Vrai ou faux La hausse de la mortalité infantile en France est-elle liée aux fermetures de maternités ?

Une proposition de loi du groupe Liot examinée au Sénat entend geler les fermetures des petites maternités afin de lutter contre la hausse de la mortalité infantile. Pourtant, le lien de causalité entre les deux n'est pas scientifiquement démontré.

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
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Un bébé prématuré né à 33 semaines dort dans sa couveuse dans le service de néonatalité du CHU de Strasbourg, le 13 janvier 2006. (FREDERICK FLORIN / AFP)
Un bébé prématuré né à 33 semaines dort dans sa couveuse dans le service de néonatalité du CHU de Strasbourg, le 13 janvier 2006. (FREDERICK FLORIN / AFP)

Un chiffre alarmant. En France, 2 700 enfants sont morts avant leur premier anniversaire en 2024, d'après les chiffres publiés par l'Insee. D'après l'institut, le taux de mortalité infantile du pays a connu depuis 2011 une augmentation légère, mais continue pour s'établir en 2024 à 4,1 décès d'enfants de moins d'un an pour 1 000 enfants nés vivants. Il s'agit pourtant d'un indicateur clé de la santé d'une population.

Une proposition de loi transpartisane visant à lutter contre ce phénomène a été déposée au Sénat, vendredi 16 mai. Elle prévoit de geler pendant trois ans la fermeture des petites maternités, accusées, selon les défenseurs du texte, de contribuer à cette hausse. "Il n'est pas acceptable d'éloigner encore plus les femmes de leurs lieux d'accouchement", a plaidé le député corse Paul-André Colombani (Liot), porteur de la proposition, lors de son adoption à l'Assemblée nationale, le 15 mai.

Dans l'exposé des motifs, la cessation d'activité envisagée de la maternité de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) est citée en exemple. Celle-ci "aurait contraint les femmes de la région à parcourir plus de deux heures de route pour accoucher à Bastia, soit trois fois le seuil de quarante-cinq minutes au‑delà duquel les risques néonatals sont considérés comme critiques". "Un tel éloignement fait peser des dangers réels sur la sécurité des mères et des nouveaux‑nés", soutiennent les auteurs. Toutefois, certains professionnels de santé interrogent la pertinence du moratoire. Franceinfo dresse l'état des lieux des connaissances scientifiques en la matière.

Un taux de mortalité parmi les plus élevés d'Europe

Un constat tout d'abord : alors qu'elle figurait parmi les pays les mieux classés en 1990, la France se classait en 2022 au 23e rang des 27 Etats de l'Union européenne en termes de mortalité infantile, souligne une note de l'Institut national d'études démographiques (Ined). Dans une étude parue la même année, des chercheurs spécialisés en santé publique et pédiatrie en France et aux États-Unis estimaient à 1 200 le nombre de "décès par excès" observés chaque année par rapport à d'autres pays européens aux économies avancées.

De fortes disparités sont d'ailleurs observées sur l'ensemble du territoire : de 2004 à 2022, la mortalité infantile était deux fois plus élevée dans les départements d'outre-mer (8 décès pour 1 000) qu'en France métropolitaine (3,5), selon l'Insee. Avec 5,4 décès pour 1 000 sur la période 2019-2021, la Seine-Saint-Denis, qui était également le département le plus pauvre de l'Hexagone, affichait le taux de mortalité infantile le plus élevé de France métropolitaine, d'après cette même source.

Face à cette dégradation inquiétante, les parlementaires voient dans le moratoire contre les fermetures des petites maternités une solution. Entre 1975 et 2022, le nombre de maternités a été divisé par trois en France, chutant de 1 369 à 446, selon une note de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Cette évolution est notamment liée à une volonté des pouvoirs publics de concentrer les accouchements vers les maternités les mieux équipées, pour des raisons de sécurité.

En parallèle, selon cette même source, la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de quarante-cinq minutes d'une maternité a augmenté d'environ 40% entre 2000 et 2017. Ce phénomène est bien lié à l'effet des fermetures de maternités, explique la Drees, précisant que celles "qui ferment sont plus petites et celles qui demeurent sont de taille plus importante".

"A plus de quarante-cinq minutes, on augmente le risque de mortalité infantile", s'alarmait en avril Paul-André Colombani auprès de Corse Matin. Le député s'appuie sur une étude de 2014 menée en Bourgogne sur le temps d'accès aux maternités, citée dans l'ouvrage 4,1 Le scandale des accouchements en France, publié en mars par les journalistes Sébastien Leurquin et Anthony Cortes. Les résultats montrent que, pour un temps de trajet supérieur à trois quarts d'heure, le taux de mortalité périnatale double presque, passant de 0,64 à 1,07%.

Pas de lien de causalité démontré

Cette analyse est pourtant contestée. "Le poids réel (…) de la distance (ou le temps de trajet) entre domicile et maternité" dans la mortalité néonatale est "négligeable", soutient la Société française de néonatalogie (SFN) dans une synthèse parue en mai. La société savante s'appuie notamment sur une étude menée sur des données françaises allant de 2001 à 2008, période pendant laquelle la mortalité infantile était en recul. Selon les chercheurs, "vivre loin d'une maternité n'augmente pas le risque de décès des nouveau-nés ou des fœtus". L'étude constate tout de même, en cas de distance supérieure à 45 km, une fréquence plus élevée des décès liés aux accouchements hors hôpital, mais rappelle que ceux-ci sont "rares".

Paradoxalement, "les taux de mortalité fœtale et néonatale étaient les plus élevés chez les femmes vivant à moins de 5 km d'une maternité", détaillent les chercheurs. Dans les zones urbaines où sont implantées les maternités, certaines conditions sociales défavorables (taux de chômage élevé, forte proportion de résidents nés à l'étranger, familles monoparentales…) l'emportent sur les avantages d'une proximité géographique, selon eux. Plus que la distance physique, c'est la distance "sociale" liée à la pauvreté (manque d'informations, de relations, médiocrité des infrastructures de transports…) qui constitue un obstacle à l'accès effectif aux soins dans les zones urbaines, analysent-ils.

"Il est illusoire de penser que la sécurité, c'est la proximité", assure auprès de franceinfo Elsa Kermorvant, chef de service ajointe à l'hôpital Necker-Enfants Malades, et vice-présidente de la SFN. "La Suède, qui a regroupé ses maternités, en a deux fois moins par habitant que nous, et compte pourtant deux fois moins de mortalité infantile", illustre-t-elle.

Des "dysfonctionnements profonds" 

Comment expliquer alors les mauvais résultats français ? Dans une synthèse publiée fin 2023, les co-rapporteurs d'une mission flash de l'Assemblée nationale consacrée à cette thématique estiment "qu'il n'est pas possible d'établir de manière certaine les causes de l'augmentation de la mortalité infantile, mais seulement de formuler des hypothèses". Parmi ces hypothèses : "la hausse de la prématurité extrême", "l'organisation et la qualité des soins", "la santé globale des mères [âge au moment de la grossesse, surpoids, tabagisme…]" et "le poids des inégalités économiques et sociales".

De son côté, le ministre délégué chargé de la Santé et de l'Accès aux soins Yannick Neuder a qualifié mi-mai la hausse de la mortalité infantile de "phénomène complexe et multifactoriel", évoquant notamment des "facteurs démographiques comme le recul de l'âge du premier enfant et l'accroissement des grossesses multiples, tout comme l'âge extrême des mères".

Pour la SFN, l'hypothèse d'une "dégradation" du système de soins est à privilégier. Elle dénonce des "dysfonctionnements profonds" dans l'organisation des unités de soins intensifs ou de réanimation néonatales. Ces unités, qui prennent en charge les bébés prématurés ou présentant des malformations ou encore des complications de l'accouchement (principales causes de mortalité infantile), souffrent d'un "d'effectifs infirmiers inadéquats par rapport à la charge de travail" et d'un "nombre de lits de réanimation insuffisants par rapport au nombre de naissances, lits qui sont est très inégalement répartis sur le territoire, ce qui conduit à une saturation des services", soutient la pédiatre Elsa Kermorvant.

Une mortalité accrue pendant la période néonatale

Selon l'Insee, la hausse de la mortalité infantile de la dernière décennie "s'explique uniquement par celle de la mortalité de 1 à 27 jours de vie", soit la tranche d'âge où les bébés sont susceptibles d'être admis dans les services de soins critiques. Cette hausse "semble être concentrée en zone urbaine", constate Magali Barbieri, démographe, chercheuse à l'Ined. "C'est un argument supplémentaire pour dire que ce n'est peut-être pas la fermeture des petites maternités" qui constitue la principale cause du problème, avance-t-elle. Jean-Christophe Rozé, président de la SFN, met également l'accent sur la question des moyens.

"Une chose à faire pour réellement améliorer la situation est de s'occuper de l'endroit où meurent ces enfants."

Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatalogie

à franceinfo

Pour mieux déterminer les causes de la mortalité infantile, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a annoncé fin mars à l'Assemblée nationale la mise en place d'un "registre de naissances et de décès". Cette mesure, recommandée par la Cour des comptes dans son rapport sur la politique de périnatalité de 2024, était réclamée de longue date par les professionnels.

"On sait compter les morts grâce à l'Insee, mais on ne sait pas les relier à une histoire médicale", regrette Jean-Christophe Rozé. "En France, plus que dans certains autres pays européens, l'information est éparpillée entre différentes sources", déplore de son côté la démographe Magali Barbieri. De tels registres existaient déjà au Royaume-Uni ou en Suède, où les taux de mortalité infantile figurent parmi les plus bas au monde.

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