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"C'est comme retrouver la pièce manquante du puzzle" : deux sœurs rencontrent leur père biologique, donneur de gamètes

Depuis la loi de bioéthique de 2021, les enfants nés d'un don de sperme ou d'ovocytes peuvent avoir accès aux données de leurs géniteurs s'ils en font la demande auprès d'une commission spécialement créée.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Temps de lecture : 12min
Béatrice (à gauche), Gabriel le donneur et sa femme Michèle, Nathalie (à droite). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Béatrice (à gauche), Gabriel le donneur et sa femme Michèle, Nathalie (à droite). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

C'est une rencontre rare et émouvante. Celle entre des sœurs jumelles, Béatrice et Nathalie, nées par PMA il y a 36 ans, et Gabriel, 90 ans, celui qui grâce à son don de sperme a permis leur naissance.

Depuis la création des banques de sperme et d'ovules (aujourd'hui Cecos) en 1973, on estime que plus de 70 000 enfants sont nés grâce aux dons anonymes de gamètes. Depuis la loi de bioéthique de 2021, ces enfants ont le droit – et de manière rétroactive – d'avoir accès à leur origine et aux données de leurs géniteurs s'ils en font la demande auprès d'une commission spécialement créée. Au 31 janvier 2025, 701 demandes ont été enregistrées, mais seules 73 personnes ont fini par obtenir ces informations. Le donneur peut parfois être décédé, il peut avoir refusé de répondre ou ne pas avoir laissé de trace. Une rencontre entre enfants majeurs et donneurs comme celle-ci est donc exceptionnelle. Elle aboutit après neuf ans de démarches personnelles. 

"Dans huit minutes, ce monsieur va nous découvrir et nous aussi"

C'est l'une des rencontres les plus importantes de sa vie. Alors, quand Béatrice arrive d'Indre-et-Loire au volant de sa petite voiture électrique, elle est un peu tendue mais donne le change. Sa fausse jumelle, Nathalie, est en route depuis la région parisienne pour découvrir Gabriel, leur père biologique, sur le papier. Elles ne l'ont vu qu'en photo, après des années de démarches pour retrouver sa trace.

"Dans huit minutes, ce monsieur va nous découvrir et nous aussi", souffle la jeune femme de 36 ans qui reconnaît être "clairement stressée". C'est vers l'âge de 16 ans qu'elle a appris que sa sœur et elle avaient été conçues par don.

"Ça fait vingt ans. Tout est de l'ordre de l'imaginaire. Vingt ans de questions. Qui est cette personne ? Pourquoi il a effectué son don ?"

Béatrice

à franceinfo

"Est-ce qu'il était bien conscient de tout ce qui allait se passer ensuite pour la personne ainsi conçue ?", poursuit Béatrice. Avant de se rassurer : "Cela fait plusieurs mois que je m'y prépare. On a quand même échangé quelques appels téléphoniques et quelques courriers. Il a l'air à peu près ouvert et avenant donc il n'y a pas de raison, ça va aller."

Elle se pose aussi des questions sur son apparence physique : "Est-ce qu'il y a des ressemblances entre nous et ses filles ? C'est vrai que nous, on est stressées, mais en même temps je me dis que pour lui aussi, ça ne doit pas être évident. Pour eux non plus." 

Béatrice et sa sœur Nathalie, les bras chargés de gâteaux et de fleurs, se présentent devant le portail blanc et sont accueillies à bras ouverts par Gabriel, yeux turquoise et tête blanche. Dans la maison de plain-pied, la table est déjà mise. De l'extérieur, on dirait des petites filles qui viennent rendre visite à leurs grands-parents. Sur les murs du salon, de nombreuses photos de chiens et quelques-unes des filles et de l'unique petit-fils de Gabriel et Michèle son épouse, petite femme énergique. Béatrice propose à Gabriel de l'aider à changer les piles de son appareil auditif, il s'étonne qu'elle le vouvoie, la remarque les fait rire tous les deux. L'essentiel de la rencontre qui va durer plusieurs heures se passe à la grande table du salon.

De l'émotion et des questions des deux côtés

Pour Gabriel, c'est une porte qu'il croyait fermée depuis toujours qui s'ouvre dans sa vie. À table, il sourit d'un air béat et son regard fixe, tour à tour, le visage de celles qu'il appelle ses autres filles. Il attrape le menton de Béatrice et y voit "un air de famille". Michèle lève son verre de vin et lui demande à quoi il trinque. "À mes 90 ans, répond joyeusement Gabriel, je les ai eus en septembre. Et à cette rencontre aussi, bien sûr."

Il saisit un document et met ses lunettes : "C'est ma carte de groupe sanguin, j'ai reçu ça en 1987, une fois que j'ai terminé les dons". Il ajoute un peu songeur : "Tout ça, c'était derrière nous depuis le temps, et donc ça nous a surpris." Michèle son épouse plaisante : "Au moins, on sait que le don a servi à quelque chose, de positif a priori. Vous, vous ne regrettez pas non plus d'être là ?", demande-t-elle aux deux sœurs. Gabriel dit, lui, être "heureux de [les] retrouver car [il] ne s'y attendait pas".

"Je n'y pensais plus du tout. Puis l'année dernière, j'ai reçu un courrier de Béatrice. J'étais vraiment étonné. Quelle démarche quand même !"

Gabriel

à franceinfo

Il insiste plusieurs fois sur le caractère anonyme du don qu'il a effectué près de 40 ans en arrière : "À l'époque, à la télévision, il y avait des réclames, on recherchait des donneurs. J'ai dit : 'Pourquoi pas ?' Je me suis présenté à Villejuif, on m'a questionné, pris mon sang, fait faire tout un tas d'examens. Je suis venu donner une dizaine de fois. Puis voilà, c'était terminé pour moi. J'ai fait ce don-là comme aux Restos du cœur ou aux orphelins de la police ou à la SPA. Et puis je sais plus trop. Pour moi, c'est un don comme un autre."

"Savoir d'où je viens"

Dans ses mains, il tient à présent les lettres que Béatrice lui a envoyées avant leur rencontre. Il décrit les larmes aux yeux : "C'est beaucoup d'émotion, parce que j'attendais tout ça avec impatience, cette rencontre, les voir." Un ange passe pour Béatrice et Nathalie, mère de deux jeunes enfants, c'est autre chose qui se joue dans cette rencontre : "J'y pensais surtout du point de vue de la santé, pour savoir un peu qui est cette personne, sa personnalité... Pour savoir d'où je viens moi, et pour savoir ce que je transmets à mes enfants, que je ne leur transmets pas de maladies génétiques. Quand on a appris que notre père n'était pas notre père, on avait quinze/seize ans. C'est assez brutal et j'ai vraiment eu l'impression, physiquement, que j'avais une moitié et pas l'autre. Et je me disais, c'est horrible."

Gabriel, Michèle, Béatrice et Nathalie, lors de leur rencontre en avril 2025. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Gabriel, Michèle, Béatrice et Nathalie, lors de leur rencontre en avril 2025. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Gabriel glisse qu'il a du diabète. "Lié à l'âge", précise sa femme. Béatrice le rassure et explique : "Moi aussi j'avais envie de savoir pour des raisons médicales. Et puis il y a ce droit d'accès aux origines qui me posait question, de savoir qu'il y avait un dossier avec des données concernant le donneur, donc Gabriel. Je trouvais qu'il y avait une injustice à ce que ce soit conservé dans des archives qui prennent potentiellement l'humidité, la poussière, etc. Alors que moi, ça me serait utile. Donc je me suis engagé dans une association pour faire reconnaître le droit d'accès aux origines. On a le choix de faire une demande ou de ne pas faire de demande. C'est un choix, c'est un droit."

"C'est comme trouver la pièce manquante du puzzle et le compléter."

Béatrice

à franceinfo

La fin de l'anonymat est un bouleversement pour les proches. Notamment pour Michèle, l'épouse de Gabriel explique en riant : "Maintenant, je me suis un peu fait à l'idée. Mais bon, quand il est allé faire le don, c'est à ce moment-là où ça m'a peut-être le plus perturbée. Il y avait déjà nos deux filles. La plus jeune, celle qui est au Canada, c'est plus difficile c'est vrai. Parce que lui, quand il parle de vous, il dit : 'Mes autres filles'."

Nathalie prend un air étonné : "Ah bon ? Après, c'est un raccourci aussi parce que moi, forcément, en soi, c'est mon père. On est bien obligé de dire que c'est le père biologique. Après, je ne ressens pas spécialement de lien, mais il y en a un obligatoirement." Michèle reprend, à propos de sa fille : "Elle a compris, ça ne lui fait plus rien. Mais ce n’était pas facile." Gabriel se souvient des questions de sa fille qui, quand il a reçu le courrier, lui a demandé : "Qu'est-ce que tu vas faire ?" Il s'avance : "Peut-être qu'elle voulait dire que pour elle c'était presque un viol ou quelque chose comme ça. C'est vrai qu'elle n'a pas compris. On n'en parlait pas."

"Vous pensez qu'il peut y en avoir d'autres ?"

Depuis le 31 mars 2025, tous les enfants conçus d'un don de gamètes ont accès à leurs origines une fois adultes. "Le fait que ce ne soit plus anonyme, toutes ces choses-là, c'est plus simple. Par contre dans la famille de son côté à lui, quand ils ont su ça a été : 'Mon Dieu !" À ses heures perdues, Béatrice, infirmière dans la vie, a fait de longues recherches ADN sur internet. Elle a envoyé des tests salivaires aux États-Unis, elle a remonté l'arbre généalogique de son donneur qui a des ancêtres en Russie, en Pologne et dans sa quête d'identité et elle a trouvé deux autres enfants nés grâce aux dons de Gabriel.

"Il y en a certainement d'autres, se demande le vieillard. Vous allez approfondir vos recherches... Mais je n'inviterai pas tout le monde !" Tous s'esclaffent. "On transmettra aux autres", reprend Béatrice. Avec une pointe d'inquiétude cette fois, Gabriel redemande : "Vous pensez qu'il peut y en avoir d'autres ?" Réponse de Béatrice : "On verra bien, l'avenir nous le dira peut-être."

Gabriel, lui, se projette. Avant leur départ, il montre le plan de table aux filles qu'il a invitées à fêter ses 90 ans, en juillet, avec toute sa famille et se dit heureux de les retrouver à cette occasion. À la question, considérez-vous qu'elles font partie de votre famille désormais ? Il répond sans fard :"Si elles le veulent, je veux bien. Oui, pourquoi pas ?"  La question est posée aux filles, comment le considèrent-elles ? Longue hésitation de Béatrice : "Euh... comme Gabi. Voilà, c'est ça. Maintenant, il y a un prénom, un visage, une personnalité. En fait c'est juste Gabi, quoi..."

"Une belle rencontre"

Gabriel les interroge ensuite sur leurs parents : "Qu'est-ce qu'ils en pensent ? Ils savent que vous avez retrouvé le géniteur ?" Réponse un peu gênée des deux sœurs : "Oui, oui, ils savent qu'on connaît votre identité, mais ils ne sont pas au courant qu'on vous a rencontré, qu'on a fait connaissance." À son tour, Michèle demande : "Vous croyez que ça les choquerait ?" Réponse de Nathalie : "Je ne sais pas si ça leur ferait plaisir. Je pense qu'eux à mon avis, ça les gêne un peu."

Michèle poursuit : "On peut avoir une certaine amitié, un petit feeling, c'est cool." C'est l'heure des au revoir et du débrief entre sœurs dans la voiture sur le chemin du retour. Nathalie confie au téléphone : "Je ne me sens pas hyper proche. Est-ce que j'ai de l'affection pour lui ? Je ne sais pas, c'est comme un voisin. Oui, j'irai à son anniversaire en juillet mais ça reste une rencontre." Sa sœur Béatrice conclut : "Oui, mais une belle rencontre."

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