Reportage "On ne vend pas de la drogue, on travaille !" : des travailleurs sans-papiers et des employeurs inquiets du durcissement des règles de régularisation

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a envoyé une nouvelle circulaire aux préfets, qui s'applique depuis vendredi. Les critères pour être régularisé deviennent plus stricts, ce qui indigne des travailleurs et pourrait mettre en péril certains secteurs.

Article rédigé par Arthur Fradin
Radio France
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Temps de lecture : 3min
Un commis de cuisine dans un restaurant. Image d'illustration. (TIM SOMERSET / MAXPPP)
Un commis de cuisine dans un restaurant. Image d'illustration. (TIM SOMERSET / MAXPPP)

"La fin de la régularisation à tour de bras". Bruno Retailleau vient d'envoyer une circulaire aux préfets. L'objectif est de durcir les règles de régularisation des étrangers en situation régulière et de revenir sur la circulaire Valls en vigueur depuis 13 ans. Jusqu'ici, pour être admissible, un travailleur sans-papiers devait en théorie vivre en France depuis trois ans, le ministre de l'Intérieur voudrait faire passer cette durée à sept ans et installer de nouveaux critères, ce qui inquiète fortement plusieurs travailleurs et employeurs.

Mbakhar, un Sénégalais employé dans la restauration, exprime par exemple son indignation. "Je n'ai même pas les mots, admet-il. J'ai travaillé pendant quatre ans et demi, j'ai plus de 50 fiches de paie, je n'ai jamais eu d'OQTF (obligation de quitter le territoire français), ni de problèmes. Je paie mes impôts, comme cette année, j'ai payé plus de 3 000 euros d'impôts."

Si sa demande de titre de séjour actuellement en cours d'examen devant la préfecture du Val-de-Marne venait à être refusée, parce qu'il n'a pas atteint le seuil des sept ans voulu par Bruno Retailleau, il le vivrait comme une profonde injustice. "Vous savez, nous, on prend des risques en travaillant avec des faux papiers, c'est très dangereux, estime-t-il. Nous, on est là, on ne demande rien, on n'agresse pas les gens dans la rue. On ne vend pas de la drogue, on travaille. On veut travailler légalement pour être à l'aise, on ne demande que ça."

"Et c'est comme ça qu'on nous remercie, en durcissant les conditions de régularisation, alors qu'on bosse dans les métiers que les Français n'aiment pas ?"

Mbakhar, un Sénégalais employé dans la restauration

à franceinfo

La circulaire Retailleau intervient par ailleurs alors que selon de nombreux professionnels, les règles en vigueur étaient déjà très restrictives. "Il est passé commis, il était volontaire, il voulait apprendre", raconte Marie-Laure, restauratrice. Elle a été obligée de se séparer de son employé sénégalais il y a quelques mois après un contrôle de l'Urssaf, parce qu'il ne justifiait pas des conditions de deux ans de travail de la circulaire Valls. "On est restaurateurs dans le 93, et c'est un département qui souffre, parce qu'on a beaucoup de mal à recruter, et c'est pénalisant pour notre cas particulier." Elle juge donc les nouvelles règles encore plus pénalisantes.

L'espoir que le patronat "monte au créneau"

Banco Camara, fondatrice de la société Ici Admin, qui accompagne les entreprises qui cherchent à faire régulariser leurs travailleurs sans-papiers, tire la sonnette d'alarme. "J'espère que les organisations patronales vont monter au créneau auprès du gouvernement, parce que dans la restauration, le bâtiment, les services à la personne, ils n'ont pas l'effectif pour pouvoir mener au mieux leur activité", explique-t-elle. 

"Il ne faudra pas se plaindre quand les restaurants commenceront à fermer."

Banco Camara

à franceinfo

En Île-de-France, les immigrés représentent ainsi 40% des employés de l'hôtellerie-restauration. Motif d'espoir pour ces personnes : le fait que la circulaire Retailleau n'ait pas la valeur juridique d'une loi, et que les préfets conservent une marge d'appréciation.

Ciculaire Retailleau : des travailleurs sans-papiers et des employeurs inquiets - Reportage d'Arthur Fradin

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