Interview Donneur de sperme porteur d'une prédisposition aux cancers : cinq questions à la biologiste qui a étudié cette affaire concernant plusieurs dizaines d'enfants en Europe

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
En France, l'an dernier, il y avait 10 600 personnes en attente d'un don et il n'y a eu que 1 000 candidats au don. (TED SOQUI / CORBIS HISTORICAL / VIA GETTY)
En France, l'an dernier, il y avait 10 600 personnes en attente d'un don et il n'y a eu que 1 000 candidats au don. (TED SOQUI / CORBIS HISTORICAL / VIA GETTY)

Entre 2008 et 2015, une banque de sperme privée du Danemark a distribué, sans le savoir, le sperme d'un donneur porteur d'une mutation génétique prédisposant aux cancers.

Au moins 67 enfants, en Europe, sont nés de dons de sperme d'un homme porteur d'une mutation génétique prédisposant aux cancers. Ces dons, réalisés entre 2008 et 2015, proviennent d'une banque de sperme privée au Danemark qui exporte les gamètes à l'échelle européenne. L'affaire a été présentée, ces derniers jours, à Milan, au congrès de la Société européenne de génétique humaine, par une biologiste en oncogénétique du CHU de Rouen. Edwige Kasper travaille sur le sujet depuis un peu plus d'un an.

franceinfo : Comment cette affaire a été mise au jour ?

Edwige Kasper : Ça s'est fait en deux temps. D'abord, deux enfants ont été diagnostiqués de cancers au Danemark. Des analyses de routine ont été faites et une variation très rare du gène TP53 a été détectée. Or, il se trouve que les deux enfants étaient tous les deux issus d'un don de gamètes, ce qui a interpellé les médecins. Ils sont alors remontés jusqu'à la banque de sperme privée concernée. Et il s'est trouvé qu'il s'agissait du même donneur. Des courriers ont été envoyés à toutes les familles et toutes les cliniques dans lesquelles des patientes ont pu bénéficier du sperme de ce donneur. En France, le laboratoire d'oncogénétique de Rouen, qui fait référence sur le gène TP53, a été contacté par un premier clinicien, lui-même contacté par une famille française. Puis, dans les semaines qui ont suivi, d'autres collègues cliniciens en oncogénétique nous ont contactés.

"Grâce réseaux de cliniciens français, on a pu identifier dix familles françaises concernées."

Edwige Kasper

à franceinfo

L'an dernier, au congrès de la Société européenne de génétique humaine qui se déroulait à Berlin, on a décidé d'en parler, à l'occasion d'un groupe de travail, au sein du réseau de l'ERN Gentirus, et on a constaté que d'autres cas étaient identifiés dans plusieurs autres pays d'Europe. Et ça continue d'arriver : il y a un mois, j'apprenais qu'il y avait des cas en Grèce, il y a trois semaines, c'était en Espagne... Il y a au moins 67 cas recensés au moment où l'on se parle, mais avec l'écho médiatique de l'affaire, de nouveaux patients nous contactent. Potentiellement, il y en a plus encore.

Est-ce que cette variation de gêne aurait pu être décelée par la banque de sperme, au moment des contrôles réalisés auprès du donneur ?

Il est important de préciser que tous les patients issus de ce don de gamètes ne développeront pas de cancer, ce n'est qu'une prédisposition. Pour l'instant, sur les 67 enfants issus de ce donneur, 23 sont porteurs de la variation et 10 ont développé un cancer. On sait peu de choses sur cette variation du gène TP53. On sait qu'elle peut favoriser les cancers pédiatriques puisque certains enfants en ont développé. Mais d'autres variations peuvent avoir des effets plus modérés, comme donner des cancers du sein à des âges plus tardifs. C'est une question sur laquelle on travaille activement depuis plusieurs années. Ensuite, dans ce cas précis, la variation est survenue chez le donneur au cours de l'embryogenèse, elle n'est pas présente dans toutes les cellules de son organisme, on sait qu'elle a été retrouvée dans une partie de ses gamètes. À ce jour, le donneur n'est pas atteint et n'a pas d'antécédent familial de cancer. Ce sont des paramètres qui sont explorés pendant l'entretien médical qui cherche à déterminer s'il est, ou non, un bon candidat pour le don. Ce n'est pas certain qu'avec les technologies actuelles, en faisant un séquençage complet du génome sur les gamètes, cette variation puisse être détectée. Donc, en 2008, avec des technologies moins performantes, elle était quasiment indétectable si l'on ne savait pas quelle variation chercher. Ce qui est problématique dans ce cas précisément, c'est donc surtout l'échelle à laquelle les dons ont été distribués en Europe.

Comment sont encadrés ces dons et la distribution des gamètes par les banques de sperme à l'échelle européenne ?

Justement, il n'y a pas de législation à l'échelle européenne, mais pays par pays. Aujourd'hui, en France, le sperme du donneur va pouvoir être utilisé au maximum pour dix naissances. Et ce ne sera pas une seule de plus. Malheureusement, on manque de donneurs. En France, l'an dernier, il y avait 10 600 personnes en attente d'un don et il n'y a eu que 1 000 candidats pour être donneur. Quand ils sont candidats, ça ne veut pas dire qu'ils vont être retenus parce qu'il y a les entretiens médicaux, les examens biologiques et les évaluations de spermatozoïdes... Donc beaucoup de familles vont se tourner vers l'étranger. Dans de nombreux autres pays, la législation est comparable. Au Danemark, le même donneur peut servir pour douze familles, en Allemagne, c'est quinze naissances, au Royaume-Uni, ce sont dix familles. Or, le problème est que les banques de sperme respectent bien les limites de chaque pays, mais ces limites s'additionnent les unes autres. Et finalement, à l'échelle européenne, ça fait beaucoup de naissances. Dans ce cas-là, la banque de sperme en question limite à 75 le nombre de naissances possibles par donneur.

"On n'est pas dans un contexte naturel où un homme aurait eu 75 enfants dans plusieurs pays d'Europe."

Edwige Kasper

à franceinfo

C'est pour cela que nous plaidons pour une législation européenne. Il faut réfléchir à un nombre maximal de naissances ou de familles par donneur à une échelle internationale ou a minima européenne. Aujourd'hui, les gens voyagent de plus en plus, s'installent à l'étranger, etc. Il y a forcément un risque de consanguinité qui va émerger. Je comprends aussi que les familles après un parcours long de PMA, où on en arrive pour certains couples à la conclusion qu'il va falloir un don de sperme. Ce qu'on soulève là, particulièrement, c'est le risque de dissémination anormale de maladies génétiques. Même si dix familles françaises ont été identifiées, on ne peut pas être sûrs d'avoir identifié tous les enfants concernés. À l’époque, aussi, les banques de sperme pouvaient expédier les gamètes directement aux particuliers chez eux. Aujourd'hui, c'est interdit, ça ne peut se faire que dans les Cecos, les centres de conservation et de préservation des gamètes.

Comment se déroulent les examens de vérification de capacité d'un donneur ?

Il y a un entretien avec une équipe médicale. Notamment avec des conseillères ou des conseillers en génétique qui ont intégré les équipes d'assistance à la procréation et des Cecos.

"Les conseillers en génétique vont faire un entretien avec le donneur et questionner tous les antécédents familiaux, médicaux et personnels pour savoir s'il y a des risques de certaines maladies."

Edwige Kasper

à franceinfo

En France, les donneurs français vont avoir un caryotype, c’est-à-dire qu'on regarde au microscope les chromosomes pour vérifier qu'il n'y a pas d'anomalie chromosomique, par exemple des triplications, ce que l'on peut rencontrer, par exemple, dans la dans la trisomie 21. Certains critères, comme celui-ci, sont éliminatoires. Il y a aussi plusieurs évaluations de la motilité (la capacité des spermatozoïdes à se déplacer correctement) et de la concentration de spermatozoïdes dans le sperme du donneur. L'âge des donneurs est contrôlé aussi. On sait qu'on augmente le risque d'avoir des mutations qui émergent dans les gamètes après un certain âge, chez l'homme et chez la femme. Les donneurs doivent donc être âgés de plus de 18 ans et de moins de 45 ans. C'est aussi une forme de contrôle de l'émergence de ces pathologies-là qui peuvent être des pathologies qu'on appelle de novo, c’est-à-dire qui ne sont pas héritées d'un parent et donc, qui seraient passées à la trappe des interrogatoires.

Que dire aux familles qui craignent d'être concernées par cette affaire ?

Normalement, la banque de sperme concernée a prévenu les gens, a prévenu les cliniques dans lesquelles avaient été faites les inséminations. Ceux qui ont reçu un courrier, on les invite à se rapprocher d'une unité d'oncogénétique. Il y en a dans toutes les régions, c'est très bien organisé et les rendez-vous seront pris très rapidement. Tous les oncogénéticiens sont au courant de ce dossier. On en a beaucoup parlé entre nous. Tous les enfants issus de ce donneur ne seront pas porteurs de la variation et tous ceux qui sont porteurs de la variation ne développeront pas obligatoirement un cancer.

"Ce qui est important, s'il y a des gens qui ont reçu cette lettre, c'est qu'il faut tester les enfants parce que si jamais ils sont porteurs, on peut mettre en place un suivi. "

Edwige Kasper

à franceinfo

Le suivi ne diminue pas le risque de cancer malheureusement, mais en permettant la détection plus précoce des tumeurs, on peut parfois prendre en charge le cancer à un stade où il est moins avancé donc potentiellement moins grave. En France, les choses sont bien organisées, les centres sont bien étiquetés, on travaille tous en réseau. C'est la force de cette histoire : les réseaux ont été hyper réactifs.

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