Interview d'Emmanuel Macron : quatre questions sur le partage du "parapluie nucléaire" français, sur lequel le chef de l'Etat veut "aller plus loin"
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Sur TF1, le président de la République a réaffirmé que l'arme atomique tricolore doit bénéficier à ses voisins. Il souhaite définir le cadre dans lequel cette extension pourrait être envisagée "dans les semaines et les mois qui viennent".
Il maintient un flou stratégique. Lors de son passage sur TF1, mardi 13 mai, Emmanuel Macron a de nouveau évoqué la dissuasion nucléaire française, sur fond de guerre en Ukraine et de menaces militaires russes perçues par l'Europe. Interrogé sur le partage de l'arme atomique pour défendre les alliés de la France, le président de la République a rappelé la "dimension européenne" présente dans la doctrine tricolore, avant de confier qu'il voulait "aller plus loin", en déployant par exemple en Europe des avions capables d'emporter des charges nucléaires. Mais à quoi cela pourrait-il ressembler ? Eléments de réponse.
1 Comment ce partage fonctionnerait-il ?
Concrètement, l'idée serait d'élargir le parapluie nucléaire français au-delà de nos frontières, et donc à nos voisins européens. "La doctrine française est qu'on peut l'utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés", mais ces intérêts comprennent aussi "une dimension européenne", expliquait le chef de l'Etat en avril.
Pour autant, la France n'a nullement l'intention de partager le fameux bouton. Le locataire de l'Elysée resterait le seul à pouvoir donner l'ordre de tirer : l'arme nucléaire "est" et "restera" française, "de la conception et la production de nos armes, jusqu'à leur mise en œuvre sur décision du président de la République", comme l'a rappelé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, début mars. Mais d'après lui, la France serait "prête à contribuer davantage à la protection du sol européen".
Mardi soir, Emmanuel Macron a concédé que le projet en était toujours au stade de "la discussion". Le président de la République a ainsi promis qu'il définirait le "cadre" de cette coopération "de manière très officielle dans les semaines et les mois qui viennent". Ses propos interviennent cinq jours après la signature d'un "traité d'amitié" avec la Pologne. Celui-ci comprend une clause renforcée de soutien en cas d'agression militaire.
2 Avec qui la France pourrait-elle partager ?
Les pays les plus proches de la France se trouvent dans deux grandes alliances : l'Union européenne et l'Otan. Toutes deux disposent de clauses d'assistance en cas d'agression, l'article 5 pour le pacte nord-atlantique et l'article 42-7 du traité sur l'UE. La "dimension européenne" de la doctrine nucléaire française, soulignée plusieurs fois ces derniers mois par Emmanuel Macron, laisse entendre que Paris pourrait tendre son parapluie à n'importe lequel des 26 autres pays membres. "Avec la construction européenne, l'imbrication des intérêts vitaux est tellement forte qu'on ne peut pas imaginer que la Pologne, par exemple, soit atteinte sans que la France ne le soit en même temps ou peu de temps après", estimait la chercheuse Héloïse Fayet, interrogée par franceinfo.
Le 21 février dernier, Friedrich Merz, qui n'était pas encore chancelier allemand, avait surpris en faisant part de son intention de "discuter avec les Britanniques et les Français pour savoir si leur protection nucléaire pourrait également s'étendre [aux Allemands]". Les portes se sont également entrouvertes auprès des Etats baltes, de la Suède, de la Roumanie ou encore de la Pologne.
Au sein de l'Otan, la France n'est pas la seule puissance nucléaire. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni disposent de cette capacité, dans une dimension bien plus vaste pour ce qui est de l'arsenal américain. La présence de cet armement fait de l'Otan une alliance nucléaire, dont la doctrine est claire. "Si la sécurité fondamentale d'un allié de l'Otan est menacée, l'Otan dispose des capacités et de la détermination nécessaires pour imposer à l'adversaire des coûts qui seraient inacceptables et largement supérieurs aux avantages que tout adversaire pourrait espérer obtenir", pose l'alliance sur son site. Dans les documents de l'Otan, la dissuasion offerte par les Etats-Unis est souvent décrite comme "la garantie suprême de sa sécurité", là où les capacités britanniques et françaises sont présentées comme des compléments.
3 Et dans quelles circonstances ?
Un flou persiste sur le seuil pris en compte pour engager la dissuasion nucléaire tricolore, plutôt que des forces plus conventionnelles. Faut-il qu'une menace nucléaire soit dirigée vers le ou les alliés en question ? Ou qu'une attaque soit menée contre eux, par une puissance elle-même dotée de l'arme nucléaire ? Et de quels intérêts vitaux parle-t-on ?
La notion même de "partage" fait débat car, Emmanuel Macron l'a rappelé mardi, "la décision finale reviendra toujours au président de la République, chef des armées". Depuis qu'il a mis cet épineux sujet sur la table, le chef de l'Etat mène avant tout un exercice "de clarification" avec les partenaires européens, plutôt que de les laisser s'approcher de l'arme suprême, explique encore Héloïse Fayet.
Lors de son interview sur TF1, Emmanuel Macron a posé deux autres conditions à cette extension de la dissuasion nucléaire. "La France ne paiera pas pour la sécurité des autres", a-t-il assuré, ajoutant que la main tendue vers d'autres pays "ne viendra pas en soustraction de ce dont on a besoin pour nous".
4 La France a-t-elle la capacité d'étendre cette dissuasion ?
Selon le décompte de la Fédération des scientifiques américains (FAS), qui fait autorité sur le sujet, la France est la quatrième puissance nucléaire mondiale, après la Chine, les Etats-Unis et la Russie. Elle possède 290 ogives nucléaires, dont 250 se trouvent dans des sous-marins, et sont prévues pour des missiles M51 mer-sol. Les 40 autres peuvent être emportées par des avions Rafale et leurs ravitailleurs avec des missiles air-sol de moyenne portée.
Néanmoins, nuance Héloïse Fayet, tout n'est pas qu'une question de quantité. "Si nous voulions passer à un stock de 400 têtes par exemple, le temps de les produire, nous ne les aurions pas avant une dizaine d'années. Ce n'est pas plus d'ogives qui vont nous rendre plus crédibles. Nos sous-marins nucléaires peuvent déjà tirer des missiles M51 à plus de 8 000 km. L'enjeu, c'est la crédibilité politique", estime la spécialiste, dans les colonnes du Monde.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'élargissement de la dissuasion nucléaire est en réalité promu comme une arme de paix. "Il n'y a pas eu de conflits ouverts de haute intensité entre grandes puissances nucléaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, car aucun pays n'est prêt à risquer sa destruction dans une riposte nucléaire à la suite d'une première attaque, conventionnelle ou non", fait remarquer Héloïse Fayet, interrogée par Public Sénat.
C'est aussi ce que pense Dominique Mongin, auteur d'Histoire de la dissuasion nucléaire : "L'arme nucléaire est un élément de stabilité dans les relations internationales et en particulier au moment de la Guerre froide. Elle permet d'éviter toute dérive, notamment dans l'emploi d'armes conventionnelles."
Moscou n'a pas tardé à réagir aux propos d'Emmanuel Macron. "Le déploiement d'armes nucléaires sur le continent européen, ce n'est pas ce qui apportera de la sécurité, de la prévisibilité et de la stabilité", a prévenu Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.
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