aussi il y a des questions un peu idéologiques. Il y a une forme de catholicisme qui est très sensible à ces questions d'identité de genre et, par rapport à une société qui peut lisser un peu ces écarts, est attaché à tout ce qui renforce ces écarts. Et donc il y a des phénomènes de crispation." Une exclusion des filles qui convient donc à de nombreux catholiques conservateurs, tandis que les voix dissonantes s’autocensurent parfois, ou peinent à se faire entendre.

Des filles parmi les enfants de choeur ? Reportage d'Agathe Mahuet

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