Grève des taxis : quelle part représente le transport sanitaire des patients dans le chiffre d'affaires des chauffeurs ?

Ces trajets représentent la quasi-totalité du chiffre d'affaires des professionnels installés dans certains territoires ruraux ou isolés. Ils sont donc particulièrement inquiets face à la nouvelle convention qui régit leurs relations avec l'Assurance-maladie.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un conducteur de taxi manifeste devant la préfecture de Belfort, le 19 mai 2025, afin de dénoncer la nouvelle convention avec l'assurance maladie. (MICHAEL DESPREZ / L'EST REPUBLICAIN / MAXPPP)
Un conducteur de taxi manifeste devant la préfecture de Belfort, le 19 mai 2025, afin de dénoncer la nouvelle convention avec l'assurance maladie. (MICHAEL DESPREZ / L'EST REPUBLICAIN / MAXPPP)

Le Premier ministre François Bayrou attend les taxis au ministère des Transports. La profession continuait de se mobiliser partout en France, vendredi 23 mai, à la veille d'une rencontre entre le gouvernement et les représentants syndicaux. Parmi les points de mécontentement : la nouvelle convention qui régit le "transport sanitaire" des ayants droit, comme le nomme l'Assurance-maladie. Mais la réforme annoncée est extrêmement sensible, car cette activité représente une part importante du chiffre d'affaires des conducteurs. Les départementaux ruraux, notamment, suivent les discussions avec appréhension.

"En Charente, il n'y a pas trop d'aéroports ou de grosses gares… Faire le métier de taxi pur et dur, comme dans les grandes métropoles, est évidemment plus compliqué dans les milieux ruraux", explique David Bretin, président syndical de la Fédération des taxis indépendants du département. "Les taxis qui ont une licence à Angoulême, peuvent à la rigueur se débrouiller avec la gare, ajoute-t-il en transportant justement un patient, mais moi, avec ma licence d'une autre ville, je n'ai pas le droit d'attendre là-bas. Je peux seulement m'y rendre si un client m'a commandé." Les transports de malades représentent entre 75% et 80% de son activité. Il parcourt les routes jusqu'à Bordeaux (Gironde), sur des trajets de 30 à 150 kilomètres.

"Malheureusement, il y a de plus en plus de patients, et il y a donc des besoins de transport. Nous ne sommes pas responsables de cette augmentation."

Didier Bretin, président de la Fédération des taxis indépendants de Charente

à franceinfo

Mais à partir du 1er octobre, les taxis seront rémunérés sur la base d'un forfait de prise en charge et d'une tarification kilométrique alignée sur un tarif fixé dans chaque département. David Bretin craint que ce nouveau mode de calcul ne lui fasse perdre entre 40% et 50% de son chiffre d'affaires. "Sur un transport sanitaire, aujourd'hui, on nous prend environ 21 euros sur une course" facturée 100 euros, explique-t-il en désignant la remise négociée localement par les caisses d'assurance-maladie. "Après les charges et le gazole, il me reste 45 euros. Si la nouvelle convention passe, il ne m'en restera plus que 30, alors qu'on a déjà du mal à se dégager un salaire."

Un équilibre financier précaire dans les zones rurales

Alors que les grandes villes dénoncent plus volontiers la concurrence jugée déloyale des VTC, les zones périphériques semblent davantage concernées par la question des transports sanitaires. "Les baisses à venir des revenus des entreprises taxis, souvent endettées, sèment le désarroi en particulier dans les zones moins denses où l'activité dépend du transport de malades", ont dénoncé les fédérations de taxi dans un courrier adressé au Premier ministre François Bayrou. Dans une interview au Parisien, Thomas Fatôme, le directeur général de l'Assurance-maladie, a assuré que "la très grande majorité des taxis seront gagnants avec ce nouveau modèle, car il s'appuie sur une logique de transporter davantage de patients". Sans toutefois rassurer les intéressés.

Près de 40 000 taxis sont aujourd'hui conventionnés, selon l'Assurance-maladie. L'an passé, 3,29 millions de patients ont bénéficié d'un transport remboursé pour un trajet en taxi, ce qui représente 3,07 milliards d'euros de dépenses pour l'Assurance-maladie. "Certains taxis des grandes villes s'étaient désintéressés du transport sanitaire, mais y reviennent aujourd'hui, car leur activité baisse en raison de la pression des VTC", analyse un conducteur de zone rurale sous couvert d'anonymat. L'augmentation des dépenses, selon lui, est aujourd'hui bien moins rapide en zone rurale que dans les métropoles.

"A la louche, je dirais que le transport sanitaire représente 30% de l'activité dans les grandes métropoles", estime Rachid Boudjema, président de l'Union nationale des taxis, qui manifeste depuis plusieurs jours à Paris. "La philosophie de Thomas Fatôme, c'est de dire : 'Plus je réduis l'offre de transport, puis je réduirai les dépenses'", dénonce-t-il. Ce qui revient, selon ce responsable syndical, à poser le problème à l'envers. Dominique Buisson, secrétaire fédéral de la Fédération nationale du taxi, préfère évoquer un "effet volume". Car "ce sont bien les praticiens qui établissent les prescriptions de transport !"

Une hausse des dépenses liées aux prises en charge

Le nombre de ces trajets a certes rebondi après la période du Covid-19, mais il n'explique pas seul la hausse des dépenses. En 2022, "la hausse de la consommation des transports était portée davantage par la hausse des prix (+4,7 %) que par la hausse du volume (+3,3 %)", relevait la Drees en 2023. Cette année-là, en revanche, la consommation était "portée par un volume d'activité beaucoup plus dynamique qu'en 2022 (+8,8 %), alors que les prix ralentissaient (+1,8 %)". L'Assurance-maladie pointe notamment les transports à vide, quand les taxis se rendent jusqu'au point de rendez-vous ou en reviennent. Elle multiplie les incitations au transport partagé, c'est-à-dire au transport de plusieurs patients à la fois.

"La Caisse nationale d'assurance-maladie [Cnam] n'a pas mis en place les outils sur lesquels elle s'était engagée : des salons d'attente, des accords avec les services hospitaliers pour adapter les horaires et éviter les trop longues attentes..." , pointe Olivier Pierre, secrétaire du Syndicat des artisans taxis de la Creuse. Il dénonce également des choix plus anciens. "La Caisse a imaginé que rassembler les centres de soin dans des grands pôles santé allait permettre des économies à la Sécurité sociale. En réalité, elle n'a pas mesuré les dépenses en transport que ça allait engendrer." L'augmentation du nombre de déserts médicaux, assure-t-il, a augmenté les distances et la facture des trajets.

"On veut simplement que la Cnam joue son rôle d'assureur. Il y a déjà le ministère des Transports pour réglementer la profession. Restons-en là."

Olivier Pierre, secrétaire du Syndicat des artisans taxis de la Creuse

à franceinfo

Olivier Pierre craint que la nouvelle convention ne brise l'un des derniers recours pour se déplacer dans des zones sans transport public pour les populations, au-delà des seuls patients. Et dénonce, plus largement, une tentative de la Cnam de "nationaliser" la clientèle des taxis. "Nous ne voulons pas être subventionnés par l'Etat et être à la botte de l'Assurance-maladie. Elle n'a pas à définir mon tarif, cela ne la regarde pas", affirme le représentant syndical. "Un client a un besoin et il me commande sur le tarif de ma facture. L'Assurance-maladie rembourse ce qu'elle souhaite, comme ça, elle gère ses dépenses et on réduit le déficit. Et la part non remboursable, elle, ne concerne pas l'Assurance-maladie." La profession aura tout loisir d'exprimer ce point de vue lors de sa réunion au ministère des Transports. Le compteur des manifestations, lui, continue de tourner.

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