Vidéo Maltraitance dans les Ehpad : trois séquences à retenir du documentaire adapté du livre "Les Fossoyeurs" de Victor Castanet

Article rédigé par Isabelle Malin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Une résidence du groupe Orpéa du Var, le 24 janvier 2023. (CAMILLE DODET / NICE MATIN / MAXPPP)
Une résidence du groupe Orpéa du Var, le 24 janvier 2023. (CAMILLE DODET / NICE MATIN / MAXPPP)

Une série de deux films documentaires revient en détail sur les malversations du groupe Orpea dénoncées dans livre de Victor Castanet.

La parution du livre Les Fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos aînés de Victor Castanet, en janvier 2022, a fait l'effet d'une bombe au sein du monde feutré des Ehpad privés. L'enquête du journaliste révèle les graves dysfonctionnements du groupe Orpea, numéro un des maisons de retraite et des cliniques privées. Un scandale retentissant qui a entraîné des poursuites judiciaires à l'encontre du groupe et d'anciens dirigeants.

Trois ans de travail ont été nécessaires au journaliste pour nourrir son ouvrage, qui fait désormais l'objet d'une adaptation sous forme de documentaire. Intitulé Les Fossoyeurs, au cœur du scandale des Ehpad, réalisé par Vincent Trisolini, le documentaire divisé en deux parties d'un peu moins d'une heure chacune a été diffusé mardi 25 mars sur France 2.

De nombreux anciens salariés témoignent dans le film : infirmiers, chefs de cuisine, juristes, directeurs, hauts cadres du groupe y racontent leurs conditions de travail. Le documentaire décrypte la course au profit de ce mastodonte des Ehpad privés au détriment de ses résidents, la politique de terreur menée contre ses salariés, l'utilisation parfois irrégulière de fonds publics, les fraudes aux élections professionnelles, ou encore les tentatives d'intimidation envers Victor Castanet. Franceinfo a sélectionné trois moments marquants de ce documentaire, construit comme un thriller.

" Il y a eu cette escarre et la descente a été rapide" : la romancière Françoise Dorin morte en trois mois

Françoise Dorin – romancière, parolière et comédienne – pensait terminer paisiblement sa vie dans la dignité et le confort de la luxueuse résidence Orpea "Les Bords de Seine" de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Mais derrière les apparences chics, l'octogénaire subit un manque de soins. Lors de son enquête, Victor Castanet découvre sur internet un commentaire au vitriol de son petit-fils sur cette résidence Orpea : "Si vous voulez vous débarrasser des gens que vous aimez à moindres frais, il y a une place de libre au deuxième étage". 

En cause : une escarre. Cette lésion cutanée profonde, également appelée "plaie de lit", peut se nécroser si elle n'est pas soignée correctement. Françoise Dorin est affectée par cette blessure peu de temps après son admission en 2018. "Il y a eu cette escarre et la descente a été rapide", se remémore Sylvie, la fille de la romancière, dans le documentaire.

La vieille dame, délaissée, ne bouge plus de son lit, ses protections urinaires sont rarement changées, ce qui aggrave l'infection de sa plaie. Celle-ci se creuse, s'infecte et devient un trou béant "gros comme un poing", rapporte son petit-fils, qui se souvient d'"une odeur de cadavre extrêmement reconnaissable". Malgré les différents signalements du personnel soignant, aucun médecin ne s'occupe d'elle. Françoise Dorin meurt trois mois après son arrivée, quelques jours avant son 90e anniversaire, d'un choc septique lié à cette escarre.

"Je l'ai vécu comme une mise à mort" : une directrice d'Ehpad licenciée en quelques minutes

Si les personnes âgées sont les premières victimes des dysfonctionnements chez Orpea, certains salariés du groupe ne sont pas épargnés. Carmen Menjivar, directrice d'un Ehpad Orpea à Bordeaux de 2008 à 2014, témoigne ainsi d'une violence managériale stupéfiante. Soumise pendant toute la durée de ses fonctions à une pression permanente afin de réaliser le plus de profit possible, elle dit s'être sentie considéré comme un "pion pour exécuter des règles prises en amont".

Alors que ses bilans sont mitigés, cette directrice d'établissement, "en plein divorce", confie ses difficultés personnelles à son directeur régional. "Je l'ai beaucoup regretté. Parce que là, il s'est dit : 'Elle commence à être à terre, c'est maintenant qu'il faut la finir et l'abattre.'" Peu de temps après, alors qu'elle rentre dans son bureau, trois personnes sont en train de ranger ses affaires dans un carton et lui intiment l'ordre de partir sur-le-champ, lettre de licenciement à l'appui. "Il y avait des photos de mes enfants, des dessins, des objets personnels… Je n'ai rien récupéré", déplore-t-elle.   

Tous les dossiers de son ordinateur sont effacés sous ses yeux. "Cela a pris un quart d'heure, après quasiment six ans. C'est violent", souffle Carmen Menjivar, qui vit ce licenciement, comme "une mise à mort". Vingt-sept de ses collègues directeurs de la région Sud-Ouest ont connu le même sort. Leur cas "était d'ailleurs devenu une légende qui servait un peu le groupe, [sur l'air de] 'Ceux qui suivent pas les consignes, vous avez vu ce qui vous attend'", commente Victor Castanet.

"S'ils te filent 15 [millions], tu arrêtes ton livre ?" : un proche d'Orpea tentait d'acheter le silence de Victor Castanet

Orpea a déployé des moyens considérables pour tenter de sauver sa réputation, mise à mal par les révélations du journaliste. Celui-ci se souvient même que des proches de l'entreprise ont tâté le terrain pour acheter son silence."Cela fait quasiment trois ans, que j'enquête à ce moment-là (...), je commence à avoir des éléments déterminants, notamment des documents qui prouvent une gestion pour le moins problématique de l'argent public. Et le groupe le sait", se remémore Victor Castanet.

Il partage alors un café avec un analyste financier – "qui connaît très bien les membres de la direction générale et Jean-Claude Marian", le fondateur d'Orpea. Il lui demande s'il serait prêt "à arrêter son enquête". Le journaliste enregistre la conversation. 

Victor Castanet affirme à cet interlocuteur n'avoir aucune intention de mettre un terme à ses investigations, tout en lui apprenant que mettre un journaliste sur écoute est illégal. L'analyste lui propose rapidement de l'argent, comme on peut l'entendre : "S'ils te filent 15, tu arrêtes ton livre ?" 

"Je n'étais pas étonné : 15 millions d'euros, ce n'est rien pour eux. Il aurait pu demander trente, ils les auraient donnés", lâche, désabusé, Laurent Garcia, ancien cadre infirmier et lanceur d'alerte qui incitera Victor Castanet à enquêter sur le groupe. "Ils ne me proposeraient pas autant d'argent si je n'avais pas vu juste, si je n'allais pas dans la bonne direction…", conclut le journaliste, qui obtiendra le prix Albert-Londres en 2022 pour son ouvrage. 


Le documentaire, Les Fossoyeurs, scandale au cœur des Ehpad, réalisé par Vincent Trisolini et coécrit par Victor Castanet, a été diffusé mardi 25 mars à 21h10 sur France 2. Il est toujours visible sur la plateforme france.tv.

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