"Je suis prête à soigner, pas à me faire agresser" : à Paris, des médecins et professionnels de santé réclament un sursaut face aux violences
Une quinzaine d'organisations du secteur médical et paramédical appelaient à manifester mercredi. Le ministère de la Santé a annoncé en début d'après-midi la reprise de l'examen d'une proposition de loi pour renforcer la sécurité des soignants.
Il se tient un peu à l'écart de la vingtaine de soignants – certains en blouse blanche – rassemblés devant le ministère de la Santé, mercredi 12 mars, pour dénoncer les violences qui les visent. Mohamed Oulmekki a les yeux dans le vague. Fin novembre, ce médecin généraliste installé à Drancy (Seine-Saint-Denis) a reçu un "coup de tête" du fils d'une patiente, à son cabinet, en lien avec un problème de remboursement. Résultat : une fracture ouverte du nez et une déviation de la cloison nasale, qui ont occasionné deux semaines d'incapacité totale de travail (ITT).
Trois mois et demi plus tard, le médecin n'a toujours pas repris son stéthoscope, en raison de "séquelles psychologiques". Début février, son agresseur a été condamné à trois semaines de travaux d'intérêt général. "Une parodie de justice", soupire le soignant.
L'affaire, qui intervient après plusieurs autres agressions médiatisées, a ému nombre de ses confrères. Une quinzaine d'organisations professionnelles du secteur médical et paramédical, réunies au sein du collectif du 12-Mars, ont appelé mercredi à des fermetures des cabinets et à des manifestations dans la capitale, à Lille et à Marseille, pour marquer la journée européenne contre les violences visant les soignants. "Tous les jours, on entend parler de soignants agressés, on en a marre. Ce n'est pas un phénomène passager ou exceptionnel", assure Saïd Ouichou, porte-parole du collectif. "Quand les soignants sont en danger, les patients aussi sont en danger", plaide ce généraliste à Marseille, craignant que ces violences découragent l'installation de nouveaux praticiens, dans un contexte de pénurie de soignants.
Des violences qui visent surtout les généralistes et les femmes
En 2023, l'Ordre des médecins avait reçu 1 581 signalements de cas de violences contre des praticiens, soit une hausse de 27% par rapport à l'année précédente, qui avait déjà vu les signalements bondir de 23%. Les trois quarts (73%) des agressions sont verbales, tandis que les altercations physiques représentent 8% des faits signalés. Les victimes sont surtout des généralistes (64%) et sont plus souvent des femmes (56%). C'est le cas de Juliette Hayot, médecin généraliste à Cadolive (Bouches-du-Rhône), menacée début mars, à la sortie de son cabinet, par un homme muni d'un couteau lui réclamant la recette de sa journée. "Physiquement, je n'ai rien eu. Moralement, c'est plus compliqué", raconte la trentenaire, qui a donné un billet de 10 euros à son agresseur avant que ce dernier ne s'enfuie. "Je suis prête à soigner, mais me faire agresser, c'est un non ferme et définitif", résume-t-elle.
Rapportés aux 230 000 médecins en exercice en France selon le service statistique du ministère, ces incidents peuvent sembler marginaux. Mais "l'augmentation régulière de la violence" inquiète Jean-Jacques Avrane, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins, qui souligne que beaucoup d'agressions ne sont pas signalées. Les médecins ne sont, par ailleurs, pas les seuls à dresser ce constat : 66% des infirmiers assurent avoir déjà été victimes de violences, selon les résultats d'une consultation lancée par de leur ordre en 2023. Les professionnels du paramédical, comme les kinésithérapeutes, et le personnel des établissements de santé, comme les secrétaires médicales ou les vigiles, sont aussi touchés, rappelle le collectif du 12-Mars.
La moitié des passages à l'acte sont motivés par un "reproche relatif à la prise en charge du patient", notait en 2022 l'Observatoire national des violences en milieu de santé (fichier PDF), placé sous la tutelle du ministère de la Santé. Parmi les autres explications figurent le "refus de soins", le "temps d'attente jugé excessif", mais aussi la consommation d'alcool ou de drogue par l'agresseur. "Bien sûr que nous sommes conscients qu'il y a un problème d'accès aux soins dans ce pays, avance Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux. Mais il faut que les patients comprennent qu'on fait ce qu'on peut, et qu'on ne les prend pas forcément par ordre d'arrivée ou de rendez-vous, mais d'urgence."
Un plan gouvernemental encore largement inappliqué
Après la mort d'une infirmière poignardée au CHU de Reims (Marne) en mai 2023, le ministre de la Santé de l'époque, Aurélien Rousseau, et la ministre déléguée, Agnès Firmin Le Bodo, avaient présenté un plan de 42 mesures prônant la "tolérance zéro" vis-à-vis des violences. Parmi elles, la formation des personnels à la gestion des situations de crise, le financement de dispositifs d'alerte rapide des autorités, la création d'un délit d'outrage sur les professionnels de santé, l'aggravation des peines encourues en cas de violence, mais aussi la possibilité, pour un soignant, de porter plainte sans que son adresse soit dévoilée.
Un an et demi plus tard, le collectif du 12-Mars réclame "l'accélération" de la mise en œuvre de ces mesures. La proposition de loi "pour renforcer la sécurité des professionnels de santé", déposée par le député Horizons Philippe Pradal et reprenant les grandes lignes du plan, n'a pas été examinée au Sénat dans la foulée de son adoption en première lecture, fin janvier, par l'Assemblée nationale.
Pendant ce temps, la débrouille prime chez les soignants qui veulent sécuriser leur exercice professionnel. Juliette Hayot, agressée à la sortie de son cabinet, a engagé un vigile lorsqu'elle assure des rendez-vous tardifs. Olivier Belenfant, généraliste à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise), "limite le nombre de nouveaux patients" qu'il reçoit, par peur de tirer le mauvais numéro. Comme d'autres, Emilie Dupart, infirmière libérale à Loos (Nord), ne se "déplace plus dans certains quartiers" réputés dangereux.
Après un échange avec le collectif, mercredi en fin de matinée, le ministère de la Santé a réaffirmé dans un communiqué son "engagement absolu pour assurer la sécurité de tous les professionnels de santé", promettant notamment que l'examen de la proposition de loi Horizons reprendrait en mai au Sénat. De son côté, le collectif s'est réjoui "d'une rencontre très constructive", rapporte Laetitia Chillaud-Bévier, responsable Ile-de-France du syndicat infirmier Onsil. "Nous partageons le diagnostic, nous attendons le traitement concret avec bon espoir."
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