Tribune "Nous avons connu un véritable dressage" : d'anciens membres de maîtrises et de chœurs réclament une enquête sur les violences subies par des enfants

Pour "protéger les enfants et leur joie de chanter", ils prennent la plume pour demander un état des lieux et dénoncer les violences dont ils disent avoir été victimes ou témoins.

Article rédigé par franceinfo
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Les signataires de la tribune demandent une enquête sur les violences faites aux enfants au sein des chœurs et maîtrises, ainsi qu'une "stratégie de prévention". (ALVARO GONZALEZ / GETTY IMAGES)
Les signataires de la tribune demandent une enquête sur les violences faites aux enfants au sein des chœurs et maîtrises, ainsi qu'une "stratégie de prévention". (ALVARO GONZALEZ / GETTY IMAGES)

Ses conclusions sont très attendues. La commission d'enquête parlementaire sur les violences dans la culture doit rendre public son rapport, mercredi 9 avril. Parmi les personnes entendues, des actrices comme Judith Godrèche mais aussi d'autres stars françaises du cinéma. Avec elles, des figures du monde de la mode, de la publicité ou encore de l'audiovisuel. Mais pas seulement... Les auditions des parlementaires ont également concerné les maîtrises et chœurs d'enfants, dont certains ont pu être le théâtre de violences notamment à l'encontre de mineurs. A cette occasion, ils sont plusieurs dizaines de chanteurs et d'anciens chanteurs à prendre la parole, sur franceinfo.fr, pour demander "une enquête approfondie sur l'ampleur des violences" qui ont pu avoir lieu depuis "des décennies", ainsi qu'un "état des lieux actuel" et des mesures concrètes afin de prévenir les maltraitances dont ils disent avoir été victimes ou témoins. Ils s'expriment ici librement.


Le 1er décembre 2024, Radio Classique publie un article sur les bienfaits du chant choral chez les jeunes. Quinze jours plus tard et comme en miroir, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale traitant des violences commises dans les secteurs artistiques et médiatiques, demandée par la comédienne Judith Godrèche, mène des auditions où il est notamment question des violences commises dans les maîtrises : ses conclusions sont attendues mercredi 9 avril.

Une maîtrise est un chœur d'enfants intégré à un dispositif "d'horaires aménagés" qui permet d'allier un apprentissage musical de haut niveau à une scolarité classique, comme cela existe pour les "sport-études". On peut y entrer dès l'âge de 6 ans et le cursus se termine généralement à la fin du lycée. Selon un cadre propre à chaque maîtrise, les jeunes chanteuses et chanteurs prennent part à des tournées et des concerts professionnels. D'après le recensement (incomplet) de l'Institut français d'art choral de 2018, et en incluant la fédération française des Pueri Cantores, ce sont au moins 5 000 enfants qui chanteraient dans ces structures.

De nombreuses procédures visent actuellement ou ont visé des institutions reconnues. Denis Dupays, ancien chef de chœur de la maîtrise de Radio France, sera prochainement jugé pour viol. En juillet 2024, des plaintes ont été déposées contre Gaël Darchen, chef de la maîtrise des Hauts-de-Seine, pour harcèlement sexuel et moral ainsi que pour agression sexuelle. A la Maîtrise boréale, dans le Nord, le chef Bernard Dewagtère a été mis en examen pour viols. Aux Moineaux du Val-de-Marne, l'abbé Coutelle a été condamné pour agressions sexuelles et deux autres chefs sont accusés de viols. L'abbé Tartu, ancien chef des Petits chanteurs de Touraine, a été reconnu coupable par le tribunal pénal canonique français en novembre 2024, n'ayant pas été jugé au pénal pour cause de prescription. En 2018, le chef de la maîtrise de Tours s'est suicidé en détention provisoire après sa mise en examen pour viols. En 2008, le chef d'un chœur de Toulouse avait été condamné en appel à trois ans ferme pour agressions sexuelles.

Toutes ces procédures ne constituent malheureusement que la partie émergée de l'iceberg. C'est pourquoi nous, anciennes maîtrisiennes et anciens maîtrisiens, unissons cette fois nos voix pour dénoncer les violences que nous avons subies, observées et qui perdurent aujourd'hui.

Nous avons toutes et tous rejoint une maîtrise ou un chœur d'enfants par amour de la musique, pour bénéficier d'une formation d'excellence et prendre part à des concerts de haut niveau. Mais au lieu d'un enseignement d'exception, la plupart d'entre nous avons connu un véritable dressage. Le chef a un pouvoir absolu, et c'est au nom de l'excellence qu'il mène les enfants à la baguette, que ceux-ci n'ont pas le droit à l'erreur, voire ont l'interdiction formelle de bouger en concert, jusqu'au malaise.

"Nous sommes nombreux à avoir été ainsi terrorisés, humiliés publiquement, culpabilisés, méprisés, menacés, insultés. Ces violences psychologiques sont omniprésentes et relèvent d'un véritable harcèlement moral au quotidien, qui peut durer des années. Ainsi 'cassés', les enfants rentrent dans le rang."

Les signataires de la tribune

Des violences d'un autre ordre peuvent aussi survenir : harcèlement sexuel, agressions sexuelles et viols de la part de personnes détenant l'autorité, le chef, un professeur, un encadrant qui prétendent instaurer une "relation spéciale". Le mécanisme est le même que celui décrit par Adèle Haenel ou Judith Godrèche.

Nous avons également souffert jusque dans nos voix : beaucoup d'entre nous ont connu des difficultés vocales, pendant et après nos cursus, allant pour certaines jusqu'à l'intervention chirurgicale, nous qui étions venus pour apprendre. C'est bien le chef – ou la cheffe (les chœurs d'enfants sont principalement dirigés par des hommes, mais nous avons constaté que les mêmes violences existent quand il s'agit de femmes) – qui est au cœur de ces violences, rendues possibles par un triple mécanisme reposant sur l'excellence, l'emprise et l'entre-soi. Une fois que les enfants sont mis au pas, le chef peut instaurer son emprise en soufflant le chaud et le froid : leur joie de chanter devient un levier de chantage. Certains seront sélectionnés pour les concerts, d'autres non. Certains auront des solos, d'autres non. Il y a les boucs émissaires et les chouchous.

Cette mise en compétition génère de l'angoisse et la volonté maladive de bien faire pour "mériter" d'être dans les bonnes grâces du chef… qui a alors toute latitude pour continuer d'abuser de son pouvoir. Malgré tout, le bonheur d'être sur scène demeure intact et les enfants se sentent redevables de la chance qui leur est donnée. C'est le paradoxe résultant de l'emprise : les maîtrises génèrent un fort sentiment de loyauté et de reconnaissance malgré les violences subies. Ce système perdure car il est verrouillé par un entre-soi délétère. Toutes ces violences seraient en effet impossibles sans le silence assourdissant des équipes pédagogiques, administratives et encadrantes, préoccupées par la renommée de l'institution plus que par le bien-être des enfants. Les parents, souvent aveuglés par cette promesse d'accéder à "l'élite", ont leur part de responsabilité.

D'ailleurs, il faut souligner que les enfants qui chantent dans des chœurs travaillent la plupart du temps gratuitement, sous prétexte que les concerts constituent des restitutions pédagogiques. Mais au vu de leur nombre, et de leur ampleur, l'inversion des objectifs est flagrante : le projet pédagogique disparaît bien vite derrière la quête de résultats.

"Parmi nous, certaines et certains ont abandonné le chant, une passion devenue trop douloureuse suite à leur expérience de la maîtrise. D'autres ont continué malgré tout et fait de la musique leur métier."

Les signataires de la tribune

D'autres signataires nous ont rejoints. Ils et elles sont issus du monde de la culture, de l'art vivant et de la protection de l'enfance et souhaitent ajouter leurs voix à celles des enfants d'hier qui n'ont plus peur et font vœu de protéger ceux d'aujourd'hui.

De concert, nous demandons une enquête approfondie sur l'ampleur des violences qui sévissent depuis des décennies dans les chœurs d'enfants, accompagnée d'un état des lieux actuel. Nous exigeons la mise en place d'une stratégie de prévention et d'une supervision des chefs et des institutions pour en finir avec un système dysfonctionnel et favoriser une pédagogie qui prenne en compte le bien-être des enfants. Nous demandons une clarification du statut des maîtrises et de leurs élèves afin d'en finir avec les fonctionnements opaques et le travail dissimulé. Nous souhaitons que les enfants avec qui nous partageons la scène soient respectés et considérés pour ce qu'ils sont : des enfants.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale rend ses conclusions le 9 avril. Nous les attendons avec impatience. C'est un signal fort qui est ici envoyé à notre profession. Cette première étape doit être rapidement suivie de mesures concrètes pour protéger les enfants et leur joie de chanter. 

Les signataires : 

Collectif contre les violences dans les chœurs d'enfants collectifcvce@gmail.com 

Corinne Masiero (actrice et réalisatrice), Swann Périssé (humoriste), Laurent Naouri (artiste lyrique), Marc Mauillon (artiste lyrique), Lucile Richardot (artiste lyrique - Victoires de la musique 2025), Eric Huchet (artiste lyrique), Isabelle Poulenard (artiste lyrique), Marie-Laure Garnier (artiste lyrique), Marie Perbost (artiste lyrique), Adèle Charvet (artiste lyrique), Gabrielle Philiponet (artiste lyrique), Neima Naouri (chanteuse), Ariane Ascaride (comédienne), Barbara Probst (actrice), Christian François (réalisateur), Aliette de Laleu (journaliste sur France musique et autrice), Cht.am (autrice), Sophia Antoine (artiste, militante féministe et enfantiste, et activiste FEMEN)

SNAM CGT: Union nationale des syndicats d'artistes musiciens

Associations et collectifs : Unisson, Muriel Salmona (psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie), Arnaud Gallais (président de Mouv'enfants), Le Kbinet, Homayra Sellier (présidente de l'association Innocence en danger), Cédric Teynat (président de l'association Les Enfants d'Argus), Collectif Chœurs brisés agir, Fédération interrégionale du mouvement HF+, Metoomedia, Futurs composés - réseau national de la création musicale

Administrateurs de Institut français d'art choral (IFAC) : Jean-Christophe Michel (président), Christine Morel (vice-présidente), Jean-Sébastien Veysseyre (vice-président), Lisa Mancin (secrétaire), Aline Behar (secrétaire adjointe), Gilles Mirieu de Labarre (administrateur)

La compagnie La Drache

Signataires individuels : anciens maîtrisiens, parents, artistes et soutiens du monde de la culture

Anas Séguin (artiste lyrique), Antonin Rondepierre, (artiste lyrique), Abel Zamora (artiste lyrique), Elise Dabrowski (artiste), Maya Villanueva (artiste lyrique), Léopold Laforge (artiste lyrique), Antoine Pluche (artiste lyrique), Constance Loupan Cayeux (artiste lyrique), Ninon Massery (artiste lyrique), Sophie Hervé (artiste lyrique / professeure), Nadège Meden (artiste lyrique), Raphaële Leidecker (chef de chœur), Gabrielle Savelli (artiste lyrique), Jeanne de La Brière (étudiante en chant lyrique), Chloé Dujardin (artiste lyrique / administratrice de production), Dounia El baaj (chanteuse), Nicolas Simeha (artiste et musicothérapeute), Elsa Pélaquier (artiste lyrique), Céleste Ingrand (artiste lyrique), Agnes Menard (artiste des chœurs), Agathe Boudet (artiste lyrique), Elise Beckers (artiste lyrique / comédienne), Agnès Barthomier (enseignante), Valerie Rio (artiste lyrique), Caroline Chassany (artiste lyrique), Sara Brunel (étudiante en chant lyrique), Geneviève Cirasse (artiste lyrique), Andrea Adhumeau Gazeau (artiste lyrique), Marine Boustie (artiste lyrique), Pierre Corbel (artiste Lyrique), Charlotte Chikitou (médecin), Zina Niculescu (agent de billetterie secteur culturel), Violaine Lucas (chanteuse), Antoine Chenuet (artiste lyrique), Camille Bresch (artiste et formatrice), Olga Aleksandrova (responsable marketing), Jean-Christophe Jacques (chanteur), Elisa Blanchard (comédienne), Lorraine Tisserant (artiste lyrique), Emilie Husson (artiste lyrique), Christian Gueritauld (retraité), Valentin Dumaine (professeur de chant choral), Béatrice Debaud (retraité), Clelia Moreau (artiste de chœur), Ayden Anton (étudiant), Pauline Gaillard (chanteuse lyrique), Johannes Colin (artiste Auteur), Ingrid Ivorra (chanteuse et comédienne), Anaël Ben Soussan (chanteuse), Bertrand Cayeux (informatique), Sarah Pignier (artiste enseignante), Anaïs Schneider (ophtalmologiste), Isabelle Barbier (professeur d'art plastique), Lira Mila (artiste lyrique), Marie d'Ornellas (professeur de chimie), Natacha Loupan (étudiante), Céline Hénin (directrice d'école), Maurice Thomas (retraité), Aurélie Ligerot (artiste lyrique), Marie Denoyelle (artiste lyrique), Pierre-Gilles Deschamps (étudiant), Sylvie Pons (artiste Lyrique), Béatrice Durieu (mère au foyer), Riselène Pince (artiste lyrique), Raymi Bouquet (chef de chœur avec enfants), Clara Schmidt (artiste lyrique), Cécile Loupan (retraitée), Pierre Loupan (traducteur), Catherine Hénin (étudiante), Ariane Bresch (musicienne d'orchestre), Stéphanie Bréart (enseignante), Stella-Marcia Roulette (chanteuse), Philippe Souchon (enseignant), Thibaut Marion (artiste), Aurélien Adhumeau (chef de chœur), Cécile Roqué Alsina (metteuse en scène), Julie Nemer (artiste lyrique), Jessica Da Silva (artiste lyrique), Mathilde Wang (alternante en supply chain), Alexia Pingaud Macbeth (artiste lyrique), Martin Leterme (musicien), Célian d'Auvigny (chanteur et comédien), Annabelle Moaty (intermittente du spectacle), Coline Pélissier (doctorante), Sarah Serres (chanteuse), Romane Couteux (coordinatrice de projet dans l'associatif), Rémi Beer Demander (artiste lyrique), Alice Duchesnes (archiviste), Cécile Moll (artiste lyrique), Camille Fritsch (artiste lyrique), Gwen Rouger (artiste musicienne), Mathilde Laterrot (qualiticienne haute joaillerie), Alice Carlier (enseignante et musicienne), Mailys Pascault (professeure agrégée de musique), Jean-Baptiste Barbier-Arribe (directeur de production // référent Vss), Natasha Roque Alsina (pianiste), Lucile Bailly-Gourévitch (étudiante, chanteuse et enseignante), Sibylle Rivière (étudiante), Nathalie Launay (psychologue), Thibaut Guyot (étudiant en chant), Marie Brendle (choriste), Aliénor de Vallée (artiste lyrique), Anaïs Pin (musicienne), Colin Heller (musicien), Agata Siecinska (artiste plasticienne), Ophélie Julien-Laferrière (chanteuse), Laudine Bignonet (artiste lyrique et claveciniste), Stéphanie Launay (professeure de pilates), Odile Launay (retraitée), Robert Expert (artiste lyrique, professeur de chant), Noémie Schreiber (metteuse en scène), Soni Roulette (violoncelliste), Robin Egloffe (comédien), Sophie Launay (auteure), Belinda Kunz (artiste lyrique), Bénédicte Jorrot-Chanoine (professeur de chant, chef de chœur, chanteuse lyrique), Noémie Bousquet (artiste), Aliette Frangi (chargée de production dans l'événementiel musical) Pascale Toniazzo (metteur en scène), Hector Carlier (ingénieur du son), Fanny Chikhi (enseignante), Noémia Miranda (commerçante), Robin Gentien (musicien), Maud Gentien (comédienne), Merlin Gentien (étudiant), Olivia Pfender (bibliothécaire), Juliette Bailly-Gourevitch (intermittente du spectacle), Claire Joveniaux (cadre), Suzanne Frugier (direction d'établissements sociaux / médico-sociaux), Cécile De Bary (maîtresse de conférences), Raluca Joandrea (artiste lyrique), Aude Fenoy (artiste Lyrique), Faustine De Monès (artiste lyrique), Mathilde Rognon (psychologue), Téva Robert (médecin), 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l'action culturelle), Manon Dosen (avocate), Sullivan Noulard (chanteur lyrique), Maxime Sechaud (metteur en scène), Fanny Schleicher (conseillère en insertion professionnelle), Caroline Grimard (cheffe de services), Elodie Lestage (professeur des écoles), Laurent Merlin (cadre de santé), Isabelle Lebon (professeur des écoles), Audrey Courcelaud (infirmière en psychiatrie), Marie Boulant (indépendante chef de projet), Patricia Duval (pianiste accompagnatrice), Franckie Derouault (enseignante), Justine Trichot (chargée de production culturelle), Marie-Pierre Feringue (comédienne), Jean-François Duponcheel (enseignant), Nicolas Grard (metteur en scène), Dominique Hénichart (retraité), Marie-Madeleine Vaillant (retraitée), Françoise Jolin (infirmière), Stéphanie Constantin (comédienne), Juliette Chevalier (chorégraphe), Nadia Lepinay (assistante Maternelle), Marion Prouvost (costumière), Véronique Regent (sans profession), Blandine Liagre (kinésithérapeute), Magali Aguirre (artiste 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