Confisquer les téléphones des consommateurs de drogue : on vous explique l'expérimentation menée à Bayonne que Gérald Darmanin veut généraliser

L'expérimentation lancée par le procureur de Bayonne en avril vise à pénaliser les consommateurs et à obtenir des informations supplémentaires sur les trafiquants.

Article rédigé par franceinfo
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"La saisie d'argent, de voitures, de téléphone, (…) est parfois plus dissuasive qu'une poursuite judiciaire", a estimé sur franceinfo le ministre de la Justice Gérald Darmanin, jeudi 24 avril 2025. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP)
"La saisie d'argent, de voitures, de téléphone, (…) est parfois plus dissuasive qu'une poursuite judiciaire", a estimé sur franceinfo le ministre de la Justice Gérald Darmanin, jeudi 24 avril 2025. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP)

"Frapper là où ça fait mal [en saisissant] ces téléphones portables." Le procureur de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), Jérôme Bourrier, a expliqué au micro d'"ici Pays Basque" avoir lancé une nouvelle réponse pénale à l'encontre des consommateurs de drogue depuis le mois d'avril, en confisquant leur smartphone dès lors que celui-ci avait été utilisé pour organiser une transaction avec un dealer. Séduit par cette initiative, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a annoncé sur franceinfo la généralisation de cette expérimentation locale à tout le territoire, jeudi 24 avril. 

Dans un pays où les saisies de cocaïne ont été multipliées par 10 en deux ans, la lutte contre le trafic de drogues est devenue un pilier de la politique pénale du garde des Sceaux. A l'heure où les réseaux se numérisent et où les amendes forfaitaires perdent de leur efficacité dissuasive, cette nouvelle arme vise à atteindre les profils les plus difficiles à sanctionner en les privant d'un maillon essentiel de la chaîne du trafic : leur téléphone.

Démanteler "des supermarchés de la drogue avec service de livraison"

"Nous vivons un moment historique du point de vue de l'état de la menace", alertait en mars Dimitri Zoulas, chef de l'Office anti-stupéfiants, sur franceinfo, soulignant qu'avec "Internet, tout le monde a accès à la vente au détail". Cette analyse est partagée par le procureur de Bayonne, qui dénonce auprès de Sud Ouest "l'utilisation de messageries cryptées pour monter des supermarchés de la drogue avec service de livraison", et souligne qu'"ils sont bien plus discrets qu'un point de vente dans la rue".

Face à cette mutation, Jérôme Bourrier prône une réponse pénale plus incisive, afin d'enrayer une économie souterraine qui prospère à coups de messages chiffrés et de livraisons express, depuis que les réseaux ont remplacé les guetteurs de rue par des dealers recrutés sur Snapchat ou Telegram. Ces méthodes, baptisées "Uber shit" ou "Uber coke" par les forces de l'ordre, imposent de frapper fort, assure le magistrat. "Il n'y a pas d'offre sans demande et je crois qu'il faut s'attaquer avec plus de fermeté au problème de la consommation, avec plus de rigueur, et une répression accrue", a-t-il estimé jeudi sur RMC.

Une mesure qui cible les profils difficiles à atteindre

Cette nouvelle réponse pénale vise en priorité les publics les plus imperméables aux dispositifs classiques : mineurs, jeunes majeurs, personnes en situation irrégulière, consommateurs récidivistes… Face à ces profils, l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros s'avère peu efficace. "Le taux de recouvrement n'est que de 30% environ", regrette Jérôme Bourrier au micro d'"ici Pays Basque". Autrement dit, dans plus de deux cas sur trois, l'AFD, étendue à l'usage des stupéfiants en septembre 2020 pour sanctionner la détention de petites quantités de drogue (jusqu'à 30 grammes de cannabis ou 5 grammes de cocaïne), n'est pas versée.

Pour pallier cette faible efficacité, la confiscation des smartphones est donc pensée comme un levier à la fois dissuasif et opérationnel. "Elle permet au consommateur de toucher du doigt que le non-respect de la loi a un coût : celui de son smartphone", estime Olivier Calia, commissaire à la tête des forces de police de la Côte basque, dans les colonnes de Sud Ouest. Il salue une "sanction rapide", particulièrement pertinente pour "des publics qui ne sont pas concernés par l'amende forfaitaire délictuelle".

Mais l'intérêt est aussi opérationnel. Pour les forces de l'ordre, chaque téléphone saisi peut devenir une porte d'entrée vers les trafiquants. "Le téléphone portable est une source d'informations sur les modalités des transactions via les réseaux sociaux", a souligné Guillaume Favard, commandant de la gendarmerie de Bayonne, au micro d'"ici Pays Basque"

Une "sanction immédiate" applicable dès l'interpellation

Concrètement, la saisie du smartphone interviendra sur instruction du parquet, dès lors qu'une transaction a été effectuée via le téléphone du consommateur. "Soit dans le cadre d'une mesure alternative [aux poursuites], soit dans le cadre d'une ordonnance pénale délictuelle ou d'un jugement devant la juridiction", a précisé Jérôme Bourrier.

Pris en flagrant délit, l'usager sera conduit au commissariat ou en brigade, interrogé, et son téléphone confisqué s'il est avéré qu'il a servi à organiser l'échange. "C'est une sanction immédiate", insiste le procureur au micro d'"ici Pays Basque". "Réduire le nombre de consommateurs fait aussi partie de la lutte", abonde Olivier Calia, chef de la police nationale au Pays basque, interrogé par Sud Ouest.

Le dispositif s'inscrit dans une stratégie plus large de confiscations ciblées. C'est notamment cette réactivité qui a convaincu le ministre de la Justice. Il a salué jeudi sur franceinfo une réponse plus efficace que la traditionnelle poursuite judiciaire, estimant que "la saisie d'argent, la saisie de voitures, la saisie de téléphone, la saisie de vos objets est parfois plus dissuasive qu'une poursuite judiciaire."

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