Trois questions sur l'isolement des "100 plus gros narcotrafiquants" dans "une prison de haute sécurité", annoncé par Gérald Darmanin

Le ministre de la Justice souhaite isoler dans un même établissement les plus importants trafiquants de drogue incarcérés en France. Objectif : éviter qu'ils ne poursuivent leurs activités criminelles depuis leur cellule, notamment avec des téléphones portables.

Article rédigé par franceinfo
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Le centre pénitentiaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 30 novembre 2024. (VINCENT ISORE / IP3 PRESS / MAXPPP)
Le centre pénitentiaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 30 novembre 2024. (VINCENT ISORE / IP3 PRESS / MAXPPP)

Isoler les "cent plus gros narcotrafiquants" dans "une prison de haute sécurité". Le ministre de la Justice a précisé, dimanche 12 janvier, dans une interview sur LCI, qu'il souhaitait la mise en place à l'été de cette mesure, qui fait partie de son plan pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée. "Il faut tout changer dans la lutte contre le trafic de stupéfiants", a estimé Gérald Darmanin. Alors que le garde des Sceaux entend "taper très fort" contre cette "menace de sécurité intérieure", franceinfo revient sur la création de cet établissement de haute sécurité et sur les questions que pose son application.

1 Qu'a précisé Gérald Darmanin au sujet de cette mesure ?

Dimanche, le garde des Sceaux a développé la façon dont il envisageait de rendre concrète la mesure qu'il avait annoncée dès le 28 décembre, quatre jours après son entrée en fonction. "Nous allons prendre une prison française, on va la vider des personnes qui y sont et on y mettra, puisqu'on l'aura totalement isolée, totalement sécurisée, avec des agents pénitentiaires particulièrement formés, anonymisés", les "100 plus gros narcotrafiquants", les "pires", a déclaré Gérald Darmanin.

"Il faut faire contre la drogue ce qu'on a fait contre le terrorisme et qui a fonctionné, même s'il y a encore des attentats", a réaffirmé le ministre sur LCI. "Aujourd'hui, on isole certains trafiquants parmi d'autres détenus et on voit bien que ça ne marche pas, ce système de mixité qui consiste à mettre des terroristes, des criminels, des gens qui ont écrasé des gens avec leurs voitures, des gens qui ont tapé leur femme (…) dans la même prison", a-t-il ajouté. "On va commencer par isoler les 100 premiers" plus grands narcotrafiquants, "puis on fera les 200 suivants, puis [de nouveau] les 200 suivants...", a complété Gérald Darmanin. "On va montrer que quand on est en prison et qu'on est un narcotrafiquant, on ne peut pas téléphoner et on ne peut pas avoir une vie agréable", a-t-il martelé.

Le ministre avait d'abord envisagé un "isolement renforcé" de ces détenus dans leurs prisons respectives, "en les fouillant et en brouillant particulièrement leurs communications". Lors d'une visite à Marseille, le 2 janvier, il avait dit vouloir mettre en place une "technique" de "l'appartement témoin", comme dans l'immobilier, afin d'appliquer une "démonstration par l'exemple" en "commençant par les 100 premiers narcotrafiquants".

2 Où et quand pourrait être mis en œuvre ce projet ?

Gérald Darmanin a précisé dimanche avoir "deux prisons en tête", sans mentionner lesquelles. Selon une source syndicale à franceinfo, le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et le centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne) répondent aux critères de sécurité. Car ce type d'établissement nécessite d'être équipé d'un brouillage performant pour éviter toute communication avec l'extérieur.

Le ministre envisage de mettre en place cette "prison de haute sécurité" à l'été. "Je n'ai pas besoin de loi pour ça, j'ai besoin de la volonté et on va en avoir, un petit peu d'argent et j'en aurai", a-t-il assuré sur LCI, sans détailler ce qu'il sous-entendait dans ces déclarations.

3 Quelles sont les réactions ?

"Comme pour le terrorisme, on a toujours dit qu'il fallait des établissements spécifiques et non pas des quartiers spécifiques au sein d'un établissement" pour isoler les narcotrafiquants, a approuvé, lundi, sur franceinfo, Emmanuel Baudin, secrétaire général Force ouvrière Justice. De son côté, Eric Fievez, de la CFDT Pénitentiaire, estime que "mettre tous les détenus dangereux au même endroit va poser un problème sécuritaire". "Je ne suis pas partisan de regrouper tout le monde sur un même site", a appuyé lundi, sur franceinfo, Joaquim Pueyo, maire divers gauche d'Alençon et ancien directeur des prisons de Fresnes et Fleury-Mérogis, qui préconise plutôt de "dispatcher" les narcotrafiquants "sur des sites sécurisés".

Le 2 janvier, le secrétaire général du syndicat Ufap-Unsa Justice, Emmanuel Chambaud, avait fait part sur franceinfo de son scepticisme face à cette mesure. "Comment identifier [les 100 plus grands narcotrafiquants] ? Sur quels critères  ?", avait interrogé, le même jour, l'avocate Ménya Arab-Tigrine. Elle avait dénoncé au micro de franceinfo une "annonce choc" et "inapplicable", avant de rappeler que l'obtention d'une telle liste implique d'enfreindre le secret judiciaire.

Pour Frédéric Ploquin, spécialiste du grand banditisme, il sera "très difficile" de "choisir" les détenus concernés. Dans une interview sur RMC, lundi matin, le journaliste d'investigation a pointé d'autres problèmes : "A partir du moment où vous les mettez dans la même prison, soit il va y avoir un bain de sang dans la prison", soit "ils profitent de cette promiscuité pour former le plus grand cartel de demain". Selon lui, la "vraie difficulté", dans la création de cet établissement, réside dans l'isolation phonique de "ces individus, de manière à ce qu'ils arrêtent de gérer leur trafic".

"C'est une idée qui est excellente, mais ça demande beaucoup de moyens, ça me paraît assez compliqué d'arriver à ce projet à terme en quelques mois", a souligné pour sa part sur BFM Bruno Bartocetti, responsable de la zone sud du syndicat Unité SGP Police-FO.

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