Interview Cyberharcèlement : "À partir du moment où elles sont femmes et visibles en ligne", les partenaires ou ex-partenaires d'influenceurs courent un risque

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
D'après l'ONU, les femmes ont 27 fois plus de chances d'être victimes de cyberviolences que les hommes. (DMYTRO BETSENKO / GETTY IMAGES)
D'après l'ONU, les femmes ont 27 fois plus de chances d'être victimes de cyberviolences que les hommes. (DMYTRO BETSENKO / GETTY IMAGES)

Le harcèlement en ligne ne semble pas connaître de limite. Dernier exemple en date : celui d'Elsa Bois, danseuse et ex-compagne de l'influenceur Michou, cible d'une vague d'insultes sur les réseaux sociaux.

Elle n'est pas la première, ni la dernière. Depuis que la danseuse Elsa Bois et l'influenceur Michou ont annoncé leur séparation, lundi 17 février, elle est la victime d'une vague de cyberharcèlement qui a pris de l'ampleur sur les réseaux sociaux. Ce qui intrigue dans cette affaire, c'est le fait qu'Elsa Bois ne soit pas à proprement parler une influenceuse.

La danseuse de l'émission Danse avec les stars a été la partenaire de l'influenceur aux dix millions d'abonnés sur sa chaîne YouTube, qu'elle avait rencontré lors de la saison 11 de l'émission de TF1, en 2021. Dans son live Twitch de lundi dernier, Michou l'a défendue et a dénoncé la vague de cyberharcèlement dont elle est victime, notamment d'accusations infondées de tromperie.

@michouoff

Je reviens sur ma rupture avec Elsa 🙏

♬ son original - MichouOff

Dernièrement, ces rumeurs ont porté sur une relation que la danseuse entretiendrait avec son partenaire de la saison en cours de diffusion de Danse avec les Stars, le nageur Florent Manaudou. Si bien que le nageur, mais surtout sa compagne sont à leur tour victimes de harcèlement en ligne. L'engrenage semble infini, surtout à l'heure où les plateformes réduisent leur modération.

"On pourrait passer la journée à donner des exemples", réagit Laura Pereira Diogo. Franceinfo s'est entretenu avec la cofondatrice de Stop Fisha, association féministe de lutte contre les cyberviolences sexistes et sexuelles et coautrice de Combattre le cybersexisme, aux éditions Leduc, pour comprendre le cyberharcèlement. Ce phénomène continue de progresser, d'après l'observatoire des interactions en ligne de Bodyguard, spécialiste de la modération sur les réseaux sociaux : en 2024, la haine en ligne est en hausse de 16% par rapport à l'année précédente.

franceinfo : Les femmes sont-elles les premières victimes de cyberharcèlement ?

Laura Pereira Diogo : Partenaires d'influenceurs, influenceuses, mais aussi femmes journalistes, femmes politiques, à partir du moment où elles sont femmes et visibles en ligne, elles peuvent être victimes de cyberharcèlement. Cela peut concerner tout le monde, mais il y a des catégories de personnes qui sont particulièrement touchées.

Les femmes ont ainsi 27 fois plus de risques d'être des victimes de violences en ligne que les hommes, selon l'ONU. Mais il y a aussi les personnes racisées, les personnes qui affichent publiquement leur appartenance à une communauté, comme la communauté LGBT+, ainsi que celles ciblées pour leur physique comme les victimes de grossophobie. Chez Stop Fisha en 2024, on a reçu et traité 1 800 signalements, l'âge moyen était de 16 ans, les trois quarts de victimes étaient des femmes et un quart des signalements émanaient de témoins et non de victimes directement.

Quels facteurs déclenchent ces vagues de violences en ligne ?

Un déclencheur de cyberviolences repose sur les algorithmes des réseaux sur lesquels on poste, ce qu'ils vont mettre en avant auprès de quels publics, selon les âges, le genre. La viralité et le pseudonymat favorisent aussi la cyberviolence.

"Tout peut être un prétexte pour viser une personne ou une communauté."

Laura Pereira Diogo, de l'association Stop Fisha

à franceinfo

Cela peut être un contenu, une fois, qui va provoquer des réactions et tourner très vite. Ou alors, c'est déjà une personne qui a sa communauté et qui à un moment donné, fait une vidéo avec un propos qui fait réagir. Parfois, il n'y a même pas besoin qu'il y ait un propos qui dérange. Pour la chanteuse Yseult, par exemple, il suffit que ce soit une vidéo où elle chante, rien que pour ce qu'elle incarne en termes d'identité, elle est un déclencheur malgré elle. Même des publications lambda provoquent des vagues de commentaires haineux. 

Comment se forme une vague de cyberharcèlement ?

Elle commence dans l'immédiateté, à partir du moment où le contenu posté qui va être ciblé est repéré par une ou quelques personnes. Ce post est alors publié dans un groupe, comme il en existe beaucoup qui servent à se partager des comptes de personnes à aller harceler, sur Telegram par exemple, mais pas seulement. Il y a aussi des techniques qui ont été décelées, comme celle de "l'armée des médailles". Elle consistait à mettre une médaille en commentaire d'un contenu progressiste ou féministe par exemple. La communauté masculiniste se mobilisait pour accumuler les médailles sous le post repéré afin d'influencer l'algorithme et de signifier que ce compte pouvait être harcelé en message privé.

C'est d'ailleurs une question sur laquelle nous sommes en bras de fer avec les réseaux sociaux. Quand il y a des commentaires haineux et publics sous une publication, il est possible de signaler ceux qui en sont à l'origine pour qu'ils se fassent supprimer leurs comptes. Mais si ces insultes sont en message privé, il est juste possible de bloquer ce correspondant sans l'empêcher de nuire à d'autres personnes. Les réseaux sociaux se sont déresponsabilisés au nom du respect de la vie privée.

Qui sont les cyberharceleurs ?

Il y a toute une partie d'entre eux qui ne se revendiquent pas du tout d'un mouvement particulier, masculiniste ou autres. Mais, petit à petit, les comptes masculinistes très actifs fédèrent. Ceux-ci sont plutôt classés à droite et ont plus de visibilité. Car des études ont montré que les réseaux X et TikTok amplifient et favorisent les contenus de droite.

Faut-il davantage responsabiliser les plateformes ?

Bien sûr, mais on a beau avoir un arsenal juridique, notamment avec le Digital Service Act au niveau européen qui met en place des mesures du côté de la modération, par exemple, il suffit qu'un milliardaire décide de tout arrêter pour passer outre et les amendes qu'on pourra lui infliger ne lui feront pas trop mal.

"Aujourd'hui, on persiste avec nos signalements auprès des plateformes, mais en fait c'est un coup d'épée dans l'eau."

Laura Pereira Diogo, cofondatrice de l'association Stop Fisha

à franceinfo

Avec le rapprochement entre Donald Trump, Elon Musk et Mark Zuckerberg, les acquis progressistes sont en train d'être enlevés de leur plateforme. Et sur la modération, on est dans une période où nous, Stop Fisha, on a moins de liens avec les plateformes.

Que faire si on est victime de cyberharcèlement ?

La marche à suivre est de prendre en capture d'écran les situations, de signaler et de bloquer. Si possible, afin d'agir rapidement,on peut aussi supprimer soi-même les commentaires haineux sous une publication, cela permet de limiter leur propagation. Ensuite, on peut se tourner vers différentes structures, comme la nôtre, Stop Fisha mais aussi Point de contact, StopNCII, Pharos.... L'idée c'est d'utiliser tous ces outils qui existent pour maximiser les chances que cela s'arrête. Et dans l'immédiat, il y a aussi la nécessité de s'entourer, en physique ou à distance, pour gérer la situation et ne pas rester seul. Et les associations, on sert à ça aussi, car quand on est mineur, on ne se sent pas forcément d'en parler à ses parents ou à ses amis. On propose aussi un soutien psychologique.

Dans une autre temporalité, il est possible d'envisager de porter plainte, mais leur réception reste assez médiocre. On déplore une grosse méconnaissance des nouvelles lois et toutes les associations proposent un accompagnement juridique pour prouver que tel agissement en ligne est bien illégal. Ce qui est particulier aux cyberviolences, c'est qu'il va y avoir un discours ajouté de minimisation : comme c'est en ligne, ce n'est donc pas vraiment réel...

Que faire pour lutter contre le cyberharcèlement ?

Certaines créatrices de contenus commencent à trouver des techniques d'autodéfense numérique, comme mobiliser leur communauté pour venir contrebalancer les commentaires haineux. Ou elles engagent leurs propres modérateurs. Mobiliser les influenceurs,qui ont un énorme écho sur leur communauté, peut aussi être un des leviers. Mais ce n'est pas la solution pour rendre les réseaux sociaux plus respectueux, puisqu’une partie des gens se tournent vers des comptes qui ne prônent pas cela. Et à l'échelle sociétale, c'est autre chose, on fait face à des plateformes puissantes et riches, donc on n'est pas du tout à armes égales. En tout cas on n’en a pas fini des cyberviolences, et, en tant que bénévole, on ne sera pas au chômage.

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