Canicule : "On parle surtout du climat à l’occasion de catastrophes", regrette François Gemenne

Alors que la France étouffe sous une chaleur caniculaire, le chercheur, professeur à HEC et membre du GIEC, déplore une médiatisation trop ponctuelle du changement climatique.

Article rédigé par franceinfo
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Une pharmacie affiche 45°C à Thionville, en Lorraine, le 2 juillet 2025. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)
Une pharmacie affiche 45°C à Thionville, en Lorraine, le 2 juillet 2025. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

"Il a fallu une canicule pour qu’on se souvienne du changement climatique", commence François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, alors que la France traverse une nouvelle vague de chaleur, avec des températures avoisinant ou dépassant les 40°C dans plusieurs départements. "L’épisode illustre bien, en fait, la difficulté de parler du climat dans les médias : on en parle surtout à l’occasion de phénomènes extrêmes, ou de rapports scientifiques qui sonnent l’alarme", déplore le chercheur.

franceinfo : C'est difficile de parler du réchauffement climatique au quotidien dans les médias ?

François Gemenne : C’est tout le problème. On est face à un problème de long terme, très progressif et graduel. Chaque jour, nos émissions de gaz à effet de serre augmentent, chaque jour, la température moyenne sur Terre augmente un peu. C’est compliqué de le rappeler tous les jours, et donc on parle surtout du climat à l’occasion de catastrophes, d’événements extrêmes, ou de rapports qui nous rappellent que la situation empire. Mais malheureusement c’est inévitable, tant qu’on n'aura pas atteint la neutralité carbone, la situation sur le front climatique va continuer à empirer. Et la neutralité carbone, dans le meilleur des cas c’est pour 2050, donc ça signifie qu’on en a pour 25 ans de mauvaises nouvelles.

Cela risque de créer de la lassitude chez les gens et c’est tout le problème. C’est pour ça que je suis un peu circonspect quand j’entends certains réclamer qu’on parle davantage de climat dans les médias. L’enjeu, je crois, ce n’est pas vraiment d’en parler davantage, mais d’en parler autrement. Je ne dis pas qu’on en parlait mal jusqu’ici, mais je crois qu’on est désormais passé à un autre stade. Un stade où le changement climatique produit déjà ses effets, et où l’enjeu ne consiste plus vraiment à crier au feu, mais à éteindre l’incendie.

"La lutte contre la désinformation climatique est une priorité"

Je pense que plus personne, aujourd’hui, ne peut ignorer la réalité du changement climatique. Ceux qui l’ignorent encore sont des gens qui choisissent délibérément de l’ignorer, pour diverses raisons, ou alors de gens qui sont victimes de désinformation. La lutte contre la désinformation climatique est une priorité, et c’est pour ça qu’il est plus nécessaire que jamais d’expliquer la science, sans parti pris idéologique ni biais militant, parce que le système climatique est extraordinairement complexe, parce que certains mécanismes sont parfois contre-intuitifs, parce que certains ordres de grandeur sont parfois surprenants, et surtout parce que certaines informations restent très méconnues.

Sait-on par exemple que l’exportation d’électricité a rapporté 5 milliards d’euros, l’an dernier ? Que les mandats au GIEC sont bénévoles ? Que le transport représente généralement 15% de l’empreinte carbone d’un produit, et que ce sont donc ses conditions de fabrication qui sont prédominantes dans son bilan carbone ? Qu’une voiture électrique conserve un bilan carbone meilleur que celui d’une voiture thermique, même si elle roule dans un pays au mix électrique très carboné, comme la Pologne ou la Chine ? Ou que les émissions de gaz à effet de serre de la Chine, précisément, atteignent un plafond et ne sont pas du tout hors de contrôle ?

"Le changement climatique touche à tous les grands enjeux : justice sociale, géopolitique, compétitivité, migrations..."

Ce sont des informations qui ont du mal à percer auprès du public. Si nous n’avons pas un socle commun de compréhension des problèmes, nous ne pourrons jamais agir. C’est pour ça que la désinformation est une telle menace : si la science et l’information deviennent considérées comme de la propagande, alors il n’y a aucun salut possible.

Et puis il y a un autre enjeu d’information : celui d’exposer les choix auxquels nous devons faire face. Le changement climatique touche à tous les grands enjeux. C’est aussi une question de justice sociale, de géopolitique, de compétitivité, de migrations, de paix et de sécurité, de technologie… Tous les grands défis du XXIe siècle seront transformés par la question du climat, et il faut donc, plus que jamais, éclairer ces enjeux, pour inventer la société et l’économie de demain.

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