Violences à Notre-Dame de Bétharram : on vous explique comment fonctionne le contrôle des établissements scolaires privés sous contrat

Ce collège-lycée catholique des Pyrénées-Atlantiques fait l'objet de plaintes d'anciens élèves pour violences physiques et sexuelles. L'établissement, sous contrat avec l'Etat, doit faire l'objet d'une prochaine inspection.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
L'établissement scolaire Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), le 12 février 2025. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)
L'établissement scolaire Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), le 12 février 2025. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Après des "dérives" identifiées au sein de l'établissement privé catholique Stanislas à Paris à l'été 2023, c'est désormais le collège-lycée Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) qui est pointé du doigt. Le parquet de Pau a annoncé, en février 2024, avoir ouvert une enquête préliminaire à la suite de 112 plaintes relatives à des violences physiques et sexuelles, allant des années 1960 à 2011, au sein de cet établissement catholique sous contrat avec l'Etat.

Mis en cause dans Mediapart sur sa connaissance préalable des violences dans cette école, le Premier ministre, François Bayrou, s'est défendu samedi 15 février en assurant avoir lancé une "inspection générale de l'établissement" en 1996. Le ministère de l'Education nationale a par ailleurs demandé vendredi au rectorat de Bordeaux une nouvelle inspection de Notre-Dame de Bétharram, disant ne pas avoir retrouvé trace de précédents contrôles.

Au-delà de ce cas précis, quelles sont les règles encadrant l'enseignement privé en France ? A quels types de contrôles sont soumis les établissements privés sous contrat, dans lesquels 17% des élèves sont scolarisés ? Sont-ils effectifs ? Franceinfo fait le point.

L'Etat doit contrôler l'enseignement privé sur le plan pédagogique, administratif et financier

En France, le service public d'enseignement coexiste avec des établissements privés, dont le fonctionnement est encadré par la loi dite "Debré", du 31 décembre 1959, et la loi dite "Gatel", du 13 avril 2018. Ces établissements privés sont eux-mêmes divisés en deux catégories : les établissements sous contrat avec l'Etat, et ceux hors contrat – très minoritaires, même s'ils sont de plus en plus nombreux.

A la rentrée 2022, plus de deux millions d'élèves étaient scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat. Ce dernier, dominé par l'enseignement catholique, implique qu'en échange de financements publics, l'établissement doit tenir certains engagements, comme "la conformité aux programmes définis par le ministère de l’Education nationale", rappelle un rapport de la Cour des comptes de juin 2023 (document PDF).

Pour vérifier que ces engagements sont bien tenus, les établissements privés sous contrat sont soumis à trois types de contrôles : financier, pédagogique et administratif. Le contrôle financier est réalisé par la direction des finances publiques, et doit notamment permettre de vérifier la conformité de l'utilisation par l'établissement de la contribution de l'Etat. Le contrôle pédagogique, de la compétence du recteur, s'assure que l'enseignement dispensé aux élèves est bien conforme aux droits garantis par les traités et par la Constitution, notamment l'acquisition du "socle commun" de connaissances.

Enfin, le contrôle administratif, sous l'autorité conjointe du préfet et du recteur, recouvre toute une variété de situations allant du contrôle des diplômes du personnel éducatif au respect de la prévention sanitaire. C'est ce type de contrôle qui est déclenché en cas de signalements pour des problèmes de "violences sexuelles et sexistes commises par un enseignant (...) ou encore des atteintes aux valeurs de la République", note un rapport parlementaire sur le financement et le contrôle de l'enseignement privé d'avril 2024. Le Code de l'Education, qui prévoit ces trois formes de contrôle, n'indique néanmoins pas à quelle régularité les établissements doivent être inspectés.

Plusieurs rapports pointent une défaillance du contrôle

Le rapport de la Cour des comptes de 2023 et le rapport parlementaire de 2024 ont pointé de nombreuses insuffisances dans le contrôle exercé par l'Etat. Concernant l'audit financier, "les directeurs régionaux des finances publiques sollicités dans le cadre de l'enquête (...) ont indiqué que leurs services n'effectuaient pas ces contrôles", écrit ainsi la Cour des comptes. Dans leur rapport, les députés Paul Vannier (La France insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance) constatent qu'en 2023, "seuls cinq établissements privés ont été contrôlés", sur 7 500 établissements privés sous contrat. De leur côté, les établissements scolaires publics font l'objet de "dix fois plus de contrôles", précisent les auteurs du rapport.

"La fréquence de contrôle [financier] d’un établissement privé est d'une fois tous les 1 500 ans."

Les députés Paul Vannier et Christopher Weissberg

dans un rapport publié en avril 2024

Les contrôles sont plus fréquents sur le volet pédagogique. Comme dans le public, les enseignants titulaires dans le privé font l'objet d'inspections, tous les sept ans en moyenne, rappelle l'Education nationale. Les deux rapports déplorent néanmoins qu'aucune règle ne définisse l'inspection des contractuels, qui représentent 17% des enseignants du privé sous contrat. "Dans plusieurs établissements visités, des professeurs délégués n'avaient jamais rencontré d’inspecteur", note ainsi la Cour des comptes. Par ailleurs, certains intervenants dans les établissements privés (surveillants, agents spécialisés des écoles maternelles...) ne relèvent pas de l'autorité académique mais de l'Organisme de gestion de l'enseignement catholique (Ogec), et ne sont donc pas soumis aux contrôles de l'Education nationale.

Quand des contrôles pédagogiques sont effectués, les auteurs du rapport parlementaire constatent qu'"il arrive (...) que certains contenus à vocation éducative soient écartés", citant des documents relatifs à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ou à l'homosexualité. Le document pointe également des "angles morts" dans le contrôle pédagogique, notamment "la bonne application des dispositions relatives à l'instruction religieuse". 

Enfin, les deux rapports s'accordent sur le fait que les contrôles administratifs ne sont "exercé[s] que de manière ponctuelle, en cas de problème signalé au sein d'un établissement". Les députés Paul Vannier et Christopher Weissberg ont recensé quatre inspections à ce titre "au cours des dernières années" : le lycée musulman Averroès à Lille (l'Etat a depuis résilié son contrat d'association avec l'établissement), deux établissements privés de Lyon et le collège Stanislas à Paris. Comment expliquer un taux de contrôle aussi faible ? "Contrairement aux responsables des établissements publics, les chefs d’établissements de l’enseignement privé ne sont pas tenus de signaler aux rectorats tous les problèmes graves ou incidents survenus dans l'établissement", pointe le rapport de la Cour des comptes.

De manière générale, les "contrôles sont réalisés de manière approfondie à l’instauration du contrat d'association avec l'Etat (...). En revanche, les contrôles qui s'exercent lors de la 'vie du contrat' paraissent considérablement moins poussés, quand bien même l'arsenal juridique est important", notent les députés dans leur rapport.

"Le système repose sur un climat de confiance entre les différentes parties prenantes, lesquelles ne perçoivent pas toujours la nécessité de contrôler [les établissements privés]."

Les députés Paul Vannier et Christopher Weissberg

dans un rapport publié en avril 2024

Pour expliquer ces contrôles peu nombreux, les députés avancent le manque de "temps" des services concernés, l'absence de "volonté politique", la "crainte de raviver une 'guerre scolaire' fantasmée" ou celle de "devoir gérer les difficultés consécutives à la détection d’irrégularités, voire de fraudes".

Le ministère de l'Education a réclamé plus de contrôles

En juin, le ministère a demandé dans une circulaire à tous les recteurs de renforcer les contrôles dans le cadre d'une stratégie pluriannuelle. Quelque 60 inspecteurs supplémentaires "ont été affectés aux académies" au service d'un objectif de 40% des établissements privés sous contrat devant avoir été inspectés à l'horizon 2027, a fait savoir vendredi le ministère de l'Education. "Des contrôles aléatoires [vont être lancés] dans les établissements privés disposant d'internats pour pouvoir se prémunir de certaines situations", a aussi annoncé la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, à la sortie du Conseil des ministres, mercredi 19 février, sans préciser s'il s'agissait d'une mesure supplémentaire.

Des contrôles ont été "déclenchés" après la publication des deux rapports, avait confirmé Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique, en septembre à l'AFP. "Il y a déjà eu un certain nombre de contrôles DGFIP [Direction générale des finances publiques], à peu près une dizaine, surtout à la fin de l'année. Et il a dû y avoir trois contrôles Education nationale." Interrogés par franceinfo sur le nombre et le contenu des contrôles en 2024, le ministère de l'Education nationale et la DGFIP n'avaient pas répondu au moment de la publication de cet article.

Ces mesures sont néanmoins insuffisantes pour une partie de la classe politique. Le député insoumis Paul Vannier, coauteur du rapport précité, a réclamé la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires privés, qui sera examinée mercredi 19 février à l'Assemblée. Le groupe écologiste au Sénat avait émis une demande similaire en mars, sans qu'il y soit donné suite. Le groupe écologiste et social à l'Assemblée a, lui, demandé une commission d'enquête sur "les violences commises au sein du lycée Notre-Dame de Bétharram et l'absence de traitement des signalements".

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