Affaire Bétharram : vingt-trois ans après, la claque de François Bayrou sur un enfant "ne passerait absolument plus"
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Mercredi, lors de son audition devant la commission d'enquête sur l'affaire Bétharram, François Bayrou a maintenu que la claque qu'il avait donnée à un enfant en 2002 n'était pas problématique. Une déclaration qui relance le débat sur les violences éducatives.
Son audition devant la commission d'enquête parlementaire dans le cadre de l'affaire Bétharram avait commencé depuis deux heures, mercredi 14 mai, lorsque François Bayrou s'est une nouvelle fois agacé. "Je lui ai donné une tape. Pas une claque, je veux dire pas… pas… pas quelque chose de brutal. Ce n'était pas du tout une claque violente. C'était une tape, en effet, de père de famille." Ce n'est pas sur sa supposée mansuétude à l'égard de l'institution scolaire des Pyrénées-Atlantiques que le Premier ministre est cette fois interrogé. Mais sur une gifle, sa gifle, celle qu'il a adressée à un enfant qui lui faisait les poches, en avril 2002, à l'occasion d'un déplacement de campagne dans un quartier populaire de Strasbourg.
Vingt-trois ans après ce geste capté par les caméras, pas d'excuses, pas d'acte de contrition. Le fond de la pensée de François Bayrou reste le même : "Pour moi, ce n'est pas de la violence", mais "un geste éducatif". "Et si quelqu'un ici pense que jamais il n'a donné une tape à un enfant, je crois que beaucoup, s'ils sont honnêtes, pourront admettre qu'ils l'ont fait", a-t-il lancé aux députés venus l'interroger.
En écoutant les justifications du chef du gouvernement, mercredi soir, Joëlle Sicamois a bien manqué de s'étouffer. "Ce n'est absolument pas possible qu'un Premier ministre, avec ce niveau de responsabilités, puisse encore aujourd'hui, en mai 2025, relativiser une gifle. C'est inadmissible et c'est inquiétant, réagit la directrice de la Fondation pour l'enfance auprès de franceinfo. Ses propos sont la preuve que le concept de 'corriger un enfant' est encore bien présent dans les mentalités, alors même qu'une loi existe !"
Depuis le 10 juillet 2019, une loi interdit effectivement les violences éducatives en France. "L'autorité parentale doit s'exercer sans violences physiques ou psychologiques", dit le texte. "Cela englobe toutes les pratiques coercitives utilisées par les parents pour faire mal, pour faire peur, pour faire souffrir, pour menacer un enfant sous prétexte de l'éduquer, détaille Gilles Lazimi, médecin généraliste et président de l'association Stop VEO (Violences éducatives ordinaires). Il peut s'agir des cris, des mots blessants, des poussées, des tirages de cheveux, des tirages d'oreilles, des gifles... Autant de pratiques qui n'aident pas l'enfant à grandir."
"Comme si la loi n'existait finalement pas"
Six ans après la promulgation de la loi, "le recours aux violences éducatives a bel et bien baissé", constate Gilles Lazimi. "Ça bouge, mais pas assez vite", reconnaît-il aussitôt. En juin 2024, un baromètre de la Fondation pour l'enfance révélait que 24% des parents avaient eu recours à la fessée et 16% à la gifle au cours de la semaine précédente. "Cela représente quand même une famille sur quatre, insiste Joëlle Sicamois. Et encore, ce chiffre est certainement plus élevé car certains n'assument pas forcément. Ce n'est pas rien !"
Inquiétant, aussi, le nombre de parents qui continuent de penser que l'interdiction législative des violences éducatives "constitue une intrusion de l'Etat dans les affaires privées". En 2022, ils étaient 51% à répondre "oui" à cette question. Deux ans plus tard, ils étaient 60% (page 19). "Aujourd'hui encore, des parents estiment qu'ils sont les seuls responsables de l'éducation de leurs enfants, que ce sont leurs affaires, pas les affaires de l'Etat, déplore Joëlle Sicamois. C'est comme si la loi n'existait finalement pas à leurs yeux."
Lors des émeutes de l'été 2023, le préfet de l'Hérault conseillait par exemple aux parents de donner "deux claques" à leurs enfants s'ils descendaient "dans la rue, pour brûler des véhicules de police ou aller caillasser des pompiers, ou piller des magasins". Joëlle Sicamois se désole : "Quel exemple cela donne quand un représentant de l'Etat dit cela ? Comment, alors, mettre sur pied des politiques publiques vraiment volontaristes ? Comment imaginer des changements véritables de comportements ? L'effet est dévastateur."
"A aucun moment, je me dis que cette claque va lui porter préjudice"
Il y a vingt-trois ans, ce jour du 9 avril 2002, dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, l'équipe de campagne de François Bayrou craint dans un premier temps que la "taloche" du candidat ait des conséquences désastreuses. "On a eu très peur, parce qu'il n'y a rien de pire pour un politique que de se montrer violent. On s'est dit : 'Il va s'effondrer, ça va être la fin de sa carrière', se souvient auprès de franceinfo Patrick Mignola, alors membre de son équipe de campagne. En fait, l'effet a été complètement inverse dans l'opinion publique. La réaction des femmes et des hommes que je pouvais croiser dans la rue, c'est ce réflexe de : "Ça ne se fait pas'."
Alix Bouilhaguet, qui suit la campagne de François Bayrou pour France Télévisions, est également sur place. "Juste après la claque, il y a un moment suspendu, on ne sait pas comment ça va tourner avec les jeunes, se souvient la journaliste politique. Ce qui paraît dingue aujourd'hui, c'est que personne n'est choqué à l'époque. A aucun moment, on pense à de la maltraitance. A aucun moment, je me dis que ça va lui porter préjudice. Ce que je me dis, c'est qu'il est gonflé de faire preuve d'autant d'autorité dans ce milieu qui était véritablement hostile."
Le soir même, la séquence fait le tour des journaux télévisés. FR3, France 2... "Le président de l'UDF assure recevoir de 5 à 600 mails de félicitations par jour", écrit Libération à l'époque. Le Palois est d'ailleurs convaincu d'avoir bien agi. "Je connais les Français. Ils me sauront gré de ce geste", confie-t-il, serein, au Parisien.
A moins de deux semaines du premier tour de la présidentielle, cet incident le fait même décoller dans les sondages. "La gifle de François Bayrou séduit une partie des indécis", titre alors Le Monde, en évoquant les résultats d'une enquête réalisée par l'institut Novatris. Sur le sujet de l'insécurité, le centriste vient de gagner dix points en seulement une semaine.
"Une autre époque, où on justifiait les violences à l'égard des enfants"
A l'évocation de ce sondage, Gilles Lazimi marque un silence. "C'était une autre époque où, effectivement, on justifiait les violences à l'égard des enfants. Pendant très longtemps, on a considéré l'enfant comme un être qu'il fallait corriger, punir, soumettre, de manière à l'élever, l'éduquer. Je dis souvent qu'on est parent avec l'enfant qu'on a été. Donc les parents à cette époque pensaient bien faire. Il faut déconstruire, refuser cet héritage. Ça passe par toujours plus de pédagogie, répéter que l'enfant n'est pas une chose, pas un fauve à dresser."
La même gifle que celle adressée par François Bayrou aujourd'hui ? "Ce serait un énorme scandale, veut croire Gilles Lazimi. Ça ne passerait absolument plus, comme ça ne passe plus de cautionner les violences conjugales". S'il voit "du mieux", le médecin estime "à plusieurs années" le travail qui reste à réaliser. Depuis le 1er janvier, des conseils pour élever son enfant sans violences ont fini par être ajoutés dans le carnet de santé.
Pour "créer un électrochoc", Joëlle Sicamois souhaite que la loi évolue. "Il faut l'élargir à tous les lieux de vie des enfants, les sports, l'école, les périscolaires. La prise de conscience est là mais le chemin est encore très, très long..." Dans le dernier baromètre de la Fondation pour l'enfance, la question suivante était posée : "Savez-vous que, depuis 2019, une loi interdit les violences éducatives ordinaires ?" Près d'un tiers des parents sondés (31%) ont répondu "non".
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