Aide à mourir : qu'est-ce que le délit d'entrave, prévu dans la proposition de loi adoptée par les députés ?

Passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende, il sanctionne "le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur l'aide à mourir".

Article rédigé par franceinfo
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Les députés à l'Assemblée nationale lors l'examen de la proposition de loi sur l'aide à mourir, le 22 mai 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Les députés à l'Assemblée nationale lors l'examen de la proposition de loi sur l'aide à mourir, le 22 mai 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

C'est l'un des points les plus sensibles dans les débats sur la fin de vie. La proposition de loi sur l'aide à mourir, adoptée en première lecture à l'Assemblée, mardi 27 mai, introduit un délit d'entrave. Passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende, il vise à sanctionner "le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur l'aide à mourir". Cette disposition inquiète une partie des soignants et des députés qui ont voté contre le texte porté par le député MoDem Olivier Falorni. 

Dans le détail, l'article 17 de la proposition de loi prévoit que ce délit peut être caractérisé par le fait d'empêcher "l'accès aux établissements où est pratiquée l'aide à mourir ou à tout lieu où elle peut régulièrement être pratiquée", d'entraver "la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces lieux ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux" ou de perturber "le lieu choisi par une personne pour l'administration de la substance létale". 

Une mesure déjà appliquée dans le cadre du droit à l'avortement

Il peut également s'agir "de pressions" exercées sur les patients, leur entourage et les soignants, ou de tenter d'"induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif". "Il ne sera jamais interdit de convaincre quelqu'un de renoncer au droit à l'aide à mourir, mais il sera interdit d'exercer des pressions morales, psychologiques, des menaces et d'entraver l'exercice de ce droit", a insisté mardi Olivier Falorni sur France Inter

Le député centriste fait valoir que ce délit d'entrave "existe dans la loi depuis des décennies" concernant le droit à l'avortement. La formulation de la proposition de la loi reprend d'ailleurs les termes inscrits dans le Code de la santé publique en matière d'interruption volontaire de grossesse. 

"Jusqu'où ira ce délit d'entrave dans l'interprétation ?", s'est cependant inquiété Thibault Bazin, député Les Républicains, lors des débats à l'Assemblée. "Non seulement on autorise à donner la mort, dans des conditions encadrées, mais on va condamner ceux qui veulent que la vie subsiste", a pour sa part fustigé mercredi sur France Inter Eric Ciotti, chef de file des députés UDR, allié du Rassemblement national.

Pas de délit d'entrave pour les propos tenus "dans un cercle familial"

La ministre de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, a tenté de rassurer la classe politique. "Ce que l'on est conduit à dire (…) dans un cercle amical, familial, est évidemment une approche personnelle qui n'est pas constitutive d'un délit d'entrave", a-t-elle martelé face aux députés, invoquant une décision du Conseil constitutionnel de 2017 sur le cadre du délit d'entrave à l'avortement.

"Le fait de proposer des soins palliatifs, des alternatives ou d'autres perspectives, de faire part d'un doute, d'ouvrir un dialogue ou même de retarder une décision jugée prématurée ne peut pas être regardé comme une pression, une menace ou une intimidation."

Catherine Vautrin, ministre de la Santé

lors des débats à l'Assemblée nationale

Mais la mesure suscite des interrogations jusqu'au sein du gouvernement. Le Premier ministre a jugé "ambigu" ce délit, car "ce n'est pas une entrave que d'essayer de persuader quelqu'un de vivre". Mais, "j'ai confiance dans la démarche parlementaire pour que toutes les interrogations soient levées", a ajouté François Bayrou mardi sur BFMTV. La proposition de loi est encore loin d'être entérinée. Elle poursuivra son chemin législatif au Sénat, peut-être dès cet automne, avant de revenir à l'Assemblée pour une deuxième, voire une troisième lecture.

Le ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins, Yannick Neuder, a de son côté déclaré mercredi sur franceinfo qu'il n'était "pas certain" qu'il aurait voté la création d'une aide à mourir s'il était encore député LR et a plaidé pour "continuer à travailler" au Sénat pour renforcer les "garde-fous". "Attention au délit d'entrave, qui peut aussi éloigner des soignants s'ils se sentent en danger juridique", a prévenu ce cardiologue de profession.

"On pourra nous menacer d'aller en prison"

"Notre travail à nous, soignants, c'est de soutenir le désir de vie. Parfois, c'est un brasier, une flamme fragile", a défendu mardi Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, sur France Inter. "Ce qu'on nous propose, c'est de souffler sur cette flamme, mais d'être puni pour ça", s'alarme la médecin, opposée à cette aide à mourir.

"Il est curieux de vouloir sanctionner lourdement quelqu'un qui propose une autre solution que la mort", s'émeut Sophie Moulias, présidente du comité d'éthique de la Société française de gériatrie, auprès du Parisien. "On pourra nous menacer d'aller en prison parce qu'on a tendu la main plutôt que la corde", tempête-t-elle.

Philippe Lohéac, délégué général de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, balaye ces craintes : "Il n'y a pas de raison que ce délit soit controversé". "Informer un patient, cela n'a rien à voir avec le fait d'exercer des menaces", juge-t-il auprès du quotidien francilien. La proposition de loi prévoit également que tout médecin ou infirmier puisse faire valoir une "clause de conscience" lui permettant de refuser de pratiquer l'aide à mourir. Ils devront alors communiquer à la personne le nom de professionnels disposés à le faire.

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