"On met sur le même plan la santé des gens et l'économie" : les patients s'inquiètent d'une potentielle réforme de l'affection de longue durée
Face au déficit croissant de la Sécurité sociale, le ministère de la Santé et l'Assurance-maladie ont évoqué, fin juin, des pistes de modification du dispositif d'affection de longue durée (ALD), dont bénéficient près de 14 millions de Français.
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Les patients qui bénéficient d'une prise en charge au titre de l'affection de longue durée (ALD) seront-ils moins bien remboursés à l'avenir ? Alors que le Premier ministre, François Bayrou, doit présenter son plan de budget pour 2026 mi-juillet, plusieurs déclarations ont inquiété les patients ces derniers jours. Le ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins, Yannick Neuder, a expliqué, lundi 23 juin sur LCP, envisager la suspension de l'affiliation des patients en rémission. Ce souhait de réforme était déjà porté par un de ses prédécesseurs, Frédéric Valletoux, qui avait irrité les associations de patients.
L'ALD permet une prise en charge à 100% des soins et traitements liés à certaines pathologies (maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète...) et qui, pour les autres patients, sont remboursés aux taux habituels de la Sécurité sociale. Selon les chiffres communiqués l'an dernier par l'Assurance-maladie, 13,8 millions de Français étaient concernés en 2022, et le dispositif représente deux tiers des dépenses annuelles de la Caisse nationale de l'Assurance-maladie (Cnam). En 2035, cette part pourrait grimper aux trois quarts du total, dans un contexte de déficit toujours plus important, relève la Cnam. Dans un rapport remis au Parlement mardi, détaillant 60 propositions d'économies, cette dernière propose donc, elle aussi, de resserrer les contours de ce statut.
Outre "l'exonération" de l'ALD "pour les personnes en situation de guérison ou de rémission de certaines pathologies (cancers en phase de rémission, certaines affections cardio-vasculaires)", l'Assurance-maladie propose de retarder l'entrée dans le dispositif par la création d'un statut de "risque chronique". Enfin, elle veut réévaluer la prise en charge à 100% "des prestations ou des produits de santé dont l'efficacité ne justifie pas ce remboursement intégral", et définir "une liste de soins spécifiques et opposables" offrant le droit à un remboursement total pour chaque pathologie.
"On n'a qu'une vie, et elle n'a pas de prix"
Face à ces propositions, les associations de patients et les malades naviguent entre inquiétude et compréhension. "Ce débat-là, je le vis avec un peu de colère, car on met sur le même plan la santé des gens et l'économie. On n'a qu'une vie, et elle n'a pas de prix", s'énerve Yannick, 55 ans, en rémission d'un lymphome. Les patients participent déjà à la prise en charge financière de leur pathologie, même avec une ALD, rappelle ce dernier. Les dépassements d'honoraires, les franchises médicales sur les boîtes de médicaments ou encore le forfait journalier hospitalier restent en effet à leur charge, même si les complémentaires santé peuvent alléger la facture. Sans compter les petits à-côtés (bas de contention, crème pour les cicatrices...) ou une partie des soins de support (acupuncture, psychologue...) qui permettent de vivre avec la maladie, et ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale. Pour refaire une partie de sa dentition abîmée par la chimiothérapie, Yannick a ainsi dû débourser "plusieurs centaines d'euros".
Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Un statut "post-ALD" existe déjà et permet une prise en charge complète des examens de suivi, même lorsque le patient a quitté le dispositif. Mais il n'est pas automatique, et ne concerne "ni les produits de santé, ni les soins de supports, ni les transports sanitaires", souligne Bruno Lamothe, responsable du pôle plaidoyer de Renaloo, une association de patients atteints de maladies rénales. Et ce, alors que la maladie laisse des traces. Le centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy rapporte ainsi sur son site que 63,5% des personnes guéries souffrent de "lourdes séquelles" qui "dégradent durablement leur qualité de vie" et peuvent nécessiter des traitements (douleurs, fatigue, troubles chroniques des fonctions motrices, troubles urinaires et gastriques, conséquences psychologiques...).
"On parle de définir une liste de soins opposables à chaque ALD, mais le Covid long est une maladie qui touche plein d'organes et de systèmes différents, et tous les patients ne sont pas soulagés par les mêmes traitements", souligne Céline, dont la fille de 20 ans a obtenu la reconnaissance d'une ALD en lien avec cette maladie. Cette dernière craint que le concentrateur à oxygène de la jeune femme, qui réduit ses douleurs et ses troubles cognitifs, ne soit plus remboursé à 100% au titre de son efficacité chez certains patients seulement. Parmi les soins ciblés, le président de la Cnam, Thomas Fatôme, n'a pour l'instant évoqué que les cures thermales, notamment utilisées pour répondre aux effets des traitements anticancéreux.
"Honnêtement, je pourrais rentrer dans le cursus normal"
Pour des types de cancer particulier, les propositions de l'Assurance-maladie ne sont pas à la hauteur, affirme de son côté Olivier Cussenot, président du conseil scientifique de l'Association nationale des malades du cancer de la prostate. Pour cet urologue-oncologue, une "définition de la rémission complète est purement théorique et arbitraire". "Il y a des patients qui, même après 20 ans de rémission, peuvent récidiver.". "Ces mesures d'urgence ne sont pas vraiment réfléchies", estime aussi Bruno Lamothe. "Il faut que la partie prévention de la maladie, et ses phases de ralentissement, continuent de relever de l'ALD et non du système général", martèle-t-il, rappelant que "les pathologies diabétiques, l'obésité et les maladies rénales chroniques touchent beaucoup de personnes pauvres, souvent exclues du dispositif de santé" en raison de son coût.
"Le statut d'ALD permet d'éviter des évolutions majeures de la maladie, qui sont coûteuses pour la société."
Bruno Lamothe, responsable du pôle plaidoyer de l'association Renalooà franceinfo
Côté économies, ce dernier propose "des mesures plus structurelles, qui ne vont pas nuire aux soins des patients", comme le dépistage précoce des maladies chroniques, la lutte contre la fraude ou le développement de la greffe rénale, moins coûteuse que les dialyses. Des mesures en partie reprises par l'Assurance-maladie dans le rapport. De son côté, Mathieu*, atteint d'un "Covid long", souhaite se voir développer la "recherche et de prévention" sur sa maladie, encore peu connue. Diane*, qui se bat contre un cancer du pancréas, préconise, elle, de "délivrer le nombre exact de comprimés prescrits sur l'ordonnance afin de faire des économies".
Dans certains cas, comme pour les patients "en rémission complète" après "un diagnostic de cancer" avec "une intervention chirurgicale" mais sans "traitement derrière", les pistes avancées par l'Assurance-maladie peuvent néanmoins s'étudier, estime Catherine Simonin, membre du bureau de France Assos Santé. "Honnêtement, je pourrais rentrer dans le cursus normal, je n'ai plus qu'un rendez-vous avec l'oncologue tous les neuf mois, un pet-scan par an et une prise de sang tous les trois mois", avance aussi Cyrille, pompier de 52 ans, en rémission d'un lymphome médiastinal. Une appréhension persiste néanmoins : faire face à des "lourdeurs administratives" pour retrouver rapidement son ALD en cas de rechute de la maladie. "Quand on a un cancer, on est orienté sur sa survie, pas sur l'administratif."
* Le prénom a été modifié.
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